Joss Whedon / J.J.Abrams : à qui le coeur de ces geeks ?

François Provost | 27 mai 2009
François Provost | 27 mai 2009

C'est un fait, Hollywood n'est pas assez grand pour deux geeks. Et alors que les fanboys avaient tendance à soutenir celui qui leur avait amené Buffy et son spin-off Angel sur la base de sa déférence au genre, nombre d'entre eux ont déjà fini de retourner leurs vestes pour se tourner vers J.J.Abrams, représentant révolutionnaire d'une certaine idée du cinéma et de la série TV.

Omniprésent depuis des années, on le découvre sur le tard : A la barre de Felicity, un girl flick avec Keri Russel qu'on ne regarde pas (on retrouvera l'actrice dans Mission  :Impossible 3), puis de Alias, série ultra cool qui le propulse sur le devant de la scène. Il y intronise Jennifer Garner en femme forte, qui botte des culs pour le compte de la CIA ou d'un groupuscule terroriste (ça dépend des saisons), et développe rapidement des intrigues à tiroirs où l'on ne sait plus où donner de la tête. Bête de travail malheureusement appelé à gérer sa nouvelle série (Lost, en 2004), Abrams délaisse Alias qui vire au n'importe quoi au terme de sa troisième saison et perdurera sans éclat jusqu'à sa 5ème.

Lost est d'ailleurs la seule série TV à affoler encore les plumes, 5 ans après sa création. A la base du récit, un groupe de naufragés lutte en vrac contre des d'étranges évènements, des puzzles pervers et la plupart du temps, contre eux-mêmes.
Créée et produite en collaboration avec Jeffrey Lieber et Damon Lindelof, Lost est la plus populaire série dérivée de l'imaginaire créatif de J.J.Abrams, lequel, contrairement à Alias, s'applique à annoncer que la série trouvera sa conclusion au terme de sa 6ème saison, des réponses à la clef. Une promesse pas tombée dans l'oreille d'un sourd, puisque la communauté suivant la série s'échine à essayer d'en découvrir les secrets avant la date fatidique où Abrams rendra les armes, entre cliffhangers imparables et audaces scénaristiques sans pareilles. Ayant saisi le plein potentiel d'Internet, Abrams multiplie depuis les interventions sur tous ses projets, au travers de sites fantômes et jeux de pistes soigneusement préparés. Dans ce multivers virtuel, on retrouve quelques constantes, dont la fameuse boisson Slusho, ayant alimenté le buzz avant la sortie de Cloverfield et les jeux de pistes constants. 

 

 

 

Repéré par Tom Cruise alors en recherche d'un réalisateur pour la franchise Mission : Impossible, Abrams est engagé pour mettre en scène le troisième épisode de la saga, succédant à Brian de Palma et John Woo. Abrams applique au film un rythme mesuré de séries TV, avec de nombreux climax s'apparentant à des cliffhangers et choisit de mettre ne ellipse certaines séquences. Le film est d'ailleurs basé sur la même structure que le pilote d'Alias. Si au final c'est Tom Cruise qui a le dernier mot sur la production (imposant la fin qu'on connaît), J.J.Abrams vient de se signer une belle carte de visite, à la différence de Whedon, qui peine depuis Alien Resurrection qu'il a scénarisé, à s'imposer sur les terres des studios.

Joss Whedon rame sévère depuis la fin du spin-off Angel en 2004. Et à vrai dire, les geeks arborant les tee-shirts « Joss Whedon is my master now » commencent à se sentir seuls. Après l'annulation par la Fox de son show spatial Firefly en 2003, il obtient les crédits pour terminer son éphémère série de 14 épisodes par un film, Serenity, qui sort en 2005. Un film chiadé, space opéra parfaitement conçu qui malheureusement ne transcende pas les foules. Depuis, c'est un peu le calme plat même si tout le monde s'excitait du remaniement annoncé de Wonder Woman dont il faisait partie. Annoncé en 2005 au scénario, qu'il pondra contre vents et marées, Joss Whedon finit par se faire tout simplement jeter de la production du film, projet depuis tombé dans les limbes du development hell.

