Exercice de l'Etat V.S Les Marches du pouvoir

Simon Riaux | 24 octobre 2011
Simon Riaux | 24 octobre 2011
C'est à un duel inhabituel et à première vue déséquilibré que nous assistons ce mercredi 26 octobre. À ma gauche, George Clooney, acteur superstar et réalisateur engagé, qui nous livre un thriller politique qui vient faire écho à l'actuelle désillusion démocrate. À ma droite Pierre Schoeller, réalisateur du remarqué Versailles, qui tente de relever le défi d'accoucher d'un film qui ne soit ni une thèse bavarde, ni une charge aveugle et maladroite. Si les États-Unis se sont fait une spécialité d'ausculter leur histoire et l'actualité, l'exercice n'a pas encore séduit chez nous, et il faut remonter jusqu'au Bon plaisir pour trouver une oeuvre qui ait su véritablement s'imprégner de son époque. Pour autant, le match est loin d'être gagné d'avance...


 
 
 

 

 

 

Le meilleur président ?

Georges Clooney : Dark Morris

Voilà un domaine où Les Marches du pouvoir ne peuvent que marquer des points. Si la prestation de ce bon George sent le cabotinage et la fausse mise en danger à plein nez, on éprouve instantanément un immense plaisir à le voir ainsi camper le fantasmatique candidat Morris, aux terribles zones d'ombre. Et c'est avec délectation que Clooney fera brusquement basculer son personnage, le temps d'un plan ultra-référentiel et un brin convenu, mais profondément jubilatoire.

 

 

 

 

Stéphan Wojtowicz : mon nom est personne

Le président est ici un être insaisissable, redouté, haï, courtisé, critiqué, son absence manifeste rend sa présence presque fantastique, et redoutable. Les rares séquences où il nous sera dévoilé donneront au film tout son sens, celui d'une fable vertigineuse et cruelle, où le léviathan impersonnel qu'est devenu l'état n'apparaît plus que pour broyer ses serviteurs. Voilà un président sans doute moins roublard que Clooney, mais autrement plus marquant.


 

 

 

 

Le meilleur homme de l'ombre ?

Ryan Gosling : la jeune fille de l'eau

Une fois n'est pas coutume, le personnage interprété par Ryan Gosling est la grosse faiblesse du film. Non pas que ses talents de comédiens soient en jeu, mais on a bien du mal à croire en ce surdoué de la communication, demeuré curieusement idéaliste, voire bêtement naïf, et qui ira tout le long du film se jeter systématiquement dans la gueule du loup.

 

 

 


Michel Blanc : le joueur d'échecs

À des lieues des hypocondriaques maniaco-dépressifs auxquels il nous avait habitué, Michel Blanc est impérial en vieux briscard de la politique. Il compose un directeur de cabinet qui tentera une dernière fois de conjuguer ambition, idéaux, et sens de l'état, dont les choix s'avéreront lourds de conséquences. Le moindre de ses regards éveille chez le spectateur un sentiment de vertige, tant l'homme et ses dilemmes passionnent. Blanc parvient à nous offrir l'une des trop rares incarnations de notre homme politique moderne, conscient de ses défis et de ses échecs, au bord de l'abîme, qui aurait cru que le héros tragique de cet hiver serait un technocrate sur le retour ?

 

 

 


La meilleure femme de l'ombre ?

Evan Rachel Wood : La chatte sur un toit brûlant

Non pas que le personnage de la jeune stagiaire arriviste, gaulée comme une déesse modérément farouche, soit d'une originalité à toute épreuve, mais force est de reconnaître que l'actrice sait lui donner une dimension... remarquable. Plus sérieusement, on saluera ici sa performance, à savoir réussir à faire d'un personnage plutôt inconsistant sur le papier une véritable tornade de charisme et de sex-appeal, tout cela sans mettre de côté une certaine sensibilité. Vous n'aurez jamais autant espéré vous réincarner en col de chemise.

 

 

 

 

Zabou Breitman : La dame de fer

Dans son rôle de communicante glaciale, Zabou fait des merveilles. Il ne sera pas question ici de nous mettre les sens en émoi, nos neurones eux, seront titillés de la plus noble des manières. Sans verser dans la caricature facile ou le cliché hypocrite, la comédienne est une parfaite incarnation de notre ère de la communication reine, de l'image toute puissante, et la voir mettre sur pied une « séquence émotion » relève autant de la comédie noire que de la charge subversive.


 

 

Le meilleur rebondissement ?

La règle du jeu :

Si pendant l'intégralité de son film, George Clooney confond Mickey et Machiavel, il se réveille le temps d'une formidable séquence, où Paul Giamatti révèle et sa veulerie, et la mécanique implacable qu'il a mise en place. Il est paradoxal de voir que le long-métrage, convaincu de sa finesse, ne renoue avec qu'au moment de dévoiler ses ficelles, sous les yeux ébahis d'un Ryan Golsing dont la sidération est hélas difficilement crédible.

 

 

 


Jour de tonnerre :

Après des années de pamphlets simplistes ou d'analyses verbeuses, ce qui frappe dans le film de Pierre Schoeller, c'est le retour en force du réel. Qu'il s'agisse de la carcasse dégoûtante de sang d'un bus accidenté, ou des envahissants écrans téléphoniques, la réalité s'insinue par tout les pores du récit, et ne cesse de nous gifler, jusqu'à une séquence paroxystique et formidablement cruelle. Il suffit au réalisateur d'un accident de voiture hyper-réaliste et violent pour raccorder réalisme et symbolisme, puis accoucher de la plus estomaquante métaphore de notre avenir politique.

 

 

 




Verdict ?

Dans la catégorie film politique de l'année, Écran Large a élu L'Exercice de l'état, dont la virtuosité a littéralement scotché notre équipe Cannoise, qui avait pourtant déjà eu de quoi se mettre sous la dent avec Pater et La Conquête. On se réjouit de constater que pour une fois, c'est le cinéma francophone qui aura su le mieux capter les tenants et aboutissants d'un contexte délétère et nous faire sentir combien ce constat est, hélas, universel. Pierre Schoeller n'a jamais recourt aux effets faciles, ne nous fait pas de fausses promesses, sa victoire est baignée d'une lumière crue, souvent aveuglante, mais toujours salvatrice.

 

 

 












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