Deauville Asia 2012 - Compte-rendu

Aude Boutillon | 12 mars 2012
Aude Boutillon | 12 mars 2012

Dimanche 11 mars, après quelques jours d'un calme olympien, rythmés par les va-et-vient de festivaliers tranquilles, la frisquette Deauville se voyait envahie de vacanciers venus profiter de discrets rayons de soleils. A l'effervescence dominicale se voyait donc imposer la clôture de cette quatorzième édition du film asiatique, placée, comme le laissait présager la sélection, sous le signe de l'éclectisme. Il y en avait ainsi pour tous les goûts, comme en témoigne un palmarès récompensant des pellicules aussi riches que diverses.

Côté sélection officielle, le jury présidé par Elia Suleiman aura choisi de récompenser le philippin Baby Factory d'Eduardo Roy Jr., œuvre hybride entre la fiction et le documentaire centrée sur une maternité-usine, ses petits soldats et ses mères dépassées. Le grand prix sera quant à lui allé à Mourning, (également sacré Mention Spéciale), exercice de style iranien de Morteza Farshbaf, dont les premiers instants auront laissé plus d'un spectateur perplexe. On suivra ainsi durant de longues minutes le parcours d'une voiture à travers des paysages d'une banalité somptueuse, tandis que défilent en bas de l'écran des sous-titres, marque d'un dialogue entre deux personnages... en l'absence totale d'échanges sonores. C'est que Mourning a pour protagonistes un couple atteint de surdité, accompagné d'un enfant dont les parents ont disparu, et qui devra faire face à la douloureuse nouvelle au cours de cet étrange voyage, rythmé par signes et bruissements. De symboles en métaphores (à l'image de ces incessants bavardages muets), Mourning navigue entre fascination et lourdeurs, tout en arborant l'indéniable marque « bête de festival ».

 



Le festival s'était ouvert sur The Sun-beaten Path, représenté par son jeune réalisateur tibétain, Sonthar Gyal. Difficile de ne pas se laisser porter par l'émotion palpable d'un artiste manifestement incrédule et envahi par la gratitude, et essuyant entre deux saluts quelques larmes à la fin de la projection. The Sun-beaten Path suit le parcours d'un jeune homme rongé par la culpabilité, venu chercher la rédemption sur un chemin de croix brûlé par un soleil écrasant. Le film de Sonthar Gyal choisit ainsi un rythme lénifiant collant à la peau de son personnage épuisé et de ses montagnes arides (magnifiées par une très belle photographie et un cadrage piqué), troublé de temps à autres par des flash-backs qui échappent à la démonstration et font montre d'une vraie sensibilité.

 

Le prix de la Critique a quant à lui sacré Himizu, dernier méfait du prolifique et passionnant Sono Sion, qui n'en finit plus de parcourir les festivals de France et de Navarre (mais aussi des cités balnéaires espagnoles). Planté dans un Japon dévasté post-Fukushima, où les adultes, incapables de contenir leur rage, la déversent sur une jeunesse qui se voit imposer la charge de la dignité, et de la reconstruction d'un pays dévasté, qui se fait reflet de protagonistes rongés par leur mal-être. A l'optimisme presque ridicule d'un professeur enthousiaste se voit ainsi opposée la cruauté de parents furieux et de jeunes paumés (scandant de déchirants « Qui suis-je ? »). Chaotique, déchaîné, le film de Sono Sion choque par ses déversements insupportables de violence physique, son absence de concessions, et bouleverse par les interprétations de son duo de jeunes acteurs habités.

 

 

L'enthousiasme, au cœur de ce Festival, aura atteint son paroxysme avec Saya Zamuraï (anciennement Scabbard Samouraï), troisième long-métrage du multitâches Hitoshi Matsumoto (tour-à-tour humoriste, acteur, chanteur, animateur de télévision), déjà responsable du complètement barré Symbol. Saya Zamuraï, de son postulat de départ gentillet (un samouraï refusant de porter son épée est soumis à « l'Epreuve des 30 jours », au terme desquels il devra redonner le sourire à un très jeune prince éploré par la mort de sa mère, sous peine de se voir condamné au seppuku), voyait planer sur lui la crainte d'une comédie familiale inoffensive. C'était sans compter sur la personnalité très singulière de son auteur... excentrique. Si la première partie du film s'accommode de situations cocasses et d'un humour bon-enfant (devant grandement à l'interprétation savoureuse d'un vieux samouraï hagard et d'une gamine très prometteuse -Sea Kumada, à surveiller de très près), Saya Zamuraï plonge sans prévenir dans une émotion viscérale, portée à l'écran avec une tendresse inattendue, doublée, et ce n'est pas rien, d'une belle réflexion sur le spectacle et le divertissement.

