J'ai toujours rêvé d'être un gangster - Preview

Thomas Messias | 2 décembre 2007
Thomas Messias | 2 décembre 2007

Derrière son visage de beau gosse à tendance anxieuse, Samuel Benchetrit cache un vrai tempérament d'artiste. Théâtre, littérature, cinéma : tous les arts s'offrent à lui, et la réussite est bien souvent au rendez-vous. Après un Janis & John dont la sortie avait été parasitée par l'affaire Cantat/Trintignant (la comédienne est décédée 3 mois plus tôt), il semblait avoir mis de côté le cinéma pour se consacrer à des activités plus intimes, moins exposées. Citons entre autres Moins deux, pièce dans laquelle il mettait en scène Jean-Louis Trintignant et Roger Dumas, et les deux premiers volumes de ses Chroniques de l'asphalte (il y en aura cinq). Des succès d'estime qui ont su trouver leur public. Le style Benchetrit opère une sorte de jonction entre la noirceur la plus totale et un humour ravageur toujours teinté de désespoir.

 

Mais parce que l'immobilisme l'ennuie, Benchetrit a décidé il y a quelques années de repasser derrière la caméra. « Je suis sans doute plus à l'aise lorsque j'écris un livre ou que je travaille sur une pièce. Il y a là-dedans une intimité qui me rassure et me fascine. Mais ce que j'aime dans le cinéma, c'est l'énergie qui s'en dégage. Je sais que je ne ferai pas de films toute ma vie car je n'en aurai pas la force, alors j'en profite tant que je suis encore jeune. » À l'origine de J'ai toujours rêvé d'être un gangster, une envie toute simple : celle de « réaliser un petit film, avec peu de moyens, pour être peinard ». Comme ça fait un tout petit peu léger comme note d'intention, il ajoute : « Je voulais faire un film comme on n'en voit plus de nos jours. Un truc en noir et blanc, façon comédie italienne des années 50-60. Pendant la préparation du film, j'en ai revu plein. Le pigeon, par exemple. Des moins connus, aussi. J'ai un peu la nostalgie de ce cinéma-là, un truc qui pouvait émerveiller les gamins et faire marrer les plus grands. Je veux pas sembler réac, genre "c'était mieux avant", même si en fin de compte c'est un peu ça. » L'usage du noir et blanc lui a également facilité la tâche, dans le sens où l'absence de couleurs criardes rend souvent les choses plus belles. « La cafeteria du film, par exemple, était extrêmement laide ; tout à coup, en la filmant en noir et blanc, ça lui donnait une espèce de cachet vraiment pas croyable. »

 

 

 

La cafeteria en question, c'est un peu le point d'ancrage de J'ai toujours rêvé d'être un gangster, le lieu accessible à tous mais complètement désert qui permet à chacun de faire le point et de se révéler (ou de donner un rendez-vous pour une remise de rançon). C'est à peu près le seul lien qui unit les quatre segments du film (auxquels il convient d'ajouter un savoureux épilogue). Un lien essentiel et qui a causé du retard dans l'avancée du film : ravagé par un incendie en plein milieu du tournage, le bâtiment a été restauré pendant deux mois avant que le film ne puisse de nouveau s'y installer. Une cafeteria, du noir et blanc, des sketches : le film ne serait pas un hommage à Coffee and cigarettes, par hasard ? « Pas du tout. C'est vrai qu'il y a quelques points communs en surface, mais c'est tout. Et puis je n'aime pas trop le cinéma de Jarmusch. Ses films manquent sérieusement d'humour. » Le ton est donné. Mais s'il est exigeant avec les autres, Benchetrit l'est également avec lui-même. On peut travailler dans l'urgence et faire les choses bien. Disposer d'un budget serré mais dépenser chaque piécette dans un but bien précis. Il faut dire que par ses relations et sa réputation d'artiste qui monte, le réalisateur est certainement arrivé à réunir ce casting si foisonnant sans trop faire exploser son porte-monnaie.

 

Le premier segment du film s'intitule "Drew Barrymore fait penser à un hamburger". Le genre de phrase d'accroche qui peut légitimement faire penser à du Tarantino. Sauf que Benchetrit est moins un adepte de la faconde et du verbe pour le verbe. Le coup du hamburger et de Drew Barrymore, c'est trois répliques (très drôles) dans un sketch d'une demi-heure. Cette première partie donne le ton : un plan-séquence suit de près un type, visage dissimulé par un bas, prêt à se lancer dans le braquage de la cafeteria citée plus haut. À la fin du plan, Benchetrit s'est mis tout le monde dans la poche, créant un éclat de rire général et réussissant parfaitement son opération séduction auprès des plus cinéphiles, qui se régalent de la beauté du plan. Le film sera à l'unisson : esthétiquement délectable et souvent désopilant. Que demande le peuple ?

