Quand les femmes prennent les armes
La Femme. Créature innocente, frêle et gracile, soumise et souriante, bouche en cœur et brushing parfait. Une image d'Epinal dont ont longtemps souffert les personnages cinématographiques féminins, cantonnés à des rôles de supports à des protagonistes virils, charismatiques et protecteurs. Mesdames, Messieurs, le glas de cette époque a sonné. Zack Snyder nous offre, avec un Sucker Punch qui redonne à la gent féminine les armes qui lui reviennent de droit, l'occasion de revenir sur les grandes figures du girl power au cinéma. Attention, ça va faire mal. Au sens propre.
Le cinéma d'exploitation, révélateur d'icones féminines (istes ?)
Amasser dans de modestes salles obscures un maximum de badauds en quête de sensations fortes ; tel est l'ultime objectif du cinéma d'exploitation, qui porte bien son nom. Dans cet univers de sexe, de débauche, de monstres en carton pâte et de tabous éclatés en tous genres, une tendance se distingue : celle des femmes emprisonnées. Jadis rebelles, désormais dociles et soumises aux moindres fantasmes sado-masochistes de leurs matons, de préférence cruels, les donzelles emprisonnées ne sont pas, de prime abord, un étendoir très valorisant pour la condition féminine. Humiliations, viols, agressions sont le lot commun d'un genre popularisé dans les années 1950 par des films comme Caged ou Women's prison. C'était sans compter sur l'apparition de figures fortes prêtes à prendre les armes pour combattre l'asservissement. En 1971, les salles américaines accueillent The Big Doll house, un film de prison réalisé par Jack Hill, petit protégé de Roger Corman, vétéran de la série B s'il en est, particulièrement friand des bagnes plantés dans un décor de rêve (nombre des films de prisons pour femmes seront tournés aux Philippines, havre de la main d'œuvre cinématographique peu coûteuse). Parmi les détenues, une certaine Pam Grier, Afro-américaine de 22 ans, plantureuse et tête-brûlée. Elle s'alliera à ses comparses pour éliminer le personnel pénitentiaire et retrouver la liberté. C'est le début d'une belle carrière dans le cinéma d'exploitation au cours de laquelle Grier enchaînera les rôles de femmes fortes avides de revanche et de justice, flingue au poing et hargne dans le regard. Première figure féminine du cinéma de blaxploitation, elle incarne la justicière bad-ass et insoumise, qui connaîtra le succès planétaire avec Foxy Brown, en 1974, lequel propulse Pam Grier au rang d'égérie, symbole du pouvoir féminin. Un peu plus de 20 ans plus tard, et après quelques déconvenues de carrière, Quentin Tarantino ramène Pam Grier sur le devant de la scène avec Jackie Brown, hommage vibrant à la blaxploitation qu'elle a marqué au fer rouge. L'androgyne Grace Jones se posera, dans les années 80, comme l'héritière de cette héroine au tempérament de feu, en campant des personnages redoutables dans des films comme Dangereusement vôtre et Conan le Destructeur.
Les années 1960 sont également marquées par l'avènement d'une actrice qui, après un parcours chaotique, parvient à se faire un nom en un film : Tura Satana. Courbes indécentes comprimées par une combinaison de cuir, regard sévère et crochet facile, la Japonaise devient avec son personnage de Varla, dans Faster Pussycat ! Kill kill !, une icône du cinéma d'exploitation, mais surtout de la représentation du pouvoir féminin à l'écran. Nulle question de justice ou de délivrance ici ; chef d'un gang féminin, Varla tue (à mains nues, s'il-vous-plait), kidnappe, et échafaude des plans pour piller la fortune d'un vieil homme. Un rôle de composition pour une femme au tempérament explosif forgé à l'instinct de survie après que la vie lui a imposé une succession d'épreuves abominables, et doté d'un bagout peu commun pour son époque. Violée à l'âge de 9 ans, elle fondait, adolescente, un gang et, justicière dans l'âme, apprenait les arts martiaux pour « botter le cul des mecs qui commençaient à ennuyer les jeunes filles du quartier ». Le 4 février 2011, elle laissait toute une communauté en deuil, après des dizaines d'années à faire preuve d'une disponibilité exemplaire à l'égard de ses innombrables fans, et à marquer ses interviews d'un humour formidable. Les excellents documentaires Machete Maidens Unleashed et American Grindhouse rendent hommage à ce cinéma déviant et aux icones qui l'ont marqué.
