Dossier : Les films en 3-D

Patrick Antona | 22 juin 2009
Patrick Antona | 22 juin 2009

Le système de cinéma 3-D dit aussi « cinéma en relief » est un procédé qui permet de donner au spectateur l’illusion de la profondeur (la 3° dimension), nécessitant pour le spectateur le port de lunettes spéciales (bicolores, multi-filtres ou polarisantes) et aux exploitants de salle d’investir dans des matériels d’un genre particulier et plutôt onéreux. Bien que l’on parle de tests effectués du temps du muet, c’est à l’aube des années 50 que le procédé est enfin exploité pour le grand public. A l’époque, les studios hollywoodiens sont en crise, l’arrivée d’un nouveau média appelé « télévision » vient de faire des premiers ravages et la fréquentation des salles s’en fait grandement sentir. Pour faire revenir le public en masse devant les écrans, tout un arsenal de nouvelles techniques est alors dégainé : cinerama, cinémascope et la 3-D. Alors que les deux premiers procédés seront réservés dès leurs débuts pour les productions de prestige et sauront redynamiser une production cinématographique défaillante, la 3-D fera plus ses preuves pendant toutes les années 50 dans le domaine de la série B, épouvante, aventures et SF, malgré la lourdeur de la logistique : il faut tourner avec deux caméras, une pour chaque œil, ensuite il faut développer deux copies séparées du film, et utiliser deux projecteurs pour la diffusion, devant des spectateurs chaussant des lunettes bicolores, rouge et verte.

 

Premier film à sortir en 3-D en 1952, Bwana Devil est un banal film d’aventures avec Robert Stack affrontant des lions mangeurs d’hommes (intrigue réutilisée dans L’Ombre et la Proie) et des indigènes africains. Attiré par les accroches publicitaires « A lion in your lap ! A lover in your arms » et « Newer than television », le public se rue en masse dans les salles et ce succès immédiat génère une suite de films dont certains sont restés grandement célèbres. En 1953, le succès de L’Homme au masque de cire (1953), remake en couleur du Masques de Cire de 1933, établit Vincent Price comme star indémodable de l’horreur et sauve la Warner Bros de la banqueroute, la poussant à sortir l’année suivante une nouvelle production horrifique en 3-D, Le Fantôme de la Rue Morgue de Roy del Ruth. Le plus marquant concernant L’Homme au masque de cire demeure que son réalisateur, André de Toth, était borgne (comme Raoul Walsh ou John Ford) et qu’il n’a jamais pu vérifier la teneur du relief ! La Universal n’est pas en reste et confie à Jack Arnold Le Météore de la Nuit (1953) où la vision 3-D est censée rendre terrifiant les bizarres Xénomorphes, mais c’est surtout L’Etrange créature du Lac Noir qui demeurera dans les mémoires. Avec son improbable chaînon manquant entre l’homme et l’amphibien intéressé par les formes de la brune Julie Adams, le film demeure un des meilleurs exemples de l’utilisation du relief, et non pas un simple artifice où il suffit de « jeter » des objets vers le spectateur, et obtiendra une célébrité en France sur le tard grâce à Monsieur Eddy Mitchell qui tentera l’expérience de la diffusion TV en 1982 dans sa regrettée émission La Dernière Séance.

 

 


 

 

Du coup, la Universal applique à nouveau le procédé pour la suite La Revanche de la Créature (1955) et tente la 3-D sur des productions dites de prestige comme Le Signe du Païen avec Jack Palance en Attila, et le western Taza, Fils de Cochise, les deux signés du grand Douglas Sirk. Tous les studios hollywoodiens s’y collent par la suite et toute une vague de westerns et de films d’aventures (Sangaree, Jivaro, Bataille sans merci, Arena, Terreur à l’Ouest) profitent de l’engouement du public. Vincent Price, catapulté star du relief, est mis à contribution pour The Mad Magician (une pale copie de L’Homme au masque de cire), le trépidant Mission Périlleuse et sera faire-valoir du Fils de Sinbad où le seul avantage de la 3-D se réduit à mettre en valeur les plastiques des starlettes du producteur Howard Hughes. Mais très vite lassé, les spectateurs commencent à se désintéresser de ce qui se réduit à un simple gadget, d’ailleurs les bons films de l’époque supportent aussi bien la vision à plat que celle du relief sans que leur qualité en soit amoindrie.

