Gérardmer 2012 : Jour 3

Simon Riaux | 28 janvier 2012
Simon Riaux | 28 janvier 2012

Les films dont la chronique ne se trouve pas détaillée dans l'article qui suit le seront dans celui consacré à la sélection extrême, nouveauté 2012 concoctée par le festival.

 

« Si vous mangez votre poids en fromage avant le coucher du soleil, j'oublie votre aveuglement concernant La Maison des ombres. » Telle fut la teneur du malicieux parchemin qu'Aude et Simon découvrirent au réveil, flottant dans leur bol de café. Bien conscient du formidable défi qui leur était lancé, les deux pèlerins de la critique ciné se précipitèrent dans les salles obscures, non sans s'être remplis les poches et besaces de Munster.

 

Aude décida de visionner Choose, grave erreur qui lui fit dire : « le marathon-fromage, je l'ai commencé par la croûte. » L'auteur de ces lignes choisit pour sa part de combiner patte molle et série B old school, grâce à Joel Schumacher et son Blood Creek. Œuvre pas encore distribuée chez nous malgré divers allers-retours festivaliers, cette pélloche d'horreur valait pour son réjouissant premier degré, et la présence d'un Michael Fassbender à l'époque quasi-inconnu, interprétant un nazi d'outre-tombe, bien décidé à boulotter le vigoureux Henry Cavill.

 

 

« Prenez des spätzles* avec votre fondue, ça passe mieux. » Suivant ce conseil avisé de Laurent, notre duo s'efforça d'ingérer en un temps record les 800 grammes de fromage fondu** concoctés à midi par leur chef bien-aimé. Hagards, titubants, mais dotés d'un tout nouveau centre de gravité, les fidèles chroniqueurs poursuivirent leur chemin de gras en direction de deux plaisantes surprises que nous avait réservé le festival.

 

Quatrième film de la compétition, Hell a bien porté son nom pour les spectateurs de l'Espace Lac. Non pas que le premier film du jeune suisse, Tim Fehlbaum, soit une abomination filmique, bien au contraire. Ce sont juste les conditions de la projection qui furent tout sauf à la hauteur de l'événement. On a du effectivement subir pendant plus d'un quart d'heure la projection du film en format 4/3 anamorphosé. Pour rentrer dans cet univers post apocalyptique, il y a chose plus aisée. Et pour finir en beauté une projection ratée, on eut le droit à une incrustation d'une ligne de sous-titres sur un final muet et émouvant. C'est dire que pour sortir enthousiasmer de cette production Roland Emmerich, il fallait que Tim Fehlbaum soit à la hauteur des fantômes hautement identifiables du cinéma fantastique qu'il cite plus ou moins consciemment.  Et force est de reconnaître que si le script de ce survival en milieu barbare pour trouver un précieux coin d'eau, ne joue pas la carte de l'originalité (on voyage entre Mad Max et The Road), son emballage est rudement bien maîtrisé par le jeune réalisateur. S'appuyant sur des décors bluffant de réalisme (la Corse calcinée par les incendies ayant parfaitement fait l'affaire), sur une photo aux teintes surexposées qui créé parfaitement l'illusion d'un soleil ravageur, et des comédiens toujours justes, Tim Fehlbaum tient solidement la barque de son navire. Qu'importe alors si les rebondissements manquent sérieusement d'audace, il y a ici de toute évidence un réel savoir-faire technique doublé d'une déférence pour le genre hautement appréciable. A même pas 30 ans, les promesses sont excitantes et nous d'attendre le prochain film du jeune homme avec intérêt.

 

 

Si vous êtes Hollandais, vous ne panez probablement rien à ce que vous êtes en train de lire (même cette parenthèse délicate ne vous saura d'aucun secours), mais vous connaissez certainement New Kids Turbo. Un festival néerlandais de grand n'importe quoi, mais surtout trip d'un incroyable mauvais goût... et du meilleur effet. Coupes mulet et jogging fluo se confrontent au rythme d'une techno 90's pour se frotter dans un climat totalement délirant à la question de la crise économique, qui en oublie pour une fois d'être rébarbative. Jamais prise de haut, la bande de ploucs qui compose le haut de l'affiche de cette comédie grotesque et sordide doit beaucoup à l'interprétation tout simplement jubilatoire d'acteurs qui s'en donnent à coeur joie. Saluons au passage une mise en scène étonnamment soignée et efficace, qui n'est pas sans apporter une certaine crédibilité au propos d'un film absurde au possible. New Kids Turbo ose même le gag du "nous sommes à court de fric, les acteurs vont par conséquent vous raconter la suite" dans sa dernière partie, avant de se payer avec férocité les poncifs du cinéma d'action hollywoodien. 

