Les aventuriers de l'arche perdue : le writing of

Thomas Messias | 18 mars 2009
Thomas Messias | 18 mars 2009

23 janvier 1978, Los Angeles. Trois hommes prennent place autour d'une table pour la première de cinq journées de travail. Cinq fois neuf heures de brainstorming, de creusage de méninges, d'échanges intenses et passionnés. Le soir du 27 janvier, Steven Spielberg, Lawrence Kasdan et George Lucas se serrent la pince, ravis d'avoir posé les bases de leur nouveau bébé : Les Aventuriers de l'arche perdue.

 

Ces 45 heures de discussions ont été enregistrées et retranscrites dans un document d'environ 125 pages. Elles racontent comment est né ce fleuron du film d'aventures. Les fans anglophones peuvent toujours tenter d'avaler l'intégralité du doc (c'est ici que ça se passe). Pour les autres, voici, en dix points, un résumé de ce qui fut dit pendant ces cinq journées. Et pour d'autres détails et anecdotes, consultez donc notre dossier consacré à la franchise.

 

 


 

 

1. Prologue

Avant toute chose, quelques précisions méritent d'être apportées : nous sommes à la phase où Spielberg et Lucas ont déjà fixé leurs intentions, ainsi que les grandes lignes de ce que sera le film. Le document montre que chacun des trois hommes a son rôle. Lucas est celui qui contrôle tout, valide ou invalide chaque idée, mais n'oublie pas de multiplier lui-même les propositions. Spielberg est le plus excité des trois, jetant des idées dans tous les sens comme un robot un peu fou, souvent ramené à la réalité par les refus de son compère. Quant à Kasdan, il a finalement le rôle le plus difficile : parler peu, écouter beaucoup, attraper toutes ces idées dans son filet à papillons et hocher la tête en se demandant comment il va pouvoir réduire à un seul long-métrage cette quantité industrielle de situations et de personnages.

 

 

2. Les facettes d'Indiana Jones

Comme ne l'indique pas le titre du film (à la différence des suivants), il est d'abord porté par son héros, un certain Indiana Jones. Le premier objectif des trois hommes était de définir ce qui, chez Indy, serait différent des autres héros de films d'aventures, et quelles seraient les similarités.

Première envie de Lucas : que le personnage soit bon dans ce qu'il fait. Il cite pour cela les exemples de James Bond ou du personnage de Clint Eastwood dans Le bon, la brute et le truand, tous deux très performants dans leur domaine respectif. Rapides, agiles, professionnels.

Seconde intention : en faire un héros à deux facettes. Que le spectateur découvre que l'homme d'action est également un archéologue diplômé, bougon, revêche,  amoureux des vieilles choses. Le genre de type qui enlève ses pantoufles pour aller courir le monde et braver les pires dangers.Un contraste pouvant être très amusant, et justifiant pleinement l'intelligence du personnages lorsqu'il doit ruser pour se sortir des pièges tendus. Une sorte de Clark Kent du réel.

C'est alors que Lucas cite un premier acteur, selon lui apte à incarner cette dualité du héros : Peter Falk. Oui, Columbo. Mais Spielberg le trouve trop débraillé, trop miteux, et Lucas se résoud à abandonner son idée de casting.

C'est Lucas qui, le premier, propose un nom pour ce héros : Indiana Smith. Parce qu'il est né en Indiana (ce que démentira formellement le script de La dernière croisade). Kasdan propose le sobriquet "Indy", puis Lucas pense à "Jones". L'affaire est dans le sac.

 

3. L'évolution du personnage

Point fondamental de la discussion, abordé pendant très peu de temps car créant le consensus au sein du trio : hors de question que ses aventures multiples changent Indiana, sa façon de penser, ses croyances. Même s'il assiste à des évènements étranges, même s'il peut douter, il restera toujours ce type rigoureux et sceptique. Point final.

 

 


 

 

4. La fille

S'il est clair dès le début qu'il faut à Indiana Jones un contrepoint féminin, les trois hommes peinent à décider quel genre de femme pourra suivre l'archéologue dans ses aventures.

La première proposition de Lucas est celle d'un agent double au service de l'Allemagne nazie (avec une coiffure façon Veronica Lake, précise Spielberg, pour qu'on ne  lui voie qu'un seul oeil à la fois). Idée qui ne sera finalement exploitée qu'au moment du troisième volet.

Kasdan propose alors que la fille en question ne rencontre pas Indy pendant le film, mais que les deux se connaissent déjà. Tout simplement parce que cela évite de perdre du temps à construire cette relation. idée approuvée par les deux autres ; ne reste plus qu'à déterminer à quelle étape situer le couple. Arrive alors l'idée de faire de la future Marion un personnage plus jeune qu'Indy, qui l'aurait charmée pendant l'adolescence. L'idéal pour évoquer de bons vieux souvenirs et faire naître quelques conflits hauts en couleur.