 

 

La sélection Action Asia était quant à elle dominée par le tonitruant The Raid, acclamé là, là, mais aussi là, dont on ne cesse de vous répéter qu'il est probablement le film d'action le plus fou de ces dernières années. Véritable condensé d'action hard boiled, de moments de bravoure jouissif, de combats chorégraphiés à la perfection, The Raid se savoure, se dévore, s'applaudit, se hurle, mais ne se dissèque pas. Rendez-vous le 20 juin en salles pour du plaisir à l'état brut.

 

C'est toutefois, et sans trop de surprises, Wu Xia qui se sera vu récompenser par le Prix Action Asia, par un jury présidé par Isabelle Nanty (mais si, on vous dit qu'on le voit, le rapport). En portant en guise de titre la dénomination du genre cinématographique phare en contrée chinoise, le film de Peter Ho-sun Chan se fait un brin trompeur. Nulles démonstrations martiales incessantes ici, ni même de surenchère, Wu Xia se posant à hauteur d'homme, en l'espèce un Donnie Yen (qui fait preuve de sa capacité à étendre son talent au-delà de l'action pure) en quête de rédemption, rattrapé par un passé trouble. Peter Ho-sun Chan choisit dès lors la voie de l'enquête policière, menée par Takeshi Kaneshiro. L'affrontement de ces deux entités que tout oppose se fait ainsi sel de Wu Xia, fresque moderne et rencontre maline et aboutie de plusieurs genres cinématographiques, portée par une élégante mise en scène et de rares mais savoureux combats (chorégraphiés par Donnie Yen en personne).

 


 

On retrouvait également dans la sélection le thaï Warriors of the Rainbow - Seediq Bale (rien que ça), produit notamment par John Woo. Présenté sous la forme d'un long-métrage de 2h30, le film de Wei Te-sheng était à l'origine composé de deux parties d'une durée de deux heures chacune. Résulte de cette fusion le délestage évident de séquences nuisant parfois à la compréhension de l'ensemble, le contexte historique (la résistance de tribus indigènes à l'invasion japonaise) étant des plus hasardeux pour un public occidental. Reste une fresque guerrière somme toute grandiose, affichant, à l'occasion de plans aériens sublimes, toute son ambition, et marquée par des séquences bouleversantes. Impossible de conclure sans évoquer la présence monolithique de Lin Ching-tai, écrasant de charisme et de prestance.

 


 

Passons rapidement sur The Sorcerer and the White Snake, déjà vu à Sitges, et porté essentiellement par le retour de Jet Li. Démonstration martiale mâtinée de fantastique, The Sorcerer... marque avant tout par ses CGI foireuses, aussi laides que datées, peinant à conférer au film le moindre soupçon de crédibilité, pas aidé, qui plus est, par des relents d'une mièvrerie difficilement supportable.

The Sword Identity ne marquera pas davantage les esprits. Le film de Xu Haofeng, sous couvert de proposer une approche nouvelle du Wu xia pian anti-spectaculaire, sombre en effet rapidement dans le bavardage fatiguant et la retenue frustrante, en omettant de soigner une narration qui se perd dans un fatras indémêlable. Les quelques instants inspirés (à l'image d'un duel à l'aveuglette, de part et d'autre d'un tissu) restent somme toute bien rares, et l'action royalement absente. Un comble, pour un film en sélection Action Asia !

Le coréen War of the Arrows était quant à lui nettement plus réjouissant. Le film de Kim Han-min remplit ici parfaitement son contrat, en offrant au spectateur une épopée guerrière opposant des maîtres de l'arc. L'occasion de proposer des séquences d'action (dont le film n'est certainement pas avare) savamment écrites, jouant tantôt de la stratégie, tantôt de la frénésie, avec une lisibilité toujours irréprochable. Le postulat (au beau milieu de l'invasion mandchoue de la Corée, un archer se bat pour le salut de sa sœur, rejoint par l'époux de cette dernière) se révèle particulièrement propice à un manichéisme de base, qui flirte avec la parodie (le méchant est TRES méchant, la preuve, il est borgne). Au final, on ne saurait en avoir cure, War of the Arrows constituant un divertissement extrêmement efficace, ponctué de doses d'humour très coréen, et pas ennuyeux pour un sou. Tout juste regrettera-t-on l'incompréhensible intervention d'un hideux tigre numérique.

 


 

Le Festival de Deauville se posait, enfin, comme l'opportunité de (re)voir les œuvres cultes de Kiyoshi Kurosawa, mais surtout d'approcher le maître de la peur en personne, venu honorer les spectateurs de sa présence. C'est un cinéaste tout en générosité et en sourire que nous avons ainsi eu l'honneur de rencontrer, à l'occasion d'une interview à retrouver en ces pages très prochainement.

 

Palmarès de la 14ème édition du Festival du Film Asiatique de Deauville :

Lotus du meilleur film - Grand Prix : Mourning de Morteza Farshbar

Lotus du jury - Prix du Jury : Baby Factory d'Eduardo Roy Jr.

Prix de la critique : Himizu de Sono Sion

Lotus Action Asia : Wu Xia de Peter Ho-sun Chan

Mention Spéciale : Mourning de Morteza Farshbar

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