 

Le type sous le bas, c'est Édouard Baer ; comme il n'a pas de flingue, il envisage de braquer la serveuse (Anna Mouglalis) avec sa simple main. Les ennuis commencent. On n'en dira pas davantage sur ce premier segment, qui brille par des dialogues épatants et par l'alchimie qu'il crée entre ses deux interprètes principaux. Baer n'aurait jamais dû être dans le film, et doit cette chance au forfait de dernière minute de Sergi Lopez. Motif : jambe cassée. Un os qui se brise, et c'est toute une partie du film qui manque de passer à l'as. « Je déteste les castings. J'avais eu la chance d'avoir les acteurs que je voulais sans trop d'efforts, et d'un coup, mon pote Sergi doit abandonner le rôle. Mon état d'esprit de l'époque, c'était : "si je ne peux pas faire tel segment parce qu'il me manque l'acteur que je désirais, je préfère jeter le scénar à la poubelle et réécrire un sketch plutôt que de chercher un autre type." Et puis j'ai rencontré Édouard, et il a dit oui tout de suite. »

 

 

J'ai toujours rêvé d'être un gangster rend moins pompière la sentence édifiante qui affirme qu'un film, c'est d'abord des rencontres. Ça n'a jamais eu l'air aussi vrai. Avant Baer, il y eut pour Benchetrit une rencontre figurant parmi les plus importantes de sa vie : Anna Mouglalis, comédienne, aujourd'hui maman de sa petite Saül (à qui est dédié le film). Si l'on avait ignoré que ces deux-là étaient à la colle, le film aurait permis de le deviner. Pour la première fois, Mouglalis est débarrassée de son statut de femme glacée, inaccessible et trop intello pour monsieur Tout-le-monde. Sans ses apparats, avec un simple costume de serveuse et guère de maquillage, l'actrice n'a jamais été aussi belle. Ni aussi convaincante, d'ailleurs. Benchetrit utilise ses grands yeux intenses et sa voix grave comme des éléments de mise en scène. Et la transforme en héroïne de muet le temps d'une courte séquence charmante et désuète. L'héroïne, c'est elle, et c'est beau.

 

Il y a du moins beau dans le film, mais c'est tout aussi réussi : dans le deuxième sketch ("Pourquoi tu veux mourir, petite ?"), Benchetrit se focalise sur deux branques dont la belgitude n'a d'égal que la bêtise. Débutant à nouveau par un plan-séquence hilarant, dont la longueur est un vrai atout comique, ce segment est le plus bavard des quatre, parce que ces deux gangsters ratés sont des moulins à parole qui réfléchissent après avoir agi. Pour le plus grand plaisir de leur otage, une jeune fille mutique et carrément suicidaire, les deux vont se mélanger les pinceaux et s'engueuler sans cesse. Même une simple partie de cartes peut tourner à la foire d'empoigne. Le choix de deux acteurs exceptionnels, Serge Larivière et Bouli Lanners (mémorables dans Petites misères) n'est pas étranger à la réussite totale de ce segment. « Je les ai rencontrés il y a une dizaine d'années, il faisaient du théâtre. J'ai toujours eu leurs noms dans un coin de ma tête en, me disant qu'un jour je travaillerais avec eux. » Sans doute par la présence de Lanners (présent dans Aaltra et Avida) et par une certaine obsession du plan fixe, une autre référence s'impose alors : Delépine et Kervern. Mais malgré tout le respect dû aux réalisateurs grolandais, Benchetrit semble franchement plus apte à réussir dans la comédie décalée et teintée de social.