 

5. Les scrupules

Après avoir établi que Marion est la fille du mentor d'Indiana et qu'il a besoin de la breloque qu'elle possède pour trouver l'Arche, se pose un problème : Marion refusant de la donner à Indiana, comment va-t-il faire pour se la procurer quand même ? Autrement dit, peut-on faire de ce héros un type sans scrupules, prêt à tout pour aller au bout de ses découvertes ?

Oui, selon Kasdan, pour qui c'est avant tout un archéologue avide de conquêtes. Sûrement pas, dit Lucas, qui rappelle que Jones doit être un modèle pour les jeunes spectateurs. C'est décidé : ce sera un personnage honnête, sincère et relativement digne de confiance. Et un léger artifice de scénario lui permettra de récupérer l'objet tant convoité des mains d'une Marion consentante.

Ceci permet une constatation amusante : s'il semble intolérable qu'Indiana fasse les poches de Marion pour parvenir à ses fins, il est en revanche tout à fait acceptable qu'il l'ait draguée quand elle avait une douzaine d'années et lui dix de plus. Est-ce parce que ce qui n'est pas montré à l'écran est plus tolérable ?

 

 


 

 

6. La tension

Il s'agit ensuite de savoir comment faire monter la tension et l'attention du spectateur dès le début. Spielberg propose la scène de la pierre qui roule, et c'est gagné. Mais c'est Lucas qui prend la parole lorsqu'il s'agit d'établir comment maintenir ce niveau de tension tout au long du film : il faut faire comprendre dès le début du film que tout le monde veut la peau du héros. Il faut constamment le faire suivre, ne jamais le lâcher d'une semelle, faire de tout personnage une menace potentielle.

C'est alors que survient une idée qui fera d'Indiana Jones ce qu'il est : la peur des serpents. Un excellent moyen d'effrayer simultanément le héros et le spectateur, une façon de rendre Indy moins parfait, mais également une source possible de délectables scènes de comédies (à condition d'en faire une obsession chez le personnage). D'où l'idée d'évoquer dès la séquence d'ouverture cette phobie viscérale.

 

7. Animaux

Dans l'une des scènes du film, il faut faire comprendre que la nourriture est empoisonnée afin de lui donner de l'intérêt et de faire craindre pour la vie des personnages. Comment le faire sans être trop explicatif ? En filmant un animal qui goûte à cette nourriture avant de trépasser. Ne reste plus qu'à choisir l'animal en question...

D'emblée, Spielberg propose d'opter pour un animal agaçant, peu apprécié, que personne ou presque ne regretterait de voir mourir. Une mangouste ? Un singe ? Et pourquoi pas un rat ? Non, il aurait des difficultés à grimper sur la table. Revenons donc au singe. Comment en faire un personnage comique ? Et s'il était à la solde des nazis ? Et s'il faisait le salut hitlérien ?

Spielberg propose ensuite de filmer la scène comme suit : on voit les personnages discuter à table, en plan fixe, et une patte velue apparaît et disparaît régulièrement après avoir attrapé quelques olives. Finalement, on voit la patte glisser peu à peu puis disparaître brusquement, dans un bruit sourd. Effet comique garanti, qui évite d'avoir à trop filmer un vrai singe (une patte mécanique suffit) et ne fera pas trop grincer les dents des défenseurs des animaux... Idée finalement non retenue, mais qui aurait sans doute très bien fonctionné.

 

8.  Le budget

Lucas insiste à plusieurs reprises sur le fait que le budget du film ne doit pas être trop élevé. D'abord parce qu'ils ne disposent pas de milliards de dollars, ensuite et surtout parce qu'il souhaite que Les Aventuriers de l'arche perdue respire avant tout l'énergie, la sincérité, et la culture de la bonne idée. Et que ce n'est pas l'argent qui donne cette impression. Pas besoin d'extra-terrestres et de marmottes numériques pour livrer un Indy convaincant...

 

 

 

 

9. La fin

Ça ressemble à une évidence : la fin du film doit être en forme de climax, encore plus intense que tout ce qui précède. Un vrai casse-tête quand on s'est surpassé pour que tout un film soit explosif et suprêmement excitant... les idées pleuvent, mais l'idée générale est la même : faire d'Indiana Jones le héros 100% actif de cette fin. Finalement, il ne sera quasiment qu'un spectateur de ce qui va se produire...

 

10. Épilogue

En août 1978, Lawrence Kasdan remet la première mouture de son script à George Lucas. Celui-ci le met de côté, l'emmène dîner, et lui propose de travailler sur le scénario de L'Empire contre-attaque car l'auteur de la première version vient de mourir. Étonné, Kasdan lui demande : « Tu ne devrais pas lire Les Aventuriers de l'arche perdue d'abord ? ». Lucas : « J'ai un bon feeling avec les gens, donc ce n'est pas la peine. Et puis si je déteste Les Aventuriers..., je pourrai toujours retirer mon offre. » Le lendemain matin, enchanté, Lucas appela Kasdan pour lui dire qu'au contraire il maintenait sa proposition. En route pour une nouvelle aventure.

 

 

D'après l'article The Raiders story conference du blog Mystery man on Film

 

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