Y a-t-il un acheteur dans la salle ? : Huit films en marge de Cannes

Laure Gontier | 24 juin 2007
Laure Gontier | 24 juin 2007

Le festival de Cannes (non non, ne vous arrêtez pas tout de suite de lire, on ne va pas vous reparler d’à quel point c’était bien la Palme d’Or de ce Roumain à la coupe de cheveux en provenance directe des Pays de l’Est, on va au contraire vous entraîner vers des films que n’ont vu ni Les Inrocks, ni Libé, ni Le Monde, vous pouvez donc lire cet article même si en en avez ras la casquette des festivités de la Croisette), le festival de Cannes, donc, s’est achevé il y a déjà quelques semaines, et forcément, la presse spécialisée n’a pas failli à son habitude des « bilans ». Quels films achetés, par qui, à quel prix, et en prévision de quel plan de sortie ? Mais il y a une catégorie de films dont on parle moins : ceux qui n’ont pas trouvé acheteur, ceux qui ne connaîtront peut-être jamais plus l’honneur d’une projection sur grand écran et n’ont vocation qu’à devenir des dvd bradés. Où les trouve-t-on, ces merveilles ? Guère dans les sélections officielles, où tout est acheté, avant même le début du festival pour la majorité, mais… au Marché du Film, pardi !

 

Le Marché du Film, c’est la tarte à la crème des cinéphages, là où les accros sont sûrs de pouvoir se délecter de ces petites perles aux ambitions pas toujours ultra élevées, et pourtant tellement plus juteuses qu’un Prix du Jury. À Écran Large, on aime bien le cinéma américain, alors, c’est vers là qu’on est allé au Marché, même s’il y avait aussi du film asiatique à la pelle, et des trucs bizarres venus d’Espagne ou d’ailleurs. Surprise : on n’y a vu ni le pire, ni le meilleur. Les vendeurs ont définitivement renoncé à présenter aux acheteurs potentiels leurs productions les plus extrêmes (il y a quelques années encore, on pouvait s’étrangler devant un travesti se prenant pour Britney Spears et faisant son reality show mal filmé en caméra DV), les ventes ne couvrant sûrement pas la location de la salle. Quant aux bons projets, s’ils n’ont pas été raflés pour Cannes, c’est qu’ils ont été pris ailleurs, à Venise, Berlin and co, et n’ont pas besoin d’aller s’abaisser au Marché.  

 

Bref, cette grille de dizaines de projos en off du festival officiel qui faisait jadis se côtoyer découvertes et navets est aujourd’hui devenue bien lisse, présentant le tout-venant du cinéma mondial, une production de plutôt bonne facture en général, mais sans coups de génie dans la médiocrité, un peu incolore, inodore et sans saveur. Mais notre tour d’horizon express n’a pas non plus été sans enseignements. Car on y a appris…

- Que Winona Ryder a toutes les peines du monde à se sortir du néant dans lequel sa carrière a plongé depuis son arrestation pour vol dans un grand magasin, le film annoncé comme la petite bombe susceptible d’assurer son come-back se révélant plutôt pétard mouillé. Tout s’annonçait pourtant bien : l’actrice retrouvait Daniel Waters, le scénariste de la comédie noire cultissime Heathers, qui l’avait fait connaître en 1989. Sauf que voilà : la pauvre n’est qu’une pièce rapportée dans ce Sex and Death 101, projet bancal qui mêle deux films en un, lesquels n’auraient jamais dû se côtoyer. Pendant 1h40, on a droit à une comédie façon American Pie mais pour les 30-40 ans, soit les mésaventures graveleuses d’un homme prêt à se marier, et qui reçoit par mail la liste de toutes les femmes avec lesquelles il va bientôt coucher – ce qu’il ne manquera pas de faire, trop heureux. On aperçoit Winona à deux ou trois reprises, dans des scènes d’un ton radicalement différent, où elle joue une mante religieuse toute de noire vêtue, qui tue des hommes pour se délivrer de son mal-être. C’est dans le tout dernier quart d’heure que le héros de vaudeville et la femme fatale se rencontrent, le scénariste-réalisateur semblant enfin se souvenir qu’il a sous la main l’une des meilleures actrices du cinéma américain. Et là, ça bascule : Winona raconte comment son ex-mari s’habillait en prince ou en viking, et lui faisait mettre à elle une robe de princesse, pour des scènes de sexe où elle faisait office de punching-ball ou de cendrier humain. D’un coup, la comédie post-teen vire au conte de fée morbide, à quelque chose de glauque et de totalement déstabilisant. Et l’on se dit : finalement, les quinze dernières minutes de Sex and Death 101 font un excellent court-métrage.

