Kevin Costner, Danse avec la lose
Beau gosse, athlétique, charmeur et charismatique : tout
prédisposait Kevin Costner à devenir une star parmi les stars, le
bankable de service, celui sur qui se montent les plus gros projets
d'Hollywood. Pourtant, vingt-cinq ans après le début de sa carrière,
force est de constater que le beau Kevin n'est pas devenu le grand
acteur qu'il aurait dû être, brisé par une kyrielle de mauvais choix et
de coups de malchance.
En
fait, la poisse s'est emparée de Costner alors qu'il n'était pas encore
comédien. Adolescent, il souhaite devenir sportif professionnel. Jetant
d'abord son dévolu sur le basket-ball, il est recalé à cause de sa très
petite taille (il a bien grandi depuis). C'est ensuite le base-ball qui
lui ouvre les bras ; le jeune Kevin est doué, très doué, et se voit
ouvrir les portes des universités américaines. Mais les sales blessures
s'accumulent et personne ne mise plus un kopeck sur son avenir de
sportif. Retour à la case départ : il se résigne à passer un diplôme de
marketing qui l'ennuie profondément. Pour s'évader, rien de mieux que
des cours de comédie. Un soir par semaine. Puis deux. Et finalement
cinq. Costner se verrait bien acteur, mais hésite à tout plaquer pour
tenter sa chance dans le septième art. C'est finalement Richard Burton,
son voisin de rangée dans un avion pour Mexico, qui lui met le pied à
l'étrier, l'exhortant à aller s'installer à Hollywood pour vivre à fond
sa nouvelle passion. Dont acte. Après quelques mois à vivre de petits
boulots (il est notamment guide sur un circuit touristique autour des
maisons des stars), Costner empoche enfin son premier rôle. Rien de
prestigieux : il s'agit d'un téléfilm érotique de piètre qualité où son
physique avenant est bien plus mis en valeur que ses talents d'acteur.
Un peu dépité par cette première expérience, il prend la décision de ne
plus accepter de rôles alimentaires et d'attendre qu'on lui propose une
prestation consistante.
L'attente
dure six ans, jusqu'à ce que John Badham lui offre enfin une vraie
chance de percer avec le rôle principal du thriller informatique Wargames. Mais comme au même moment, Lawrence Kasdan l'appelle pour lui proposer un rôle dans Les copains d'abord,
Costner décline la proposition de Badham pour se tourner vers un film
qui lui correspond mieux. Avec Matthew Broderick dans le premier rôle, Wargames est un joli succès commercial. Au même moment, Les copains d'abord
marche très fort également, et devient rapidement culte pour toute une
génération. Sauf que le poissard de service se nomme Kevin Costner,
dont le rôle est finalement coupé au montage. Kevin Kline, Jeff
Goldblum, Tom Berenger et quelques autres bénéficient du succès du
film, pas lui. Se sentant responsable de ce début de carrière foireux,
Kasdan lui propose deux ans plus tard un rôle dans Silverado.
Cette fois, le montage ne lui est pas fatal, et le film est un joli
succès qui fait presque oublier à Costner son début de carrière en eau
de boudin.
1986 : sur les conseils de son directeur de casting, Oliver Stone propose Platoon à Costner. Mais voilà : le grand frère de Kevin est un vétéran du Vietnam, brisé par cette guerre si destructrice pour l'Amérique. En bon frangin, Costner refuse le rôle. Par un respectable souci d'intégrité, il laisse à nouveau passer un grand succès, mais se rattrape l'année suivante en endossant l'imperméable d'Eliot Ness dans Les incorruptibles, pas le plus mauvais des films de Brian de Palma. Après un tel carton, les rôles importants et les grosses productions auraient dû suivre : mais à part le tordu Sens unique et le bébête Duo à trois, rien d'important.
Conscient
de son manque évident de popularité, Costner décide de passer derrière
la caméra pour traiter un sujet qui lui tient à cur. Ce sera Danse avec les loups (1991),
projet qu'il a mis presque cinq ans à monter. Cette fois, critique et
public se serrent dans les bras pour acclamer cette loooooongue fresque
sur un héros de la guerre de Sécession qui devient l'ami des Sioux.