Embauché par la Marvel pour scénariser les 4 premiers arcs de la série Astonishing X-Men, Whedon y retrouvera un semblant de Buffy en se concentrant sur le personnage passe muraille de Kitty Pride, et influencera de loin X-Men 3 grâce à l'arc centré sur le sérum censé « guérir » les mutants de leur condition. De retour dans l'industrie qu'il a toujours aimée, il profitera de ce pied à l'étrier pour relancer une série sur Buffy. Annoncée comme étant une saison 8 sur un autre média, Whedon suit de près les arcs projetant Buffy et ces personnages emblématiques dans un futur proche, projet viable et toujours en cours de publication, par ailleurs traduits en France. Coïncidence amusante, le scénariste de comics Brian K. Vaughan officiera lui aussi sur la série, entre deux saisons de Lost rédigées pour J.J.Abrams.

 


 


Abrams, justement. Sur les bases d'un marketing viral impressionnant, son équipe monte un projet apparemment colossal, un film de monstres à New York. Après les annonces successives d'un titre énigmatique (« Monstrous », ou ) et une affiche aux relents godzill-esques, un premier trailer tombe montrant un New York sous les assauts d'une possible créature capable de décapiter la Statue de la Liberté. Cloverfield repose entièrement sur un buzz Internet exemplaire, avec des idées de mise en scène découlant d'un reportage pris sur le vif, à l'aide des moyens techniques dont dispose tout citoyen à présent : téléphones portables, caméscopes et appareils photos, pour témoigner dans l'urgence. Au final, si le film est intéressant sur sa forme mais pas d'une unité exemplaire, la montagne n'a pas pour autant accouché d'une souris, et Abrams peut se satisfaire d'avoir livré un film de monstre sur des bases aussi floues que celles animant son show Lost.

En parallèle de sa qualité de producteur sur ses comics, Joss Whedon se reprend en main et décide de monter dans le giron de la Fox une nouvelle série : Dollhouse. Avec un capital sympathie d'emblée acquis par l'embauche de Eliza Dushku, déjà vue en Tueuse badass dans Buffy.

Mais Dollhouse subit d'énormes retards, une pression des exécutifs de plus en plus palpable, jusqu'à ce que le pilote soit tout simplement refusé. Whedon remanie ses intrigues et ses personnages, commence sa saison par l'épisode 2, et voit son nombre d'épisodes pour cette première saison ramené à 12. Une sacrée claque pour une série pourtant très intéressante dans ses thématiques et ses possibilités, déjà largement exploitées au terme de sa première saison.
Dans Dollhouse, une obscure agence dispose d'hommes et de femmes comme de simples "poupées", leur implantant à chaque fois une nouvelle personnalité, des capacités et des mémoires différentes, suivant la mission imposée. Dans ce cadre de contrôle absolu où les participants ne sont même pas conscients de ce qu'ils subissent, l'une des dolls s'éveille peu à peu.

Pendant l'été 2008, empêtré dans la production de Dollhouse et des concessions nécessaires pour sortir son show, Joss Whedon s'offre une récréation, pied de nez aux exécutifs de tous poils, en sortant sur Internet la web-série Dr Horrible's Sing-Along Blog. Une mini-série en trois parties et comédie musicale aux accents super-héroïques featuring Neal Patrick Harris, transfuge de la série How I Met Your Mother. Le succès est immédiat, notamment grâce à son système de diffusion : Pendant trois semaines, Whedon propose une nouvelle partie de son histoire, diffusée gratuitement sur son site, avant de sortir l'intégralité de la série sur iTunes. Avec un budget réduit, un casting d'habitués et une histoire terriblement classique mais traitée avec toute la fraîcheur qu'on attendait, Joss Whedon a frappé fort. 

 


 

Dollhouse sort finalement en février dernier et n'a pas l'effet escompté : les critiques comme les fans sont échaudés, et la Fox, ne croyant pas au succès de cette série, la relègue dans les limbes des horaires télévisuelles : le vendredi, jour des sorties ciné aux Etats-Unis. Et avec une série déjà en sursis en guise de lead-in (The Sarah Connor Chronicles), Dollhouse va faire des audiences décevantes toute sa saison.

