Patrice Leconte, l'ami des stars
Patrice Leconte est l'ami des stars, le Magloire du cinéma français. Dans Mon meilleur ami,
le personnage interprété par Daniel Auteuil a dix jours pour se trouver
un meilleur ami. Histoire de remporter un pari, et aussi de se rassurer
un peu. C'est un peu ça, Patrice Leconte : partir à la chasse aux stars
et en faire ses amies pour être plus serein quant au succès de ses
films.
Premier film ? Les vécés étaient fermés de l'intérieur (1976),
comédie aussi brillante que son titre le laisse imaginer, qui réunit
Jean Rochefort et Coluche. Pour des débuts, on a déjà vu casting plus
repoussant. Mais le tournage se passe mal (Coluche est assez
incontrôlable), le film est un gros bide et déjà Leconte pense à se
retirer du cinéma pour faire carrière dans la pub. Il accepte tout de
même un dernier projet avant de changer de voie. Pas de star, mais de
jeunes acteurs sympathiques qui semblent avoir envie de réussir. Pour
leur filer un coup de pouce, il réalise le film. Les bronzés
(1978) est un carton au box-office, et comme seuls les imbéciles ne
changent pas d'avis, Leconte décide de prolonger sa carrière
cinématographique. D'autant qu'il a trouvé un filon : la popularité de
la bande du Splendid (Balasko, Blanc, Chazel, Clavier, Jugnot,
Lhermitte
) étant au plus haut, il décide d'enchaîner sur une suite, Les bronzés font du ski (1979).
C'est tout de suite plus facile quand l'ensemble du casting est
brusquement devenu bankable. Le film est un nouveau succès, et on peut
imaginer que Leconte aurait été prêt à décliner le thème pendant une
dizaine de films : Les bronzés à la campagne, Les bronzés aux States,
Les bronzés font leurs courses
Mais les acteurs ont d'autres
aspirations et la saga des Bronzés s'arrête là (pour le moment).
Conscient que son succès est lié à celui du Splendid, Leconte décide de suivre ce petit monde de près, et en particulier Michel Blanc, le petit chauve le plus connu de France, qu'il fait tourner dans trois films consécutifs. Viens chez moi j'habite chez une copine (1981) et Ma femme s'appelle reviens (1982) marchent très bien, mais Circulez y'a rien à voir (1983) se plante (c'est bien normal) et les deux hommes arrêtent là leur fructueuse collaboration. Très imaginatif, Leconte voit Marche à l'ombre en 1984 et se dit que puisqu'il ne peut pas prendre Michel Blanc pour jouer un taulard à biscotos, il va engager son partenaire Gérard Lanvin. Avec Bernard Giraudeau, Lanvin forme un duo de belles gueules nommés Les spécialistes (1985).
Jusqu'en 1993, pour assurer ses arrières, Leconte joue au petit malin et engage pour le rôle principal de chaque film un acteur avec qui il a déjà tourné. Cela lui permet de monter plus facilement ses projets, et de travailler avec des comédiens qu'il sait malléables sans pour autant avoir vraiment l'air de se servir de leur statut de star. Il y a d'abord Tandem (1987), qui réunit Rochefort et Jugnot. Succès qui doit beaucoup à ses interprètes. Monsieur Hire (1989) révèle une autre facette de Michel Blanc et attire les curieux. Le mari de la coiffeuse (1990) est un petit bijou qui n'aurait jamais pu exister sans l'extraordinaire Rochefort. Et si Tango (1993) n'est pas une franche réussite, c'est sans doute parce que Thierry Lhermitte n'a pas le charisme de ses comparses.