 

 

Vient ensuite le morceau le plus court mais aussi le plus singulier du film : "Oh Gaby", ou la rencontre impromptue entre Alain Bashung et Arno, deux bêtes de somme de la chanson francophone. Qui, n'en déplaise à Benchetrit, fait sérieusement penser au face-à-face Tom Waits / Iggy Pop dans Coffee and cigarettes. En résumé, les deux hommes (dans leurs propres) rôles se croisent dans les latrines de la cafeteria à l'occasion d'un arrêt nocturne, et décident bon gré mal gré de prendre un café pour échanger un peu leurs impressions sur leur carrière et sur leur vie. On aurait pu s'attendre de la part de Benchetrit à une observation distanciée et polie de deux monstres sacrés ; mais comme il n'a pas froid aux yeux, l'auteur leur a tricoté quelques dialogues assez impitoyables, les deux hommes masquant mal leurs aigreurs et leurs rancunes. Moins percutant que les deux premiers quarts, ce segment bénéficie surtout du drôle de rythme imposé par les interprètes. « Ils ne connaissaient pas leur texte, mais je m'y attendais. Si vous êtes attentifs en regardant le film, vous vous rendrez compte qu'entre chaque réplique il y a des blancs pendant lesquels je leur souffle leurs phrases une à une. Grâce au travail sur le son, on ne m'entend pas ; en revanche, on sent de temps en temps qu'Arno et Bashung sont plus en train de m'écouter que de jouer. Au final, ça marche plutôt bien. »

 

Encore un segment qui aurait pu filer tout droit à la poubelle. Ayant écrit le scénario en pensant à Bashung et Arno, Benchetrit avait décidé dès le départ que ce serait eux et personne d'autre. Si Bashung ne s'est pas fait prier, le chanteur belge a été plus difficile à convaincre. « Je suis allé le voir un soir, il était complètement bourré, et quand je lui ai parlé du projet il m'a dit en toute simplicité "Je ne suis pas un acteur. Je ne suis même pas chanteur, tu vois." Je lui ai quand même laissé mon scénar, et je suis rentré chez moi. Quelques temps après, il m'a appelé pour me dire qu'il faisait le film. » Les semaines passent, Benchetrit prépare son projet, puis décide de recontacter les deux hommes pour discuter un peu et gérer le planning. Impossible de les joindre. Pendant un mois et demi, Arno et Bashung feront les morts, ne répondant à aucun des messages du réalisateur. Ce n'est que trois jours avant la date du tournage qu'ils se sont manifestés, l'air de rien. « Ils m'ont dit : "Fallait pas t'inquiéter. On t'avait dit qu'on le ferait, on le fera." Trois jours après, ils étaient là. On a tourné ça en deux nuits et ça a été magique. »

 

Si l'on met de côté son épilogue, J'ai toujours rêvé d'être un gangster se termine par une note plus grave, plus mélancolique, même si la drôlerie reste toujours présente. Dans "Tout a changé", la nostalgie éclate en plein jour : on y suit cinq vieux gangsters retournant sur les lieux de leurs forfaits passés, et rongés par l'envie de remettre ça une dernière fois. Les bouibouis et les planques ont laissé place à des bâtiments calibrés et à des fast-foods ; la vie n'a plus vraiment le même goût. C'est sans doute la partie la plus frustrante du film, un peu trop timorée pour être totalement convaincante. Reste un formidable hommage à une génération d'acteurs qui commence malheureusement à perdre ses plus grands membres un à un. L'occasion de réunir Jean RochefortUn jour il m'a dit : "quand est-ce que tu m'écris un rôle ? Y en a marre que tu refiles tout à Trintignant…" »), Jean-Pierre Kalfon, Roger Dumas, Laurent Terzieff, et Venantino Venantini, l'un des acteurs des Tontons flingueurs. Nouvelle référence à soumettre à Benchetrit. « Je ne suis pas dingue de ce film. Il y a évidemment des dialogues magnifiques, mais tout ça sonne un peu trop "mâle" pour moi. Ça manque salement de féminité. »

 

 

De toute façon, ce film très libre et très travaillé à la fois, décrit par son metteur en scène comme « un brouillon d'un grand film de gangsters », impose si bien sa propre personnalité qu'il parvient – fait rare pour un film de genre français – à s'affranchir de toutes ces références trop écrasantes. On savait qu'en Benchetrit il y avait un auteur de talent ; il faudra bien s'y faire, mais un grand cinéaste est né. Amoureux et fier de son propre film, il va tourner un peu partout en France pour le présenter à un public le plus large possible (outre les traditionnelles salles de cinéma, il ne rechigne pas à aller montrer son film dans les prisons). Pour ceux qui n'auront pas l'occasion d'assister à une de ces projections, il faudra attendre le début du mois de mars pour découvrir le film français incontournable du premier trimestre 2008.

 

 

 

Propos recueillis le 12 novembre lors de la présentation du film au Festival du Film d'Amiens.

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