« Pas de destin, mais ce que nous faisons »
La femme du XXIème siècle est, on l'aura compris, une battante. Elle combat l'oppression, s'élève contre l'injustice et se révolte lorsqu'on la brime. Qu'elle prenne les armes par conviction ou par nécessité, elle se bat jusqu'aubout.
S'il ne fallait en citer que deux, ce serait les suivantes. Mères spirituelles des héroïnes au cinéma, (com)battantes en diable, elles ont apporté aux premiers rôles féminins une dimension nouvelle. Le lieutenant Ellen Ripley, interprété par Sigourney Weaver, ultime survivante des hécatombes dont se sont rendus responsables les extraterrestres phalliques que chacun connaît, a donné à la saga Alien toute son identité. De simple ingénieure, elle devient progressivement une véritable guerrière, solitaire et indépendante, parfois violente et cruelle (un aspect développé dans Alien, la résurrection), en lutte incessante contre un ennemi devenu personnel. Autre icône de la science-fiction, Sarah Connor. Jeune serveuse américaine, sa vie bascule quand un androïde Terminator est envoyé d'un futur contrôlé par les machines pour l'exterminer avant qu'elle ne donne naissance au chef de file de la Résistance. Prise en chasse, traquée, contrainte d'assister au meurtre du père de son futur enfant, Sarah, à l'imagede Ripley, n'a d'autre choix que de prendre les armes pour sauver sa peau, et celle d'une humanité en perdition. Linda Hamilton (à l'époque compagne de James Cameron, réalisateur des deux premiers opus de la saga Terminator) donne tout son relief à un personnage, de prime abord fragile et timide, devenu combattif et redoutable.
De survie, il en est également question dans The Descent, où Neil Marshall confrontait un groupe de charmantes spéléologues à une armée de créatures mutantes carnivores et, en l'espèce, relativement affamées. Cette lutte marque la naissance de véritables furies, revenues à un état primitif, abandonnant la morale et la retenue, dans des circonstances où la civilité devient dérisoire. Trahisons, vengeances et massacres rythment le parcours de ces femmes guidées par leur instinct de préservation, qui, de fuyardes, deviennent combattantes, et fraient leur chemin à grands coups depioches dans le crâne.
Les battantes sont encore une fois à l'honneur dans le très graphique Sin City. Dans un registre plus idéologique,le film de Robert Rodriguez dresse les portraits de personnages féminins unis par une même soif de liberté et de justice. Dans une ville rongée par la corruption et la violence, un groupe de prostituées ont la mainmise sur le vieux quartier et descendent froidement quiconque s'en prend à l'une des leurs.
Le cinéma d'action asiatique, quant à lui, a toujours offert aux personnages féminins un rôle de choix. La Malaisienne Michelle Yeoh est incontestablement la digne représentante des films d'arts martiaux portés par une héroïne. Partenaire àl'écran de Jackie Chan et Jet Li, James Bond girl dangereuse et athlétique dans Demain ne meurt jamais, qui lui permet d'être élevée au rang de star hollywoodienne, elle a débuté sa carrière dans les années 80 pour ne jamais connaître de déclin. En 2000, le film d'Ang Lee Tigre et Dragon, gigantesque succès au box-office, offre la consécration absolue à cette actrice de poigne qui effectue elle-même la plupart de ses cascades, et s'est depuis mise à la production.
