Cannes 2010 : focus sur la sélection officielle

Thomas Messias | 17 avril 2010
Thomas Messias | 17 avril 2010

La voilà donc, la sélection officielle du Festival de Cannes. Elle n'a pas attendu d'être complète (un à trois films devraient bientôt s'ajouter à la liste) pour faire parler d'elle et nourri quelques envies... et pas mal de déceptions. Les fans de Malick, Van Sant et autres ont en effet de quoi faire la moue. Mais parce que Cannes est toujours un formidable vivier de découvertes et de sensations, voyons un peu de quoi il retourne vraiment. Avec juste un peu de mauvaise foi çà et là.

 

 

On s'en fout

Quatre ans après Indigènes, et après la mortifère parenthèse London river, Rachid Bouchareb retrouve Roschdy Zem, Jamel Debbouze, Sami Bouajila et Bernard Blancan - Samy Nacéri avait piscine - pour Hors la loi, un film sur l'indépendance de l'Algérie qu'on imagine déjà bouleversant de dignité, incarné à la perfection par un casting photocopié sur celui d'Indigènes, et suffisamment pédagogique pour être montré dans les cours d'histoire. Soit le genre de film ennuyeux à mourir qui pourrait recevoir une récompense consensuelle comme le prix du jury, ou pourquoi pas un prix spécialement créé pour le film (Prix de la Fraternité, ce genre de choses).

 

 


 

 

Alejandro Gonzalez Inarritu sera lui aussi à Cannes, mais ses fans s'inquiètent déjà : quoi, Biutiful ne serait pas un film choral et déconstruit sur la puissance sacrificielle du destin et la symphonie destructrice qu'est la fatalité ? Quoi, l'effet papillon n'aurait rien à faire dans cette histoire ? A priori non, mais on fait confiance à AGI pour faire chialer ses admirateurs par d'autres moyens. Cette histoire d'un homme vivant en marge et se battant pour que ses enfants deviennent des gens bien en a effectivement le potentiel.

 

2010 marque aussi le retour de Mike Leigh en compétition, lui qui remporta par le passé un beau prix de la mise en scène (Naked) et une Palme imméritée (Secrets et mensonges). Sûr de lui et ménageant ses effets, Leigh a pour l'instant refusé de dévoiler la thématique de son film Another year, mais la photo ci-dessous suffit à indiquer que ce sera la même cuisine que pour l'ensemble des films qu'il a réalisés depuis quasiment quinze ans : des gens qui picolent, qui rient bruyamment, qui mangent des fish and chips et qui finissent par se chialer dans les bras en se demandant pardon pour des trucs sans importance. Alors franchement, Mike, que tu fasses ton mystérieux nous importe assez peu, et on se contenterait presque de la photo ci-dessous au lieu d'aller voir ton film.

 

 

 

 

Quatre ans après Mon frère est fils unique, Daniele Luchetti a réalisé La nostra vita, sur un ouvrier romain qui décide de gagner plus d'argent. Ce pitch bigrement excitant nous rappelle que le cinéma italien des années 2000, malgré le feu de paille Marco Tullio Giordana ou le mirage Michele Placido, ne cesse de s'enfermer dans un carcan social absolument ennuyeux et répétitif. A-t-on vraiment envie de voir un tel film concourir pour la Palme ? Franchement ?

 

 


 

 

 

C'est excitant (pour de mauvaises raisons)

Après avoir remaké le 12 hommes en colère de Sidney Lumet, Nikita Mikhalkov revient avec Soleil trompeur 2. Oui, Soleil trompeur 2, vous ne rêvez pas. Et comme le russe semble avoir littéralement pété les plombs depuis quelques années, comme les premières images annoncent quelque chose d'absolument hénaurme, on se dit qu'il y a sans doute moyen de beaucoup s'amuser devant cette grosse fresque qui fleure bon la macédoine.

 

 

 

 

 

Ah oui, il y a Doug Liman en sélection. Doug Liman. Un réalisateur bien parti avant de se prendre les pieds dans son propre orgueil de livrer Mr. & Mrs. Smith et surtout Jumper, bon gros gâchis assez désagréable. Le voir débarquer sans crier gare avec Fair game (oui, comme le film avec Cindy Crawford), un thriller politique avec Naomi Watts et Sean Penn,a quelques chose de profondément perturbant : y avait-il cette année si peu de films américains potables (ou terminés) que les sélectionneurs ont dû se rabattre sur le premier venu, un divertissement vaguement polémique ? Ou Liman va-t-il parvenir à nous surprendre, nous souffler avec une oeuvre différente et subversive ? Le doute est permis.