Oscars à la pelle, succès international : Costner est à la fois salué
pour ses qualités de metteur en scène et pour son potentiel d'acteur
mal exploité jusqu'ici. Les choses s'accélèrent : nouveau carton avec Robin des bois, prince des voleurs, onde de choc avec JFK, fans en délire pour Bodyguard,
total respect pour Un monde parfait (sans aucun doute son meilleur rôle
à ce jour). Apparemment, tout va bien ; il suffit juste de ne pas
s'attarder sur le nombre de films intéressants ratés par Costner à la
même époque. Se retrouvant sans cesse en compétition avec Harrison Ford
et Alec Baldwin, il s'impose comme le Poulidor du cinéma américain,
l'éternel deuxième choix des réalisateurs. Et comme les rôles de
qualité se font de plus en plus rares, Costner patine. Wyatt Earp, À chacun sa guerre et Tin cup sont des bides mérités et Harrison Ford continue de lui piquer tous ses cachets.
Il y a bien Waterworld,
deuxième collaboration avec Kevin Reynolds ; mais si le film est devenu
célèbre, c'est pour de mauvaises raisons. Budget titanesque (deux cents
millions de dollars, un record pour l'époque), tournage à rallonge,
catastrophes à la pelle (l'intégralité du décor ayant coulé, il fallut
tout reconstruire de A à Z)
et gadin monumental au box-office. Si le
film finit par se rembourser grâce aux ventes de VHS, Reynolds est
inscrit sur la liste noire des réalisateurs infréquentables, et Costner
est moqué par la profession. Alors, pour faire oublier le ratage de ce
long western aquatique, il trouve une idée géniale : endosser à nouveau
sa cape de réalisateur pour tourner la même chose, mais dans le désert.
Interminable, ridicule, Postman est détruit par les spectateurs, qui comparent le film à Danse avec les loups (pour la durée et les paysages à perte de vue, pas pour la qualité) et à
Waterworld
(pour l'ennui et la démesure de l'objet). Échec cuisant et grosse
déprime pour Kevin, qui ne sait plus quoi faire pour se relancer, lui
que les réalisateurs n'appellent plus et dont les producteurs refusent
les projets (il faut dire qu'il n'aime que les westerns et les fresques
de trois heures).
La suite n'est pas plus glorieuse : après avoir tourné avec Luis Mandoki, le réalisateur le plus sirupeux de l'univers (Une bouteille à la mer), Kevin retrouve la pêche lorsqu'il est contacté par Sam Raimi. Leur rencontre donnera malheureusement Pour l'amour du jeu,
le film le plus insignifiant de son auteur. Nouvelle déculottée et
grosse honte en prime : lors des projections-tests, une scène dans
laquelle il est intégralement nu provoque les ricanements et les
quolibets du public. On ne verra jamais les images, coupées en dernière
minute, mais il semblerait que l'ami Kevin n'ait pas été très gâté par
dame Nature.
Visiblement fasciné par l'autodestruction, Costner tourne encore quelques films sans intérêt (si l'on excepte le 13 jours
de Roger Donaldson) avant de se surpasser une nouvelle fois. C'est
David Carradine qui doit se frotter les mains : parce qu'il préfère
tourner Open range, le western dont il a toujours rêvé, Costner dit non à Quentin Tarantino qui lui avait proposé le rôle de Bill dans Kill Bill.
Sachant que le roi Quentin n'a pas son pareil pour relancer la carrière
des acteurs en fin de course, voici encore un choix discutable.
D'autant qu'Open range n'est franchement pas un succès au
box-office. Mais peut-on vraiment lui reprocher d'avoir choisi de mener
à bien un projet qui lui tenait à cur au détriment de sa cote de
popularité ?
Nouvelle
crise existentielle pour Kevin : qui voudrait encore faire tourner un
quinquagénaire maudit qui semble se complaire dans la lose ? Et quels
rôles pourrait-on lui proposer ? La réponse est simple : des
quinquagénaires maudits qui semblent se complaire dans la lose. C'est
ce qu'a compris Rob Reiner, qui l'engage pour La rumeur court,
comédie plutôt médiocre mais dans laquelle Costner dévoile une belle
énergie et de vraies aptitudes à jouer la comédie. Mais c'est surtout
Mike Binder qui lui offre son meilleur rôle depuis des lustres : pour
l'excellent Les bienfaits de la colère,
il accepte de prendre dix kilos pour jouer le voisin et amant de Joan
Allen, ancien joueur de base-ball devenu animateur radio complètement
alcoolo. Une prestation jubilatoire qui pourrait donner des idées à
d'autres metteurs en scène.
Pas sûr que Coast guards relance franchement la filmographie d'un acteur inconstant, mais le film d'Andrew Davis a le mérite de montrer que Costner s'est définitivement mis à accepter le fait qu'il n'est plus un jeune premier. Dans le film, il semble passer la main au jeune Ashton Kutcher, comme pour mieux crier aux réalisateurs qu'il vieillit bien, qu'il assume, et qu'il est dorénavant prêt à piquer tous les rôles de Harrison Ford. À bon entendeur