Certaines actrices montrent une indéniable fidélité à l'égard des personnages de femmes fortes et redoutables. Angelina Jolie en est le parfait exemple. Après avoir acquis une renommée internationale avec son incarnation du personnage vidéoludique culte de Lara Croft, elle a enchaîné au fil des années les têtes d'affiche de films d'action. Tantôt agent secret (Mr and Mrs Smith, Salt, The Tourist), tueuse à gages (Wanted), créature démoniaque (Beowulf), elle incarne la femme fatale à la détermination de plomb et la gâchette facile. Hargneuse, bagarreuse, Michelle Rodriguez joue dans un tout autre registre. Après s'être fait connaître comme ado difficile dans Girlfight, elle a rarement abandonné les armes par la suite, dans des films comme Resident Evil, SWAT ou plus récemment, Battle Los Angeles.
Sois belle et bats-toi
Les justicières et bagarreuses en tous genres doivent, ne nous leurrons pas, répondre à certains critères physiques. Dans certains métrages, la balance penche plus particulièrement du côté du glamour que des idéaux...
Barbarella (Jane Fonda), chargée par le président de la Terre de retrouver le savant à l'origine de la création d'une arme destructrice, incarne l'aventurière téméraire et sensuelle, dans un film de Roger Vadim de 1968 irrigué par l'érotisme : les pilules ont remplacé les rapports sexuels, lesquels sont consentis par notre héroïne en guise de récompense capable de miracles (Barbarella rend ainsi à un ange son aptitude à voler) ; le diabolique Durand Durand entreprend quant à lui d'éliminer l'aventurière à l'aide d'une machine à orgasmes délétère.
Charlie et ses drôles de dames, adaptation cinématographique de la série culte des années 1970, propose de voir trois belles et brillantes jeunes femmes travaillant pour une agence de détectives privés combattre le crime et envoyer les délinquants derrière les barreaux, un rôle traditionnellement réservé aux hommes. Voir Cameron Diaz, Lucy Liu et Drew Barrymore effectuer des cascades dans les airs, exécuter des prises de karaté au ralenti, sauter d'hélicoptères en plein vol, le tout moulées dans d'improbables tenues et entre deux scènes de séduction, est un spectacle pour le moins divertissant, qui a le mérite de dépoussiérer une série ultra-culte, à défaut de dresser un portrait percutant d'icones féministes.
Tanya Roberts, ex-interprète d'une des Angels de la série précédemment citée, fait figure de représentante de ces sex-symbols d'Hollywood dont les moues et poses lascives sont plus convaincantes que leur hargne. Sheena, reine de la jungle représente ainsi un énième prétexte pour exhiber l'impeccable plastique d'une Roberts en micro-combinaison en peau de bête, qui se baigne nue dans les cascades, traverse des volutes de poussière en chevauchant un zèbre au ralenti, et écarquille ses grands yeux bleus.
Vengeance,vous avez dit vengeance ?
La question des combats portés par les femmes au cinéma ne serait rien sans l'inusable thème de la vengeance. Qu'elles agissent par revanche à l'encontre de leurs bourreaux, après des années de supplices (Les Diaboliques de Clouzot, Carrie), pour exterminer les assassins des êtres aimés (La mariée était en noir, dont Tarantino a toujours nié l'influence pour son Kill Bill, La main sur le berceau), ou encore afin de rétablir leur justice bien personnelle (Lady Vengeance, ultime œuvre d'un triptyque de la vengeance entamé par Park Chan-wook en 2002), les femmes bafouées, violentées, trompées ont fait les grandes heures du cinéma.
Un thème que Quentin Tarantino, qui n'a jamais cherché à dissimuler sa fascination pour la gent féminine, a pris grand plaisir (et nous avec) à exploiter. Dans Kill Bill, Beatrix Kiddo (Uma Thurman survoltée), ex tueuse à gages, se voyait douloureusement sanctionnée pour avoir manifesté sa volonté de se retirer du crime : laissée pour morte le jour de son mariage, privée de l'enfant qu'elle attendait, elle se met en quête des ses anciens complices, responsables du massacre, avec à leur tête le fameux Bill (David Carradine). Festival de combats sanglants et furieux, Kill Bill s'est immédiatement imposé comme la référence contemporaine du film de vengeance féminin. Boulevard de la mort, quant à lui, s'intéresse à quatre amies, repérées par un ancien cascadeur (Kurt Russell) reconverti dans la traque et le meurtre de jeunes filles à l'aide de sa voiture. Manque de chance pour ce dernier, ses dernières proies se trouvent être des cascadeuses bien plus coriacesque ses victimes passées... Le dernier acte, absolument jouissif, de Boulevard de la mort fait acte de revanche absolue du beau sexe contre un ascendant physique machiste (tout y est : voiture, gueule burinée, regard lubrique).