 

 

- Que Zoé Cassavetes, fille du grand John et de la belle Gena Rowlands, meilleure copine de Sofia Coppola, fidèle du premier rang des défilés Marc Jacobs, n’est pas bonne qu’à tourner des courts-métrages cultes – en l’occurrence Men Make Women Crazy Theory, longtemps vendu dans les très branchées boutiques A.P.C, et Elettra dans la ville, son charmant spot de pub pour les sacs Lamarthe. Passée au long, elle n’a pas choisi d’emprunter le chemin chaotique et totalement personnel de son père, mais celui… tatata… très confortable et très convenu du cinéma américain indépendant typique. Ce qui lui a d’ailleurs valu de passer par la case Sundance, on s’en serait douté, et d’y être appréciée. Dans Broken English, puisque c’est de ça qu’il s’agit, on suit donc les tribulations d’une « thirty-something », jouée par Parker Posey (ça, c’est « good news », enfin un premier rôle pour celle qui semblait condamnée à jouer les guest-stars jusqu’à la fin de ses jours). Elle rêve… devinez de quoi ? Du prince charmant. Et elle a du mal à le trouver dans les rues de New York. C’est finalement en France qu’elle le dégotera, sous les traits de Melvil Poupaud. Pour un peu, on se croirait chez Woody Allen, car comme chez Woody, on va au cinéma, comme chez Woody, on connaît les meilleures pâtisseries de Big Apple, et comme chez Woody, on a la déprime facile. Puisqu’on a quand même aimé ce film banal mais joli, on dira en sa faveur qu’il a pour lui un regard très juste : celui d’une fille qui filme une autre fille, avec cette « sensibilité féminine » que l’on croit souvent être un cliché ou un mythe mais qui, ici, se vérifie, chaque geste, chaque sentiment sonnant vrai – et c’est une fille qui vous l’écrit.

 

 

- Que si certains acteurs en lice au Marché du Film sont là uniquement pour entretenir leur villa, d’autres sont animés de louables intentions. Démontrer qu’ils peuvent jouer autre chose que les rôles auxquels ils sont habituellement cantonnés, par exemple. Prenons Freddie Prinze Jr. Les producteurs ne l’imaginent que dans Scooby-Doo, et les spectateurs le voient comme un niais ? Ils se plantent : car dans ses rêves, Freddie a bien l’étoffe du Parrain ! Un Parrain croisé avec Le Kid de la plage, dirons-nous. Brooklyn Rules de Michael Corrente narre, dans les années 80, le quotidien de trois jeunes dans les rues de Brooklyn, contrôlées par la mafia. Freddie se rêve en héritier de Pacino, mais il nous rappelle surtout l’allure sympa du Matt Dillon de l’époque – encore que celui-ci était nettement plus charismatique. Cette chronique agréablement quelconque, dans laquelle Al Pacino joue les chefs mafieux et Mena Suvari les blondes étudiantes, étonne par sa direction artistique (avouez que ça, vous ne l’aviez pas vu venir) : les ambiances sont très réussies, qu’il s’agisse de cafés à la tombée de la nuit, de parvis d’église, ou même de la boucherie dans laquelle travaille le héros, à tel point qu’on dirait du Dean Tavoularis, le mythique directeur artistique… du Parrain, justement.   