 

 

 

 

Preuve de la désaffection du public, le thriller d’Alfred Hitchcock, Le Crime était presque parfait, annoncé à grand renfort de publicité et où la 3-D est utilisée pour augmenter le sentiment d’isolement de l’héroïne Grace Kelly dans son appartement, ne sera que brièvement exploité avec le procédé (il faudra attendre 1982 et une ressortie en plein relief pour apprécier la maestria visuelle du maître du suspens). Dès lors, seul le cinéma de catégorie B et d’horreur va profiter de la technique, et les années 60 verront comme seules œuvres marquantes le curieux Les Yeux de l’enfer (1961) où l’utilisation de la 3-D est censé faire éprouver les effets hallucinogènes du fameux masque, matérialisant les horreurs du subconscient, et The Bubble (1967) du revenant Arch Oboler où ce dernier tente d’améliorer le système de tournage, cette fois-ci seul l’objectif est modifiable et la projection ne nécessite plus deux appareils. Malgré ces efforts, le relief reste confinée dans le ghetto du cinéma d’exploitation, dont la majorité sont de médiocres soft-core, et dont un des spécialistes sera l’anglais Pete Walker avec le sexy-groovy 4 Dimensions of Greta et le slasher Flesh and Blood Show. Mais il n’en demeure que de temps à autre une pépite émerge: ce qui adviendra en 1973 avec la fabuleuse comédie horrifique Chair pour Frankenstein produite par Andy Warhol. Avec ses effets gore à gogo auxquels la 3-D donne un côté encore plus trash, et interprété par Udo Kier survolté en baron Frankenstein, le film de Paul Morrissey, dont les effets spéciaux ont été supervisés par Antonio Margheriti, est un gros succès. Mais cela se révèle insuffisant pour relancer l’intérêt des grands studios hollywoodiens, et les seules bonnes surprises dans le genre viendront de l’Asie, avec les délirants films d’arts martiaux Revenge of the Shogun Women et  Dynasty et ses tenailles géantes. Même le porno s’y met avec Funk en 1976, film pour lequel son réalisateur, le bisseux Mike Findlay, créa un prototype de caméra portable 3-D.

 

 


 

 

 

Mais la véritable résurrection viendra à nouveau du cinéma d’horreur et du succès auprès des teenagers américains, ainsi que l’avènement d’une nouvelle technique dite de ‘Stereovision’ simplifiant le filmage et assurant une meilleure qualité d’image. A partir de 1982 vont se succéder sur les écrans toute une palanquée de part 3 (saluons l’opportunisme des producteurs !) bénéficiant de l’ajout de la lettre D pour attirer le chaland. Les plus mémorables seront Meurtres en 3-D (le 3° volet des exploits sanglants de Jason Voorhees) où les amateurs de sensations fortes se prendront en pleine tronche harpon et œil sorti de son orbite, Les Dents de la Mer 3-D, honteuse séquelle où cachetonne Dennis Quaid (encore un harpon et la mâchoire en surimpression pour le plan explosif final), Amityville 3-D (où le réalisateur Richard Fleischer renoue poussivement avec le relief trente ans après Arena). De cette série peu glorieuse, on peut sauver l’excellent Guerrier de l’Espace, astucieux mélange entre SF classique et post-nuke avec Michael Ironside impressionnant sous les maquillages du mutant Overlord, et deux productions de Charles Band, Parasite et Mutant, amusants recyclages de Alien pour l’un et de Mad Max 2 pour l’autre. L’Europe n’est pas en reste et nous avons droit à un western espagnol titré Western (avec Victoria Abril en victime lascive et outragée) et à Emmanuelle 4 où la tridimension prend toute sa valeur pour apprécier les exploits érotiques de la blonde Mia Nygren, remplaçante de Sylvia Kristel. Mais toujours prisonnier de cinéastes qui n’ont en rien saisi tout le potentiel visuel que le relief pourrait amené, le procédé tombe à nouveau en désuétude et d’autres tentatives comme La Fin de Freddy: L’ultime cauchemar se révèleront catastrophiques.

 

 

 

 

La survie du cinéma 3-D, et l’expression de sa grande efficacité en tant que pourvoyeur de « spectacle total », sera en fait assurée grâce aux films d’attraction diffusés dans les parcs à thèmes, comme ceux de Disney ou de la Universal, ou par l’avènement du procédé IMAX. Premier des courts-métrages d’attraction bénéficiant d’une grande publicité, Captain Eo produit par le tandem Lucas-Coppola avec Michael Jackson en chevalier blanc de l’espace fera sensation à sa sortie en 1986, suivi par le plus réussi encore Chérie, j’ai rétréci le public, qui combine en supplément des effets live. Cette synergie visuel 3-D et effets physiques sera portée à son summum dans l’impressionnant T2-3D, extension de Terminator 2 créé par James Cameron ainsi que dans les attractions Muppetvision 3-D et Haunted Lighthouse de Joe Dante. Le moyen-métrage Les Ailes du courage, magnifique évocation de l’odyssée de Guillaumet signée Jean-Jacques Annaud, réussit l’adroite combinaison entre prise de vue IMAX et effets 3-D pour un rendu des plus spectaculaires.