Sous-thème transgressif du film de vengeance, le rape and revenge repose quant à lui sur la revanche d'une victime violée. Genre prolifique, souvent décrié (car accusé de voyeurisme et prétexte à des plans douteux), il compte parmi ses références La dernière maison sur la gauchede Wes Craven, ou encore I spit on your grave, film suivant la vengeance d'une journaliste new-yorkaise contre les quatre hommes qui l'ont battue et violée, et qui a fait l'objet d'un remake en 2010. Provocateur, subversif, le rape and revenge est plus souvent l'expression d'un cinéma scopophile plutôt que le reflet d'une réelle volonté de bouleverser les mœurset de s'élever contre la perversion et les brimades infligées aux femmes.
Partenaires de choc
Enfin, parfois, la Femme sait se faire discrète pour mieux conquérir. Oui, elle peut aussi se faire aide précieuse, compagne efficace, acolyte dévastateur. En témoigne Sandahl Bergman, Valéria dans Conan le Barbare, guerrière féline, mystérieuse, bien loin des minauderies de ses comparses de l'époque. Elle n'est ni la simple exécutante, ni l'atout charme d'un film bodybuildé ; pendant féminin de Conan, ces deux là décident d'unir leurs forces, à pied d'égalité.
Dans la famille Je-délaisse-les-Barbies-pour-les-flingues, citons Hitgirl, adorable fillette maniant le sabre et le revolver comme personne pour aider Papa Cage à éliminer la racaille (Kick Ass). En 1993, le Léon de Luc Besson mettait quant à lui en scène une certaine Natalie Portman, jeune orpheline sous l'aile d'un tueur à gage dont elle exige qu'il lui enseigne les ficelles du métier afin qu'elle se venge du massacre de sa famille. Le film faisait suite à Nikita, junkie interprétée par Anne Parillaud qui se voyait offrir un choix ultime : la mort, ou une reconversion en tant qu'agent du gouvernement. C'est la transformation progressive d'une petite frappe en une professionnelle du meurtre, ultra-entraînée aux combats et au maniement des armes.
Le cinéma de genre a prouvé à maintes reprises son attachement aux personnages féminins déviants, et concurrençant facilement la malfaisance ou la détermination de leurs complices masculins. Sheri Moon Zombie, compagne et égérie du métalleux du même nom, n'a, dans La Maison des mille morts et The Devil's rejects, en effet rien à envier à sa famille dégénérée. Déjantée, perverse à souhait, elle séduit et exécute sans l'ombre d'un remords. Dans les rôles de justicières, à l'inverse, on retrouve dans Machete, Jessica Alba et Michelle Rodriguez, toutes deux au bras d'un Danny Trejo engagé dans la défense de son peuple et de son nom. Des associées qui n'ont pas froid aux yeux (ou à l'œil, sans mauvais jeu de mots), aussi ensorcelantes qu'assoiffées de justice. A l'image d'Amber Heard, promise à un avenir radieux dans le cinéma de genre ; alliée de Nicolas Cage dans Hellrider, elle plaque sans concessions boyfriend violent et job pourri pour rallier la cause d'un illustre inconnu parti sur les traces de sa fille, enlevée par une secte sataniste.
La tendance ne risque pas de s'inverser en 2011 ; Sucker Punch lance le mouvement avec une véritable ode au courage féminin, et sera suivi de près au mois d'avril par des films comme Scream 4 (l'occasion de revoir Neve Campbell et Courtney Cox aux prises avec le fameux Ghostface), La Proie (avec Alice Taglioni en femme-flic), ou encore Les nuits rouges du bourreau de Jade, thriller sensuel explorant les thèmes de la douleur et du plaisir. La poupée ingénue et vulnérable est décidément bien loin.