Bryan Singer : génie ou usurpateur ?

Thomas Messias | 27 janvier 2009
Thomas Messias | 27 janvier 2009

Bryan Singer est un réalisateur mystérieux : quand certains s'interrogent sur les origines de son génie, d'autres en sont encore à se demander s'il a même un peu de talent. En 7 longs-métrages, de Public access à Walkyrie, Singer n'a en effet jamais cessé de semer le trouble dans la tête des spectateurs, scotchant sur certains aspects de sa personnalité, limite consternant sur d'autres. C'est en tout cas un cinéaste insaisissable, dont le dernier bébé en salles ce mercredi continue au contraire de semer la discorde. Alors, Singer, de l'art ou du cochon ?

 

 

1993 : Ennemi public (Public access)

À l'époque de Public access, Bryan Singer a 28 ans, et pose déjà les bases de son cinéma. Primé à Sundance et à Deauville, il est rapidement décrit comme le nouveau petit génie à surveiller de près, mais est déjà loin de faire l'unanimité. Sorti en salles en catimini, Public access parle déjà de manipulation et d'homosexualité refoulée, et déstabilise une partie du public par sa psychologie trouble et sa fascination pour le mal. Au scénario : Christopher McQuarrie, dont ce ne sera pas la dernière collaboration avec Singer. Mais, déjà à l'époque, la critique souligne l'absence de style visuel, l'approximation du cadre et la laideur de la bande originale. Celle-ci est composée par un certain John Ottman, copain de fac de Singer, également monteur du film. Le petit succès d'estime de Public access permettra en tout cas à tout ce petit monde de retravailler ensemble deux ans plus tard et d'engager, non pas des stars, mais en tout cas des gueules connues.

 

 

1995 : Usual suspects (The usual suspects) (lire la critique)

 


 

Le film, qui marque l'entrée de Singer dans la cour des grands, tire un grand bénéfice de l'absence de vraies grandes vedettes, qui auraient sans doute nui à l'équilibre de ce pur whodunit. On ne raconte plus l'histoire du film, et on pourrait même dévoiler l'identité de Keyser Söze, giga génie du crime, qui manipule tous les autres protagonistes de A à Z afin de continuer à vivre en toute impunité. Le monde entier crie au génie, le film reçoit deux Oscars (pour la révélation Kevin Spacey, alors en plein boum, et pour le script de McQuarrie), et Singer entre dans la légende comme le nouveau Machiavel du septième art, le prince du suspense, le roi du twist. Sauf qu'à bien y regarder, Usual suspects n'a rien de si génial, ne résistant guère aux visions multiples. C'est un petit polar pas trop mal fagoté avec une révélation finale certes surprenante mais surtout tirée par les cheveux, ne s'inscrivant dans aucune logique scénaristique. Joli coup de la part de Singer et McQuarrie, petits malins de première, qui parviennent à faire oublier les défauts d'écriture du film en les dissimulant derrière ce remarquable écran de fumée. Qui s'en souviendrait vraiment encore s'il n'y avait ces cinq dernières minutes bien troussées ? D'autant qu'une nouvelle fois, la photo est moche, le montage calamiteux et la musique quelconque (un double merci à John Ottman). Pour un film sur la manipulation, c'en est un.

 

 

1998 : Un élève doué (Apt pupil)

 


 

S'il y a un reproche que l'on ne peut pas faire à Singer, c'est d'avoir surfé sur son succès pour attirer à lui les plus grandes stars. On l'attendait dans un nouvel Usual suspects,  ou un projet d'envergure ; lui préfère adapter une nouvelle de Stephen King (tirée de Différentes saisons, comme Les évadés de Darabont) et engager le jeune Brad Renfro (paix à son âme) et sir Ian McKellen, acteur assez excellent mais peu bankable (surtout à l'époque, où il n'avait encore été ni Gandalf ni Magneto). Ce profil bas s'explique de façon simple : Singer refuse d'avoir à subir une trop grosse pression de la part des majors, afin de pouvoir enfin travailler sur un sujet qui le hante : le nazisme. L'histoire de cet ancien SS planqué au fin fond des States et débusqué par un ado est d'une perversité folle et installe un vrai malaise. Singer adopte littéralement le point de vue de son jeune héros, assumant totalement sa fascination pour tous les types de représentation de l'Allemagne nazie, du four crématoire à l'uniforme. C'est perturbant, glaçant, mais si finement exécuté qu'il est impossible de crier au scandale. Cette fois, McQuarrie n'est pas de la partie, sans doute trop occupé à travailler sur son futur Way of the gun (ainsi que sur un biopic de Hannibal, le héros de Carthage, qui ne verra finalement pas le jour). En revanche, John Ottman est toujours là. Moins calamiteux que dans les deux précédents films, son travail n'a toutefois rien d'admirable.