 


 

L'autre film de la compétition et qui fait figure de gros favori avec sa sortie salles prévue en mars et la venue de son réalisateur (un des deux seuls des films en compétition à avoir fait le déplacement dans les Vosges), nous vient d'Espagne et se prénomme Eva.  A Ecran Large, les fans du film ne se bousculent pas au portillon puisque que l'on voit à Venise, à Sitges, à Paris ou à Gérardmer, le résultat est sensiblement le même : un plaisir sympathiquement éphémère. D'où l'envie de vous faire un copier coller de ce que notre Antona avait écrit en octobre dernier (ben oui, le bar nous attend !) : Premier long-métrage du catalan Kike Maillo, Eva propose une intrigue futuriste située en 2041, où un ingénieur de génie (le germano-espagnol Daniel Brühl) tente de créer le robot parfait qui serait capable d'éprouver le libre-arbitre, recherches qui l'amènent à soulever un lourd secret familial, et  à provoquer le dilemme douloureux entre ses choix moraux et  ses désirs  utopiques. Plutôt efficace dans sa mise en scène et des SFX made in Catalogne qui n'ont pas à rougir de la comparaison avec les meilleures compagnies américaines, Eva est malheureusement desservi par une narration mélodramatique qui rappelle les téléfilms diffusés en après-midi pour la ménagère de cinquante ans, et surtout des emprunts plus que marqués à des œuvres telles que Minority Report, Brainstorm et surtout Blade Runner, limitant grandement la portée d'un twist que tout bon spectateur aura anticipé depuis le premier quart d'heure du film.

 

 


 

Après une dégustation de Tornette de Brebis, Simon se fit hélitreuiller jusqu'à la projection de Corman's World : exploits of a Hollywood rebel, documentaire consacré à la carrière pléthorique et protéiforme du mythique mogul hollywoodien. L'occasion de plonger dans un revival dense et enchanteur, une mise en perspective souvent bouleversante de l'œuvre de Corman (toujours actif à 80 ans passés !). Illustré de témoignages fascinants, amenés par des guest prestigieux, visiblement émus, le film laissa la salle groggy d'émotion. Avouons que l'on n'a pas tous les jours l'occasion de voir Jack Nicholson pleurer en évoquant sa relation avec celui qui lui mit le pied à l'étrier... en lui offrant les pires rôles de sa carrière.

 

 


 

Instructif, puissant, nostalgique mais jamais blasé, le documentaire alterne anecdotes et analyses avec un art du montage remarquable. Alex Stapleton parvient à emballer quelques exceptionnelles séquences, à la profondeur inattendue, alors que Roger Corman livre involontairement, tandis que son épouse l'aide à nouer un nœud papillon récalcitrant, le secret de sa carrière. Un témoignage indispensable pour qui se targue d'aimer un tant soit peu le cinéma, et qui aura le mérite de remettre en perspective la course effrénée d'Hollywood au bigger and louder.

 

 

 

Pendant ce temps, espérant se détendre, Aude jeta son dévolu sur Norwegian Ninja. Un gloubi-boulga scandinave absurde et vieillot avant l'heure démarre sur les chapeaux de roues, avec une série de gags jouant du premier degré et donnant raison à la folie promise par le titre, mais se perd rapidement dans une intrigue qui apparaît beaucoup plus compliquée qu'elle ne devrait l'être (rien n'est moins sur, peu de monde dans la salle ayant saisi les tenants et aboutissants du bazar, la faute à un scénario confus et à une mise en scène proprement chaotique). L'humour peine alors à maintenir l'attention d'un spectateur ennuyé et frustré par l'épuisement éclair d'un concept au potentiel totalement fou.

 

L'estomac bien moins plein que l'esprit, la mauvaise troupe se mit en quête d'une auberge hospitalière, prête à déverser par-delà les œsophages asséchés de la team EL des quintaux de lait fermenté. Ce fut chose faite via une audacieuse combinaison de raclette et pierrade, soit la transition idéale avant de s'envoler (façon de parler) jusqu'à la projection du Theatre Bizarre, intrigant film à sketch, réunissant les talents de Tom Savini, Douglas Buck, Karim Hussein, ou encore Richard Stanley, sous l'égide bienveillante de Jean-Pierre Puters (papa de Mad movies), et de sa société Metaluna Productions. Laurent et Simon en sortirent abasourdis, malmenés par une succession de saynètes tantôt drôles, chaotiques, inspirées, malaisantes ou fulgurantes. D'une orgie nourricière, en passant par les angoisses d'une enfant à l'innocence mutilée, sans oublier les expérimentations chirurgicales d'une épouse bafouée, le dispositif s'avère riche, multiple, aussi excitant qu'inclassable. La cohérence de l'ensemble tient notamment à la prépondérance d'une thématique un chouïa angoissante pour tous les mâles occidentaux en manque de patriarcat : le retour en force de femmes prédatrice vengeresse, ou tout simplement débarrassées de leurs pendants masculins. Planquez vos bijoux de famille.

 

 

La Walkyrie de la Team EL dut quant à elle affronter le périlleux Emergo, et ce ne fut pas franchement une partie de plaisir. Rien de neuf sous le soleil, avec cet énième found footage situé à mi-chemin entre Insidious et Paranormal Activity, dont les rares jump scares ne parviendront pas à marquer durablement la rétine du spectateur. Si la résolution oscille entre le je-m'en-foutisme et le ridicule, le plan final, particulièrement stupide et gratuit, finit d'enfoncer le film, jusque là pas si désagréable.

Ce compte-rendu se clôt avec les premiers signes d'indigestion chez nos croisés du fromage. Alors que votre serviteur tape à l'aide de ces doigts gourds d'ultimes sentences alambiquées, Aude lui lance un de ces regards capable d'émouvoir même un bidet de commissariat Syrien. À demain donc, si nous sommes encore de ce monde.

 

* pâtes aux œufs, connue sous l'appellation de triple pontage Alsacien

** également connue sous l'appellation d'entrecôte Vosgéenne

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