L'air de rien, Leconte s'est fait une jolie place dans l'univers des réalisateurs français. Il se prend à rêver : et s'il était lui-même devenu une star, aussi acclamée et réclamée que celles qu'il a utilisées? Après de tels succès, on aurait pu penser que oui. Mais voilà : conscients que chacune des réussites de Leconte était basée sur son casting populaire, les producteurs ne sont pas tout à fait prêts à le laisser faire ce qu'il veut avec n'importe qui. Mais Leconte a un projet qui lui tient vraiment à cur, et il est bien décidé à le mener à bien sans passer par la case bankable. Malgré la présence de Jean-Pierre Marielle, Le parfum d'Yvonne sort en 1994 mais n'attire pas grand monde. Il faut dire que le film, également interprété par Hippolyte Girardot et Sandra Majani (si quelqu'un a des nouvelles ), est une adaptation assez ennuyeuse d'un mauvais roman de Modiano. Un tel four fait douter Leconte, qui ne sait plus s'il doit se tourner à nouveau vers ses amies les stars ou s'il doit persévérer pour faire les films qu'il a vraiment envie de faire. Se sentant vieillir, Leconte tourne Les grands ducs (1996), comédie nostalgique sur la peur de tomber dans l'oubli. Malgré l'épatant trio Marielle Rochefort - Noiret (trois acteurs qu'il a déjà fait tourner, forcément), le film passe relativement inaperçu. Qu'à cela ne tienne : il enchaîne par le tournage de Ridicule (1996), jubilatoire joute verbale où, aux côtés de Charles Berling, il retrouve Rochefort et Giraudeau. Cette fois, la star, c'est lui : le film est écrit par Rémi Waterhouse (alors totalement inconnu et réalisateur depuis de Je règle mon pas sur le pas de mon père et Mille millièmes), mais lorsque ce dernier annonce fort légitimement qu'il souhaite mettre en scène son propre scénario, les producteurs lui rient au nez. Ridicule se fera avec un réalisateur connu ou ne se fera pas. Waterhouse cède, Leconte prend sa place, et se sent enfin aussi star que les stars.
Galvanisé par le grand succès de Ridicule (critique et public, avec quelques Césars et même une nomination à l'Oscar), Leconte se dit qu'il est temps de revenir au film populaire, et enrôle dans le même film deux ennemis de longue date, Belmondo et Delon, ainsi que Vanessa Paradis. Une chance sur deux (1997) est un film d'action barbant qui rappelle Les spécialistes sans en avoir la classe. Il faut dire que le duel Bébel Delon a lassé tout le monde avant même la sortie du film : le tournage est un combat de coqs et chacun cherche la petite bête (notamment au sujet de l'affiche du film, pour savoir quel nom sera écrit en premier). Fatigué par tout ce barouf, Leconte cherche un peu de répit et s'attelle à La fille sur le pont. Coécrit avec Serge Frydman, le film est un vrai bijou de cinéma, avec son scénario touchant et son noir et blanc intense. Comme à l'habitude, Leconte engage une star avec qui il vient de travailler (Paradis) et un petit nouveau (mais star quand même, Daniel Auteuil). Sorti en 1998, le film est surtout un énorme succès d'estime mais lui remet du baume au cur. Alors en bon stakhanoviste, Patrice enchaîne avec La veuve de Saint-Pierre (2000), sur la même recette que précédemment (le retour d'Auteuil et la première de Binoche). Puis, chose rare, réalise deux films mineurs avec des acteurs qu'il ne connaît pas : Félix et Lola (2001) et Rue des plaisirs (2002) sont de bons gros bides. C'est à peine mieux pour L'homme du train (2002), où il retrouve Rochefort pour la quatrième fois et lui adjoint les services du Suisse Johnny Hallyday. Ce sympathique film est un revers de plus : même les aficionados du représentant en lunettes ne viennent pas voir le film. Confidences trop intimes (2003), lui, marche un peu mieux, mais on est encore loin de ses grands succès d'antan.
Là, lassé de ne plus trouver son public, Leconte fait un break. Il part filmer le Tiers-Monde et revient en 2004 avec Dogora, estimable documentaire mis en musique par Étienne Perruchon. Puis soigne sa popularité en intégrant l'équipe radiophonique de Laurent Ruquier (d'ici à ce qu'il fasse tourner Isabelle Mergault ). Et là, c'est le drame : il accepte avec plaisir de réaliser Les bronzés 3 pour signer les retrouvailles du Splendid et surtout se remplir les poches. Car mis à part Jugnot, toujours au sommet de sa popularité, les autres acteurs ont autant besoin que Leconte de se refaire une santé et de rappeler au public qu'ils sont toujours présents. Au vu du résultat, on a du mal à imaginer que le but ait été de faire du bon cinéma. De toute façon, qualité ou pas, il était certain que le public allait accourir. Banco : dix millions d'entrées pour l'un des moins bons films de sa carrière, voilà qui fait réfléchir. Une fois encore, en se reposant sur ses amies les stars (qui elles-mêmes se sont utilisées les unes les autres), Leconte a touché le jackpot. Espérons qu'il se passe des dizaines d'années avant que Les bronzés 4 ne voient le jour : en attendant, Leconte est revenu à un cinéma plus modeste même si, une nouvelle fois, il s'est entouré de gens qui comptent. Aux côtés de Daniel Auteuil, devenu un habitué, voici Dany Boon, acteur quasi néophyte mais à la popularité sans nom.