Tron, le pourquoi d'un phénomène

Simon Riaux | 9 février 2011
Simon Riaux | 9 février 2011

Le Tron nouveau est arrivé ! Attendu depuis plus de deux décennies par les uns, fustigé d'entrée de jeu par les autres, n'y voyant qu'une reprise cynique d'une oeuvre culte par accident, Tron Legacy déchaîne les passions. Mais pas seulement, pour nombre de spectateurs, le film reste le domaine réservé des geeks, une référence incantatoire évoquée avec déférence et au look un peu hermétique, à la fois pertinent et suranné. D'où l'incompréhension de certains devant cette suite à la fois candide et parfaitement maîtrisée, sommet et enfance du genre. Histoire de remettre les pendules à l'heure, voici une petite mise en perspective, de quoi se rappeler comment et pourquoi Tron est devenu le monument devant lequel toute une génération feint aujourd'hui de se prosterner.

Kevin Flynn est un programmeur touche-à-tout, un génie de l'informatique. Mis à pied par la société Encom, il a vu son travail pillé, mais ne l'entend pas de cette oreille. Secondé par ses anciens collègues, il s'introduit dans les locaux de son employeur pour y trouver les preuves du forfait. C'est sans compter que l'intelligence artificielle qui a pris petit à petit le contrôle de la société, le Maître Contrôle Principal (MCP), qui le numérise et l'enferme en son sein, dans le système informatique d'Encom. S'engage alors un combat sans merci entre l'homme et la machine au sein de cette dernière.

A bien y regarder, le synopsis du film est d'une simplicité étonnante. Tout y est linéaire, manichéen. L'originalité et la force du projet résident non dans son scénario, mais dans un principe qui en découle indirectement. L''informatique, revendiquée comme berceau physique d'une nouvelle science-fiction, devient une matrice de l'imaginaire. Si Tron n'est pas le premier à aborder cette question, il le fait frontalement, de sa première à sa dernière image, et sans aucun cynisme ou second degré. Pour bien comprendre l'importance du concept, un retour en arrière s'impose. Le film a été conçu a une époque où les ordinateurs étaient loin de leur déferlante actuelle, réservés au monde professionnel et aux industries de pointe, on en trouve encore quasiment aucun dans les foyers du monde occidental. À titre d'anecdote, les effets visuels, révolutionnaires pour l'époque, ont été intégralement réalisés SANS souris. En effet, le précieux gadget était alors uniquement destiné à l'armée et n'avait pas encore été commercialisé dans la sphère privée.

Du coup imposer au spectateur l'ordinateur et son monde intérieur comme horizon ultime de l'imagination relève à la fois de l'idée visionnaire et du suicide commercial. Pourtant Disney, qui était au début des années 80 dans une période creuse et cherchait à se renouveler via des films live, n'est pas allé chercher les plus manchots des collaborateurs. Syd Mead (Blade Runner, Star Trek, Alien) se charge de designer les véhicules, Moebius dessine les costumes des personnages. Ces deux éléments sont depuis devenus emblématiques de Tron, et pour cause. Cela n'a l'air de rien, mais les motos luminescentes du film sont des symboles reconnaissables entre mille. En basant ses affrontements mécaniques non plus sur la vitesse ou la puissance de tir mais sur la gestion de l'espace, le film acte d'une nouvelle dimension, ouvre une brèche thématique puissante. Et ces personnages parcourus de raies lumineuses...

Voilà une profession de foi dans le devenir machine de l'homme, exécutée avec une pureté et une intelligence enfantine. De là à citer le Danger de la Technique, de Martin Heidegger, il n'y a qu'un pas... De tout cela naît une poésie saisissante, encore puissante à la vision de ce premier Tron, malgré les nombreux outrages du temps. Loin d'un space opéra, réfutant tout autant l'esthétique cradingue à la Blade Runner, l'univers du film apparaît immédiatement hors du temps, et réalise ce tour de force de réunir concept visionnaire et pure innocence de l'art.

Le mélange de futurisme et de classicisme de Disney se conclura comme chacun sait par un échec au box-office, mais un succès indiscutable sur le long terme. En effet, pas besoin d'être un génie pour voir que l'esthétique de Tron a inspiré le design contemporain. Steve Jobs ne s'est par exemple jamais caché d'être un grand fan du long-métrage, ni d'avoir réutilisé les lignes pures et fines du film pour concevoir ses premiers iMac. La statue en forme de grille qui trône devant le siège d'Apple à New York constitue à ce titre un hommage de première classe. Certains palaces, comem le Murano, n'ont pas hésité à s'inspirer de l'apparence électronique du long-métrage pour leurs propres intérieurs.

On pourrait énumérer pendant des heures, et avec plus ou moins de bonheur, la quantité d'oeuvres à avoir pillé, repris ou rendu hommage, visuellement et thématiquement au film. Chacun est libre de le faire et d'en débattre, en arpentant les innombrables pages consacrées sur le web à ce qui est devenu au fil des années un monument de science-fiction. La meilleure chose à faire, pour qui aura été (à nouveau) séduit par ce monde binaire et électronique, est peut-être de s'abandonner devant Tron Legacy. Beaucoup s'indigneront devant un scénario linéaire et facile, outrés par le recyclage de bon ton d'un univers encensé par la culture populaire. Ceux qui auront (re)vu l'original sauront que cette naïveté et cette candeur étaient déjà présentes dans Tron, et s'inscrivent logiquement dans sa suite. Enfin, si la surprise et la fraîcheur ne sont plus là, nous pouvons tout de même nous réjouir de voir cet univers splendide renaître avec une telle maîtrise, alors que l'original commençait à vieillir sérieusement.

 
 
 
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