LIVRE : Art ludique de Jean-Samuel Kriegk et Jean-Jacques Launier

Nicolas Thys | 21 janvier 2012
Nicolas Thys | 21 janvier 2012
En octobre, les librairies ont vu arriver sur leurs étals un ouvrage volumineux, très imagé et coloré édité chez Sonatine, Art ludique signé Jean-Samuel Kriegk et Jean-Jacques Launier, intitulé d'après le nom de la galerie d'art fondée par ce dernier et située sur l'île Saint-Louis à Paris : Arludik. Quand on sait que cette galerie a notamment organisé en 2005 l'exposition Miyazaki/Moebius, on commence à comprendre ce que les deux auteurs appelle ainsi.

 

 

Comme ils l'expliquent dans leur introduction, l'art ludique, concept qu'ils ont créé à partir d'un manque, le déni de la critique d'art pour certaines formes considérées comme bis, se focalise d'abord sur la bande dessinée, le jeu vidéo et le cinéma graphique, trois formes qui ont en commun le dessin dans leur processus de conception. Certains s'exclameront que la bande dessinée est déjà considérée comme le 9ème art et que le cinéma d'animation fait partie intégrante du 7ème. Les deux domaine ont d'ailleurs à leur actif de nombreuses expositions qui leur sont consacrées et le jeu vidéo commence à entrer au musée. Qu'apportent-ils donc ?


Et bien l'art ludique prend le parti de se détacher en quelque sorte de ces formes achevées sous forme d'album, de jeu ou de film, pour revenir à leur genèse. Les oeuvres terminées les intéressent également, mais le propos de l'art ludique est avant tout génétique et ce qu'ils exposent, montrent ou vendent, ce sont d'abord les « détails » : dessins préparatoires, croquis, esquisses, planches, etc. En cela l'art ludique se rapproche d'une conception ancienne dans l'histoire de l'art, qui vise à conserver et appréhender les oeuvres non simplement par la toile finie mais également par les études ou ébauches qui ont servie à sa conception.

 

 

L'idée est intéressante et mérite d'être creusée. Il s'agit de rendre hommage à quelques formes encore un peu marginalisées en leur attribuant une nouvelle catégorisation afin de montrer leur originalité, ce qui part d'une excellente intention. Les auteurs sont toutefois un peu rapides dans la définition qu'ils donnent de la terminologie « art ludique », assez problématique d'ailleurs. Si le « ludique » vient de la notion sans équivalent en France de « l'entertainment », on peut se demander si le concept peut s'appliquer à des cinéastes d'animation comme Youri Norstein, venu des pays des l'est, avec une véritable touche auteuriste et spécialisé dans le court-métrage comme c'est souvent le cas des films animés. De la même manière, pas sûr que ce qu'on appelle « ludique » en France convienne à tous les types de bande dessinées, jeux vidéo ou film.


On pourra également faire quelques objections plus générales. La principale étant que l'animation et le jeu vidéo puisent leur esthétique et leurs formes principales dans le mouvement et la métamorphose. Les limiter à la fixité de leur graphisme les réduit considérablement et ne les prendre que sous leur angle dessiné c'est ne plus s'attacher qu'à un aspect secondaire. Mais très présent, on ne peut le nier. On peut également se demander si les story-board dessinés des films en prise de vues réelles ne pourraient pas être inclus dans l'entreprise. Certains sont de véritables oeuvres d'art à part entière.

 

 

Ces observations n'enlèvent pourtant rien à la réflexion générale des deux auteurs. Le livre se pose ici davantage comme une introduction visant à interpeler le public et les institutions sur une forme d'art qu'il est nécessaire de mettre en avant, ou comme un essai sur une idée encore neuve et qui devrait prendre de l'ampleur dans les années à venir, que comme une réflexion finie, stable et définitivement posée. On le perçoit dans le premier chapitre, une très belle histoire transversale des trois formes déjà citées, rappels toujours intéressants pour les passionnés et très informatifs pour les néophytes. Et, même si elle se limite aux Etats-Unis, au Japon et à la France, nul doute qu'on verra arriver des travaux plus amples qui complèteront cette approche.


Ce chapitres et les suivants, englobant en tout les 180 premières pages du livres, forment un début de réflexion riches qui s'attache à préciser quelques caractéristiques de l'art ludique, à le replacer dans une réflexion générale sur l'art contemporain, les industries culturelles et le marché de l'art, élément important car les auteurs n'oublient pas la dimension économique, trop souvent mise à l'écart. Certains éléments sont également des pistes de réflexion lancée et nécessiteraient un approfondissement, notamment le chapitre 5 : L'art ludique est il de l'art contemporain ? mais les interrogations proposées et les quelques éléments de réponses, sont des plus intéressants et féconds.

 

 

Au delà de ces propos liminaires, le gros intérêt de l'ouvrage réside dans sa partie sobrement intitulée Panorama, mais qui occupe les 250 pages suivantes. On y trouvera un travail historique et esthétique visant à présenter les travaux de certaines des figures majeures de cet « art ludique » avec de nombreuses images, parfois inédites ou rares. Tous sont des artistes contemporains, certains avec une notoriété mondiale comme Miyazaki, d'autres moins et les découvertes seront nombreuses d'autant que les noms sur lesquels se sont arrêtés Kriegk et Launier naviguent dans toutes les sphères de l'animation, du jeux vidéo ou de la bande dessinées (au sens large du terme) qu'elles soient mainstream ou plus indépendante. Il s'agit là aussi d'introductions à des univers visuels forts et marqués et chacun des auteurs mériteraient d'avoir un livre ou une exposition qui leur serait entièrement dédié.


Art ludique atteint admirablement son objectif : présenter à un public large et varié, comme l'est le public du jeu vidéo, de la BD ou du cinéma, une nouvelle forme d'art créée à partir de celles-ci tout en s'en détachant quelque peu. Et malgré quelques réserves inhérentes à ce type de travail très large et introductif, le livre, écrit dans un style clair et sans jargon, appelle d'autres travaux complémentaires et il permettra certainement, et on le souhaite, l'apparition ou le développement de ces esthétiques nouvelles aux seins des institutions artistiques les plus diverses.

 


 

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