 

En 2008, J.J.Abrams annonce et lance une autre série en parallèle de Lost, co-créée avec des partenaires de longue date ayant officié sur Alias, Roberto Orci et Alex Kurtzman. Avec Fringe, ils ne tapent certes pas dans l'original, mais c'est bien cette formule classique qui leur  a assuré les meilleures audiences pour une nouvelle série depuis septembre 2008. Suite à la manifestation d'évènements inexpliqués, une cellule spéciale se monte ayant pour tâche d'enquêter sur un mystérieux "schéma" à la Alias semblant relier toutes ces manifestations. Le premier qui pense à X-Files nage en eaux connues, puisqu'on y retrouve toutes les constantes du show TV le plus culte du monde, couple d'enquêteurs mixte et complot à échelle mondiale en filigrane à l'appui.
Au final, Fringe est un show roublard d'investigation, s'égarant sur des questions scientifiques ou fantastiques avec un plaisir communicatif, poussant à la fidélité pour découvrir le « Fringe de la semaine ». Zack Whedon (frère de) n'y aura pas résisté, et a participé au scénario de trois épisodes de la saison. 

Pas tout à fait rassurés par le concept de Fringe, la Fox lui adjoint des lead-in efficaces pour amener les spectateurs à rester devant leurs postes après leurs programmes habituels, et ainsi à découvrir la série. Fin 2008, c'est après House (géant de la série TV), qu'est diffusée Fringe. Avec la reprise en 2009, c'est avec American Idol que le show cartonne. Tout en proposant une hausse drastique de la qualité des épisodes.

 

 


Et pendant que d'habiles artisans se chargent de proposer l'enquête de la semaine dans Fringe (parmi lesquels Brad Anderson, promu producteur), Abrams, lui, réalise le film de SF de l'année avec Star Trek. Un reboot total, soutenu par des geeks acharnés, sponsorisé par ILM, pour en faire le blockbuster le plus cool de ce début d'année. Fonctionnant pour une grande partie sur le buzz qu'il peut générer (souvenez-vous de la campagne pour Cloverfield), Abrams parvient à caler la sortie de Star Trek entre les deux derniers épisodes de la saison 1 de Fringe :


- Episode 19, diffusé le 5 mai : Olivia Dunham, enquêtrice perturbée de Fringe, se rapproche d'une certaine vérité : l'état d'alerte est maximal, les pistes se recoupent, la paranoïa SF est à son comble, entre évènements probables et impossibles. Dans ce fatras génial, Olivia et Peter tombent sur un gars pensant détenir la vérité : il finira par évoquer La Colère de Khan, la planète Vulcain et Spock : le soit-disant informateur est un illuminé obsédé par Star Trek.


- 8 Mai : Sortie du film Star Trek aux Etats-Unis. La presse est enchantée et les fans de la première heure comme les nouveaux arrivants semblent globalement satisfaits de cette version léchée de l'équipage de l'Enterprise.


- Episode 20, diffusé le 12 mai : Dernier épisode de la saison, où notre détective de l'étrange finir par rencontrer l'instigateur de Massive Dynamics. Une surprise, atténuée par des annonces de casting, mais une attention qui fait toujours plaisir puisque apparaît alors Leonard Nimoy, M. Spock orginal. Lequel fait aussi son apparition dans Star Trek 2009, et pas que pour un caméo. Alertées par la communauté de fans, les spectateurs étaient là et les audiences ont été rassurantes pour cette fin de saison (9,3 millions). L'épisode se termine par un traditionnel cliffhanger, mais la série poursuit naturellement sa politique d'expansion grâce à l'annonce d'une seconde saison, sans surprises.


Pendant ce temps-là, Dollhouse s'éteignait doucement en deuxième partie de soirée, le jour de la sortie de Star Trek, accusant le coup : la série faisait son plus bas taux d'audience jamais enregistré (2,8 millions de spectateurs), alors que les rumeurs d'annulation de la série allaient logiquement bon train, la Fox ne semblant faire aucun effort.

 




Au terme de cette chronologie des affrontements, c'est bien J.J.Abrams qui sort vainqueur. Avec les seasons finale conjoints de ses séries Lost et Fringe (reconduites) et l'annonce probable d'une suite à Star Trek, l'avenir semble radieux pour le binoclard. Toujours entouré de producteurs et scénaristes oeuvrant dans son camp, et avec une multitude d'autres projets à venir (parmi lesquels l'adaptation série du cycle de La Tour Sombre par Stephen King), il fait mieux que Joss Whedon qui n'a pas encore dit son dernier mot : On parle d'une suite au succès d'estime de Dr Horrible, et si Dollhouse, contre toutes attentes, vient d'être renouvelée en échange de mesures drastiques (raccourcissement des épisodes, restrictions budgétaires), il pourrait se rattraper sur un autre projet de série pour l'instant intitulé The Goners.

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.