 

 


 

 

 

Mais la nouvelle menace sur la baisse des fréquentations des salles de cinéma (explosion du DVD et du téléchargement sur le net) stimule les grands studios hollywoodiens pour de nouveau tenter l’expérience sur des longs-métrages. Toujours à la pointe des innovations technologiques, James Cameron emprunte la voie du documentaire sous-marin pour ses Fantômes du Titanic en 2003, diffusé aussi en IMAX et son prochain film de SF, Avatar, bénéficiera de séquences 3-D. Autre genre à bénéficier des derniers progrès du relief (avec le système Real D Cinema et les lunettes polarisées gérées par une puce), l’animation en images de synthèse semble être un parfait véhicule pour l’immersion du spectateur dans une fantaisie tridimensionnelle. Si le résultat sur des œuvres telles que Monster House, Chicken Little ou le direct-to-DVD Shrek 4-D semble plutôt anecdotique et relever de l’exploitation bassement mercantile, le renouveau du cinéma 3-D combiné à la CGI trouve son prophète avec Robert Zemeckis. L’un des derniers wonder boys hollywoodiens (Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?) retrouve un second souffle en réalisant des tours de force techniques avec Le Pôle Express en 2004 et surtout La légende de Beowulf, heroïc-fantasy paillarde et furieuse qui prend toute sa dimension grâce à la 3-D, chefs d’œuvre du genre qui rencontrent le succès mais qui n’en demeurent pas moins des réussites visuelles et narratives, supportant aisément la comparaison avec des films live. D’ailleurs le cinéma classique n’est pas en reste, les studios ayant d’ailleurs tenter une approche timide en insérant des séquences spectaculaires en 3-D pour dynamiser leurs blockbusters, objectif réussi pour Superman returns de Bryan Singer mais exercice vain pour Harry Potter et l’ordre du Phénix, ou en proposant des films concerts comme U2-3D et Hannah Montana et Miley Cyrus.

 

 

Mais la véritable déferlante full 3-D se concrétise en 2008 et se continue en 2009 avec la sortie de films utilisant le procédé de la stéréoscopie (avec lunettes à puce) dont le premier est le sympathique Voyage au centre de la Terre avec Brendan Fraser qui a rencontré un certain succès. Puis ce sont les films d'animation qui surfent sur la vague, d'abord avec Volt des studios Walt Disney, où l'on cherche à comprendre encore le plus qu'aurait apporté la 3-D, puis avec le réussi et plus spectaculaire Monstres contre Aliens de DreamWorks, où cette fois-ci l'impact est décuplé par la technologie IMAX. Autre film animé à pointer cette année, le conte de fées lugubre Coraline de Henry Selick promet une 3D servant la narration et non comme un simple gimmick. Tout cela augure au plus haut point de l'Avatar de James Cameron, son space-opera prévu pour la fin de l'année dont les premières images diffusées ont généré des comptes-rendus absolument dithyrambiques.

 

 

 

Mais comme aux temps glorieux de la série B des années 50, c'est le cinéma d'horreur gore qui va user de la 3-D pour tenter d'encore plus effrayer le public du samedi soir. Passons sur les expériences désastreuses que sont Scar 3D et de Night of the Living Dead 3D (produit sans l'assentiment de George A. Romero) qui tentent de capitaliser sur la notoriété des productions plus friquées qui vont débouler. Premier film à utiliser la 3-D de manière plus inventive que le lancer d'objets au visage ou le grand coup de machette (en l'occurrence de pioche), Meurtres à la St-Valentin 3D du yes-man Patrick Lussier (responsable des reshoots de The Eye avec Jessica Alba) est une assez bonne surprise qui permet de ronger son frein en attendant un 4° épisode de la franchise Destination Finale, titré Final Destination: Death Trip 3D,qui est annoncé comme une révolution par ses promoteurs.

 

 

En dehors de Hollywood, l'utilisation de la 3D commence aussi à faire son chemin : le dernier rejeton animé de Rin Taro, Yona Yona Penguin, coproduction franco-japonaise, entièrement réalisé en 3D s'annonce comme un sommet et sera bientôt distribué chez nous.

 


 

L’autre tendance qui se dégage dernièrement dans l’exploitation des images 3-D est le reformatage de films initialement tournés en 2-D pour leur donner une profondeur de champ inédite et ce lustre si particulier, premier essai avec la version 2007 de L’Etrange Noël de Monsieur Jack de Henry Selick et Tim Burton, et dont la relative réussite a permis d’annoncer l’application du même procédé pour d’autres œuvres marquantes du cinéma populaire. Si la perspective de voir le Zombie de George A. Romero en relief a de quoi exciter plus d’un fan du cinéma d’horreur (projet en cours de finition), la rumeur enfle à propos d’une version de la saga Star Wars combinant IMAX et 3-D, de quoi se donner l’occasion de se retaper les films de George Lucas pour une énième fois sur grand écran, même si c'est Avatar qui s'annonce définitivement comme une nouvelle date pour le cinéma dans son ensemble.

 

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