Deauville Asie 2010 : compte-rendu et palmarès

Thomas Messias | 16 mars 2010
Thomas Messias | 16 mars 2010

Du mercredi 10 au dimanche 14 mars avait lieu la douzième édition du Festival du film asiatique de Deauville. Une édition qui, selon les nombreux habitués, fut sans nul doute la plus décevante qualitativement et quantitativement. Cette année, il était bien difficile de ne pas s'endormir dans les fauteuils du Centre International de Deauville, du Casino ou du Morny, les trois lieux de la ville à avoir accueilli les projections, tant le nombre de films appréciables fut maigre.

 



Vu le tout petit niveau général, l'auteur de ces lignes est d'autant plus frustré d'avoir raté les projection de Judge, du chinois Liu Jie, lauréat du Grand Prix 2010 décerné par le jury de Pascal Bonitzer. Ce policier mettant en scène un juge ayant perdu sa fille dans un accident perpétré par un voleur de voiture semble a priori mériter son prix si l'on en croit les nombreux festivaliers à avoir été conquis par son intrigue et son ambiance.

 

 


 

Bontizer et ses comparses ont visiblement effectué les bons choix cette année, puisqu'ils ont également décerné le Prix du Jury ex aequo à Paju, du sud-coréen Park Chan-ok, et à Au revoir Taipei, du taïwanais Arvin Chen. Un double accessit qui fait plaisir à voir...
Le premier est un drame très déconstruit autour d'une poignée de personnages tiraillés par une série de tragédies personnelles, dont un logement en voie de destruction et la disparition d'une soeur. Un véritable puzzle construit sur une base de flashbacks inégalement répartis, laissant le soin au spectateur d'effectuer tout le travail de reconstitution sans pour autant annihiler l'émotion intense qui l'étreint d'un bout à l'autre.

 



Le second est une succulente comédie qui part d'une base romantique - la rencontre entre l'employée d'une librairie et un jeune homme qui y vient quotidiennement pour apprendre le français dans un livre et ainqi rejoindre sa copine partie sans lui à Paris - pour dévier en cours de route vers une fable burlesque mettant au prises ce joli duo avec une armée de dandys branquignols plus drôles que dangereux. Partant très doucement pour monter ensuite en puissance, le film atteint son paroxysme au gré d'une dernière demi-heure rythmée et hilarante.

 



On ne sera pas aussi enthousiaste concernant le Prix de la Critique Internationale remis à l'affligeant My daughter, sans doute le pire film de ce festival, vaste compilation de plans esthétisants mais moches, sans réelle cohérence artistique ou narrative, qui semble simplement animée par l'envie de produire du glauque à la chaîne. La malaisienne Charlotte  Lim Lay Kuen peut vraiment s'estimer vernie de repartir récompensée de cette douzième édition tant son film a fait fuir le public, consterné par la longueur excessive de ce film durant... 1h18.

 



L'un des oubliés du palmarès, sans doute trop inconstant et inconsistant pour séduire réellement le jury, se nomme Castaway on the moon, qui brille par l'originalité de son scénario. Le sud-coréen Lee Hey-jun y met en scène un yuppie suicidaire qui, sautant d'un pont de Séoul, dérive jusqu'à un îlot situé à deux pas de la ville mais absolument inaccessible à tous. Se joue alors une sorte de Robinson Crusoé en milieu urbain,avec les buildings à l'horizon mais absolument rien à manger. Décrivant d'abord le quotidien pathétique et désenchanté de ce rescapé malgré lui, le film embraye un peu maladroitement (mais avec sincérité) vers une sorte de comédie romantique "à la coréenne" (dixit les connaisseurs) naïve et improbable mais absolument charmante. Car une jeune hikikomori (quel est le terme en coréen ?) qui prend des photos d'extérieur au téléobjectif finit par tomber par hasard sur notre Robinson... Un film très frais, idéal pour commencer une journée de projection possiblement pesante.


 



Toujours en compétition, l'indien The eternal (réalisé par Rituparno Ghosh) n'avait, malgré ses qualités, pas les armes pour convaincre le jury. Ce drame autour d'une famille de cinéastes, pauvre en rebondissements dramatiques mais riche en bouleversements, relate d'une part la période de deuil qui suit la mort du père, réalisateur renommé, et d'autre part (et en flashback) sa rencontre avec une jeune actrice qui bouleversa sa vie... Sobre, confortable, baroque, un film poignant qui bénéficie d'une interprétation solide mais peine hélas à conclure. Une bonne demi-heure de trop, c'est l'énorme point faible d'une oeuvre qui pourrait cependant réconcilier les ennemis du Bollywood exubérant avec le cinéma indien.