 

On s'interroge aussi concernant Xavier Beauvois et son Des hommes et des dieux, affrontement entre des moines et des fondamentalistes. De grands cinéastes aujourd'hui disparus ou un artiste tel que Bruno Dumont auraient sans doute excellé sur un tel sujet. Concernant Beauvois, très bon réalisateur au demeurant, on se demande bien ce que ça peut donner : deux heures de conversations sur le sens de la vie et les différentes façons de concevoir sa religion, ça peut légitimement faire très peur. Une curiosité, forcément.

 

Quant à Tournée, le film de Mathieu Amalric, il est d'ores et déjà précédé d'une excellente réputation, mais son sujet (un road movie mené par une bande de strip teaseuses burlesques) a de quoi effrayer ou réjouir, c'est au choix. Cela annonce un OVNI dans la sélection, qui pourrait bien plaire à un Tim Burton sans doute plus sensible aux bizarreries filmiques qu'aux films plus sages.

 

 


 

 

On ne les connaît pas (et c'est tant mieux)

Après avoir proposé l'an dernier une sélection composée uniquement ou presque de noms déjà connus et reconnus, Cannes 2010 a au moins le mérite de tenter plusieurs paris dont l'avenir déterminera s'ils furent judicieux ou non. Que ceux qui connaissent Mahamat Saleh Haroun, réalisateur de Daratt (saison sèche) en 2006, lèvent la main. Il faudra pourtant apprendre à le connaître, le monsieur en question revenant avec Un homme qui crie, sur la situation au Tchad.

 

De même, qui connaît Sergei Loznitsa ? Peu de monde, forcément, puisque son You. My joy. est la première fiction de ce spécialiste du documentaire. Le film suit un camionneur ukrainien souffrant de la situation politique de son pays. On verra bien.

 

Vieux briscards (ça passe ou ça casse)

Le festival 2010 marque le grand retour aux affaires de quelques cinéastes partis ces derniers temps explorer d'autres contrées. C'est le cas de Takeshi Kitano, dont le Outrage semble marquer un retour au calme après une trilogie de la création qui en a déstabilisé plus d'un. Le film tourne en effet autour du crime organisé...

 

Quant à Bertrand Tavernier, il revient en France et à un cinéma plus classique après la parenthèse Dans la brume électrique. Avec son casting tiré à quatre épingles, La princesse de Montpensier sera-t-il un Tavernier conventionnel ou ira-t-il au-delà de la simple romance filmique ?

 

Abbas Kiarostami revient lui aussi à Cannes, et ne pourra gagner la Palme sans une bonne grosse polémique puisque son actrice Juliette Binoche figure sur l'affiche. Copie conforme est un film à deux personnages, une galeriste et un écrivain, qui partent en Italie pour quelques heures dans une sorte de Before sunrise / Before sunset à la Kiarostami. Ça sent l'épure à plein nez...

 

 

L'Asie au top

Allez, avouez, vous n'attendez que ça, l'Oncle Boonmee d'Apichatpong Weerasethakul (Jo pour les intimes, et ce n'est même pas une blague)... Le thaïlandais brillant nous annonce un nouveau chef d'oeuvre avec cette histoire d'insuffisance rénale, de fantômes, de réincarnations en singe et autre joyeusetés. Les nombreux (si si) fans de Tropical malady, Syndromes and a century et autres vont se jeter à bras raccourcis sur ce qui constitue l'évènement de la sélection.

 


 

 

La Palme d'Or 2010 sera asiatique ou ne sera pas, puisque le coréen Lee Chang-Dong est également présent avec Poetry, nouveau mélodrame s'annonçant beau et long, à l'image de  tous ses précédents longs (Secret sunshine, Oasis...). Cette fois, le film suit le quotidien d'une grand-mère qui cherche de la beauté dans tout ce qu'elle voit et dans tous ceux qu'elle croise, avant su'il ne soit trop tard.

 


 

 

Un autre coréen fort brillant a toutes ses chances de séduire Burton et son jury : après un Vieux jardin légèrement décevant, Im Sang-soo revient avec The housemaid, remake d'un film de 1960 réalisé par Kim Ki-young, centré sur une relation apparemment immorale entre un compositeur et sa bonne. Le tout tourné sous la forme d'un thriller follement excitant. La première image est déjà très prometteuse...

 

 


 

 

 

Et donc...

Et donc, on a sans doute vu pire, mais on a sans doute vu mieux. une fois encore, les sélections parallèles, à commencer par Un certain regard, semblent mille fois plus excitantes sur cette sélection officielle que quelques ajouts de dernière minute ne parviendront sans doute pas à rendre plus transcendante. À venir sur Écran Large : un panorama des films les plus alléchants des autres sélections...

 

 

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