 

 

- Que Sarah Jessica Parker souffre du même mal que Freddie Prinze Jr : pas celui d’avoir un nom à rallonge, mais celui d’être sans cesse associée à la même image, laquelle n’est pas synonyme de performance à Oscars. Pour SJP, il s’agit de la New York girl de Sex & the City, qu’elle essaie de casser dans Spinning into Butter en jouant… la professeur d’orientation d’un lycée huppé. Attention, si la fashion addict se frotte à de grands sujets comme le racisme sur le campus et l’avenir de nos jeunes en question, elle n’a quand même pas envie d’abdiquer entièrement de son glamour, et a visiblement mis son grain de sel dans la garde-robe du personnage. Fonctionnaire dans un bureau marronnasse, d’accord, mais en robe de mousseline et talons aiguille ! Cela n’aide pas, c’est sûr, à rendre très crédible ce qui, par ailleurs, ressemble à s’y méprendre à un basique téléfilm. 

 

 

- Que le tout-Hollywood fantasme encore sur le mythe Ghost, autrement dit sur cette petite histoire d’amour au-delà de la mort qui ne coûte pas cher en stars et rapporte un max au box-office. Dans Camille de Gregory Mackenzie, on trouve James Franco et Sienna Miller en remplaçants de Patrick Swayze et Demi Moore. Ils jouent deux paumés dans l’Amérique profonde. Sienna est une gentille cruche qui blablate tout le temps et force son James à l’épouser, alors qu’il ne peut pas la supporter. Lors de leur voyage de noces à moto, James dit à Sienna ses quatre vérités (qu’elle est cruche et qu’elle blablate trop, donc), et paf, ils ont un accident juste après. Ils se relèvent tous les deux, mais là, Sienna a beau marcher, parler, elle n’en est pas moins morte. Une morte-vivante qui va peu à peu perdre ses cheveux, ses dents et même ses doigts. L’amour peut-il ressusciter les défunts ? Vaste mystère qu’explore cette bluette, à laquelle le teint de plus en plus crayeux de l’héroïne (sans parler de son haleine de chacal) apporte une dose de vérité trash assez culottée. En tout cas, c’est un peu l’auberge espagnole là-dedans, puisqu’on y on croise aussi David Carradine en éleveur de chevaux de toutes les couleurs, bleus, jaunes ou roses, comme ceux du Magicien d’Oz, et que le final s’y fait grandiose devant les chutes du Niagara – impossible, là, de ne pas songer au film avec Marilyn. Forcément moins nostalgique du Romero de La Nuit des morts-vivants que du Lubitsch du Ciel peut attendre, le film est plutôt mignon… mais gageons que pour le hit surprise au box-office, il va falloir encore attendre. 

 

 

- Que les rôles pour les femmes de cinquante ans et plus existent encore. Tant mieux pour Jessica Lange, Kathy Bates et Joan Allen, qui en héritent dans Bonneville de Chistopher N. Rowley, et découvrent donc les joies du « chick flick ». Du quoi ? Du film 100% féminin, avec des filles et qui doit plaire aux filles. La principale exigence du cahier des charges : mettre le paquet au niveau lacrymal. Voici donc Jessica, Kathy et Joan, trois copines quinquas. À la mort du mari de l’une d’elles, elles prennent la route à bord d’une décapotable et sillonnent les Etats-Unis pour disperser les cendres du défunt. Ce script est d’une originalité à toute épreuve. Le développement des caractères aussi : évidemment, il y a la puritaine coincée, la grosse fofolle et la normale ; évidemment, elles sont amies à la vie à la mort, mais il y a des moments où, quand même, elles vont se chamailler, il va y avoir des crises d’hystérie, de pleurs et de jalousie ; mais évidemment, tout cela va se terminer par de bons gros « hugs » comme les aiment les Américains. Ça ne casse pas trois pattes à un canard. Mais il y a de beaux paysages, les mêmes d’ailleurs, que ceux que traverse Bernard-Henri Levy dans American Vertigo, actuellement sur nos écrans, et dont sont extirpées de bien meilleures choses, cinématographiquement parlant. Mais on s’en serait douté, non ?