 

 

2000 : X-men (lire la critique)

 


 

Le quatrième film de Bryan Singer, qui marque son passage à une dimension supérieure en terme de budget et d'ambition, scelle aussi le sort du cinéaste. Cela semble désormais clair : il n'y a pas de style Singer. Aussi appréciables soient certains de ses films, aussi profonds soient les thèmes abordés, il n'y a dans cette courte filmo aucune unité stylistique, rien qui fasse de lui mieux qu'un yes man pas idiot mais tout de même un peu manchot sur les bord. Malgré cela, X-men est un film absolument formidable, qui s'ouvre (tiens donc) dans un camp de concentration avant d'aller explorer en profondeur l'univers de ces freaks vivant en marge. Avant d'être un gros spectacle plein d'effets spéciaux, c'est un drame humain (ou en partie humain) de première bourre, et une nouvelle façon pour Singer de parler de manipulation. Génétique ou psychologique, elle hante tout le film, qui pose les bases d'une saga dont la qualité ne fera que décroître. Et pas seulement à cause de Brett Ratner.

 

 

2002 : X-men 2 (lire la critique)

 


 

Pas de vacances pour Singer, qui réalise la suite directe de son X-men. Les deuxièmes épisodes étant régulièrement les meilleurs des sagas auxquelles ils appartiennent, cela annonçait un retour grandiose, à la fois plus tragique et plus percutant. Sauf que X-men 2 trimballe un défaut assez conséquent, en plus de la traditionnelle présence de John Ottman : il compte pas moins de 17 personnages principaux, ce qui réduit considérablement le temps d'exposition de chacun et s'empêche ainsi toute évolution psychologique ou dramatique. Alors bien sûr, certains personnages importants vont disparaître et des évènement dramatiques survenir ; mais ce qui aurait dû constituer un irrésistible climax n'est finalement qu'une suite gentiment efficace mais qui n'implique pas le spectateur émotionnellement. Et en plus, devinez quoi, l'image est aussi laide qu'impersonnelle.

 

 

2005 : Superman returns (lire la critique)

 


 

Vient le moment pour le new-yorkais de quitter les X-Men pour se consacrer au projet dont il rêve depuis ses débuts : donner à Superman une nouvelle vie sur grand écran. Interrogation majeure : comment Singer va-t-il parvenir à remoderniser le mythe du super-héros au costume bleu et slip rouge ? Ou plutôt, va-t-il y parvenir ? On connaît la réponse : fort d'un casting tartignole (Brandon Routh et Kate Bosworth, zéro charisme ; même Kevin Spacey semble un peu absent), Singer se plante allègrement, se contentant de faire voler dans le ciel, encore et encore, le héros de son enfance. Dans ce qui est sans nul doute le film le plus bêtement premier degré de son auteur, rien ne fonctionne ou presque. Ce n'est pas un hasard si, trois ans après le tournage, le retour de Superman n'est toujours pas assuré (et encore moins la présence de Singer derrière la caméra), là où les autres franchises fleurissent et se reproduisent à vitesse grand V...

 

 

2008 : Walkyrie (Valkyrie) (lire la critique)

 


 

Dix ans après Un élève doué, le duo Singer - McQuarrie se reforme, ce dernier n'ayant pu mener à terme qu'un unique projet (Way of the gun) durant cette décennie. L'occasion pour le réalisateur d'effectuer une immersion plus totale dans le monde du nazisme ? Oui, certes. Mais pas avec la perversité et l'ambiguïté que l'on attendait de sa part. À la rigueur, Walkyrie peut se voir comme un gros suspense lambda sur l'échec d'une conspiration, ou comme un gentil petit récit historique. En tout cas, ce n'est pas le film phare de ce début 2009, en raison d'une nouvelle absence de patte visuelle (on dirait un téléfilm à gros budget, mais un téléfilm quand même) et d'un montage calamiteux avec des inserts proprement ridicules (ah, la fameuse sacoche). Malgré un Tom Cruise impeccable, Walkyrie prouve que Singer a désormais plus d'un temps de retard sur ses homologues d'hier, de Christopher Nolan à Darren Aronofsky. Que ce soit par un nouveau Superman ou tout autre projet, le voilà de nouveau au pied du mur, obligé de faire ses preuves comme s'il n'avait pas déjà réalisé sept longs. On l'attend de pied ferme.

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