 



Pour en terminer avec la compète (le japonais Symbol et le tadjik True noon ayant également échappé à ma sagacité), signalons l'improbable The king of jail breakers, réalisé et interprété par le japonais Itao Itsugi. Décrivant de façon très sérieuse la vie d'un roi de l'évasion des années 20, tentant même un ultra-réalisme digne de Hunger, le film dérive ensuite vers une sorte de comédie plus ou moins volontaire, construite n'importe comment et truffée de séquences improbables. La plus édifiante, et et peut-être la plus mémorable de toute le festival, est sans doute celle qui revient sur la naissance du héros, filmée en caméra subjective du point de vue du nouveau-né, qui s'évade du ventre de sa mère avant de ramper à toute vitesse pour s'éloigner le plus rapidement possible de sa génitrice.

 




Côté Action Asia, signalons la victoire de The sword with no name, film d'époque du sud-coréen Kim Yong-kyun, primé par le jury de Florent-Emilio Siri au terme d'une compétition apparemment décevante dont le favori déçu était le Bodyguards and assassins du chinois Teddy Chen.

 

 

Parmi les autres films, outre les rétrospectives Lou Ye et Brilante Mendoza (qui livra une master class assez séduisante), étaient présentés d'autres films dans le cadre du Panorama. S'y distingue notamment l'incroyable film de guerre City of life and death, monument en noir et blanc réalisé par le chinois Lu Chuan (Kekexili, la patrouille sauvage), qui narre la siège de la ville chinoise de Nankin par les Japonais en 1937. Le film met environ trois quarts d'heure avant de se choisir enfin des personnages principaux, préférant d'abord montrer la guerre sous son jour le plus global. Se rapprochant ensuite peu à peu, il se mue en une oeuvre d'une dureté absolue qui fait ressortir la monstruosité et la fragilité à fleur de peau de chacun des combattants, sans manichéisme ni propos partisan. Une oeuvre âpre, intense et sans aucun temps mort, et déjà l'un des plus grands films de guerre de ce début de siècle.

 



On pouvait passer rapidement sur All to the sea, téléfilm à la Éric-Emmanuel Schmitt réalisé par la japonaise Akane Yamada, autour d'une libraire, d'un jeune souffre-douleur et de quelques autres. Malgré quelques scènes un peu plus audacieuses que la moyenne et uene fascination certaine pour les pénis (il y a même un personnage qui en est dépourvu), un machin bien planplan et consensuel, voué à un oubli immédiat.

 



En revanche, deux films collectifs méritaient sérieusement qu'on s'y attarde. Et d'abord Sawasdee Bangkok,  compilation de points de vue sur la ville par quatre réalisateurs thaïlandais (dont Pen-ek ratanaruang, réalisateur de Ploy, et Wisit Sasanatieng, cinéaste des Larmes du tigre noir) se distinguant par sa cohérence artistique (passionnant travail sur le son) et thématique (l'infirmité, le souvenir...). Une jeune aveugle qui croit rencontrer un ange, un preneur de son, une automobiliste méprisante sont les quelques héros de ces quatre histoires souvent simples mais toujours empreintes d'une mélancolie assez imparable. Plus étrange, et lui aussi lié à une ville, le chinois Chengdu I love you se compose de deux parties réalisées par les chinois Cui Jian et Fruit Chan (auteur notamment de Nouvelle cuisine). La première se déroule en 2029 et dépeint la double obsession d'une danseuse de samba qui souhaite retrouver le garçon qui l'a sauvée enfant ainsi que l'homme qui a fait souffrir son cousin. Un objet énigmatique et déconstruit. La deuxième partie a lieu en 1976 et montre notamment comment un vieux maître enseigne l'art du thé à deux jeunes gens amoureux l'un de l'autre. Le maniement de la théière vu comme un art martial, c'est tout le sel de cette seconde moitié. Cela donne une oeuvre étrange, qui peine à trouve un vrai lien entre ses deux parties mais pratique la bizarrerie avec une application égale.

 



Autre évènement du festival, qui a apparemment ravi bien des fans : la projection de la version longue de Thirst, soit 2h27 au lieu de 2h17, en vue de la sortie DVD de l'édition collector du film de Park Chan-wook. Ce sera pour août prochain.

 



Au final, un festival sympathique de par la qualité des rencontres effectuées, mais qui manque sérieusement d'âme tant le spectateur solitaire peut trouver le temps long entre deux projections. L'absence de quasiment tous les cinéastes dont les films étaient pourtant projetés montre que Deauville Asie est encore loin d'être devenu un incontournable du genre. Nous verrons l'an prochain si les choses ont une chance d'évoluer dans le bon sens...

 

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