 

 

- Que si les rôles de femmes mûres ne courent effectivement pas les rues de Los Angeles en dehors de Bonneville, ceux pour les belles plantes qui ont passé l’âge et/ou déjà joué dans un James Bond ne sont pas non plus légion. Ce qui a poussé Pamela Anderson et Denise Richards à renoncer à la moindre ambition cinématographique en se commettant dans Blonde and Blonder. Meilleures copines dans la vie, fâchées par les tabloïds depuis que Denise a piqué le boy-friend de Pamela, toutes les deux se retrouvent à l’affiche d’un film qui, la honte, n’a même pas de date de sortie aux Etats-Unis, pays pourtant pas toujours trop regardant sur la qualité. Blonde and Blonder, c’est Dumb and Dumber version blondes à gros seins, mais sans le petit génie des cancres Farrelly. On imagine le niveau. Pamela et Denise sont donc des cruches, dans le film, comme en atteste la première scène : elles sont toutes les deux excitées comme des puces à l’idée de piloter un avion pour la première fois de leur vie, elles font décoller l’engin grâce à leur manuel « Le Pilotage pour les Nuls », et en vol, elles s’aperçoivent que ni l’une ni l’autre n’a franchement l’expérience d’un vrai pilote, ce qui les pousse à lancer de grands cris hystériques. Voilà. Ce n’est ni drôle ni satirique, même au trente-sixième degré. Il y a un pitch, quand même : nos deux écervelées sont prises par mégarde pour des tueuses à gage d’une intelligence redoutable. On a de la peine devant cette comédie affligeante de voir Pamela Anderson et Denise Richards colporter le cliché machiste des blondes idiotes à un tel point de nullité – et là, c’est une brune qui vous l’écrit ! Le plus ennuyeux, c’est que ce navet mal filmé et mal joué est trop insignifiant pour décrocher le qualificatif de « pire » dans le Marché du Film. Car il suffit d’un bon dîner, ou même pas, d’un tout petit sandwich, pour l’oublier.

 

 

- Enfin, nous avons découvert avec stupéfaction, au fil de ces quelques jours, que Gwyneth Paltrow a un frère, Jake Paltrow, et que celui-ci a des velléités d’Auteur. C’est d’ailleurs ce qui rend son film, The Good Night, assez insupportable, même si le sujet n’est pas éloigné de celui du Zoé Cassavetes. Un homme (Martin Freeman) est en pleine « mid-life crisis ». Musicien raté, il broie du noir du matin au soir, développe d’incroyables phobies – y compris une phobie contre sa femme, jouée par Gwyneth. Il fantasme sur un top-model (Penélope Cruz) qu’il imagine angélique, virginale, toute de blanc vêtue… et qui, lorsqu’il fait sa connaissance, se révèle nettement trop underground pour ce rêveur invétéré. Sur le papier, tout cela a sûrement l’air très intéressant, mais à l’écran, c’est plutôt fumeux, le climat qui se veut drôle et désespéré à la fois est plutôt lourd et pompeux. Le ton mélancolique vire à la mollesse et l’ennui, et la fin n’en finit pas de finir. Heureusement, une réplique de Danny DeVito (qui fait une apparition dans 80% des films indépendants, c’est du moins l’impression qu’il donne) suffit à nous faire pouffer de rire pendant une demi-heure. Ce serait trop laborieux de vous la raconter, mais ça justifiera peut-être de regarder le film… en DVD ! Puisque c’est là qu’a vocation à atterrir la majorité des films du Marché du Film, même si, chaque année, on ne se lasse pas de les mettre en concurrence, dans notre Panthéon perso, avec les « vrais » films de Cannes.

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