Le Sexe au cinéma

Thomas Messias | 16 novembre 2006
Thomas Messias | 16 novembre 2006

Auto-fellation, éjaculation façon Pollock et autres fantaisies sexuelles : c'est ce que nous propose Shortbus, le deuxième et génial film de John Cameron Mitchell. Une représentation du sexe intelligente et sans tabous pour un film bien profond. Mais s'il le fait remarquablement bien, Mitchell n'est pas le premier à montrer du sexe cru à l'écran. L'occasion de passer en revue les grandes lignes de la représentation du sexe au cinéma.

C'est en 1933 qu'apparaît pour la première fois une actrice en tenue d'Ève. Hedy Lamarr entre dans la légende en montrant tout ce qu'il y a à montrer dans Extase de Gustav Machary. À l'époque, c'est le scandale. En 1941, Jane Russell dévoile ses formes légendaires dans Le Banni d'Howard Hughes, et si les bien-pensants font les gros yeux, beaucoup de jeunes gens ouvrent des yeux ronds comme des billes pour ne pas en perdre une miette. Bravant le Code Hays mis en place au début des années 30 à l'initiative même des dirigeants des grands studios hollywoodiens désireux ne pas se voir censurer au niveau étatique suite aux plaintes éventuelles des défenseurs de la morale et autre association catholique, le film de Hughes est l'un des nombreux exemples qui vont se multiplier et mettre à mal le système de « censure » établi. En 1964, l'actrice afro-américaine Thelma Oliver expose sa poitrine dans Le Prêteur sur gages de Sidney Lumet. Si la censure continuera à pointer le bout de son nez de temps à autres, jamais plus la simple nudité ne sera interdite à l'écran. Et nul doute que la France y est pour quelque chose, car avant de devenir une rombière méprisable et fripée, mademoiselle Brigitte Bardot a beaucoup payé de sa personne. Divers aspects de sa plastique irréprochable font le succès d'Et dieu créa la femme (hop, plus de bikini), En cas de malheur (hop, mon cul sur la commode) ou encore Le Mépris. Devant une telle beauté, certains pères la pudeur oublient de protester et se contentent de se rincer l'œil.

Une fois la nudité banalisée (même si c'est toujours une émotion nouvelle que de découvrir l'intimité de ses comédiens préférés), le cinéma remet à tout le monde les yeux en face des trous : non, on ne se dénude pas simplement pour prendre un bain ou enfiler son pyjama. Il existe également une pratique assez plaisante nommée sexe, qui nécessite la plupart du temps d'ôter quelques vêtements. Ça commence par un baiser : dans Tant qu'il y aura des hommes de Fred Zinnemann ou La Piscine de Jacques Deray, l'amour filmé se pratique encore du bout des lèvres, puis avec la langue lorsque les hormones l'emportent sur la bonne tenue. Souvent décrit comme le baiser le plus long de l'histoire du cinéma, celui de Tant qu'il y aura des hommes peut aujourd'hui faire sourire tant il paraît anodin. Il n'empêche, ce genre de micro-évènement constitue un petit pas pour l'homme mais un grand pas pour l'humanité.

Les années 70 apportent leur lot de grands films à forte teneur en sexe, et autant de scandales. Dans Le Dernier tango à Paris (1972), Bernardo Bertolucci montre Marlon Brando prendre Maria Schneider par derrière sans même enlever son pantalon. La même année, un film au sujet étonnant et au traitement des plus chauds séduit un certain public : dans Gorge profonde, de Gerard Damiano, une femme qui se croit frigide découvre que son clitoris est situé au fond de sa gorge. Le film est rapidement estampillé culte, et son interprète Linda Lovelace devient uns star. L'an dernier, un documentaire fascinant, Inside deep throat, s'est d'ailleurs penché trente ans après sur l'incroyable destin d'un film qui aurait dû rester confidentiel.

En 1975 sort Salo ou les 120 journées de Sodome, le dernier film de Pier Paolo Pasolini. Un drame sordide dans lequel huit jeunes gens sont victimes de pratiques dégradantes de la part de quelques seigneurs fascistes. Malsain, immoral, repoussant, mais génial. En le prenant au premier degré, on pourrait croire que Salo voudrait banaliser le viol. On pourrait d'ailleurs se faire la même réflexion à propos d'Orange mécanique (1971 ), dans lequel Alex et ses droogies sèment la violence et la mort en pratiquant dès qu'ils en ont envie des parties de "ça va – ça vient" sur des victimes non consentantes. Montrer le sexe comme un moyen vexatoire ou un vecteur de la domination et de la perversion du pouvoir : une manière pour Pasolini et Kubrick de soigner le mal par le mal à grands coups d'ironie aussi acide que mordante.

La même année, alors que le Japon censure encore la moindre scène où il est question de pilosité (même les poils de torse de Tarzan sont floutés!), Nagisa Oshima choque son pays avec L'Empire des sens, histoire d'amour physique montrant ses héros sous toutes les coutures. On y voit même (et en gros plan, s'il vous plaît) une demoiselle se faire introduire un œuf dans le vagin. Et le faire ressortir quelques instants plus tard pour montrer qu'il est intact. Après ça, l'omelette n'aura plus jamais le même goût. Mais au-delà de ces provocations, Oshima est surtout l'un des premiers à demander à ses acteurs de ne pas feindre les scènes d'amour. Un parti pris radical mais sans doute indispensable pour mettre vraiment à nu cette histoire de passion destructrice qui mènera à la castration de l'homme. Considéré aujourd'hui encore comme l'un des fleurons du cinéma à dominante sexuelle, L'Empire des sens a un impact si fort que les films qui suivent n'ont qu'une portée réduite. Dans La Dernière femme de Marco Ferreri (1976), le personnage interprété par Gérard Depardieu finit par s'émasculer avec un couteau électrique, mais personne ou presque ne s'en émeut. Il faut dire que le père Marco avait déjà bien choqué le bourgeois trois ans plus tôt avec La Grande bouffe et sa vision crue de la sexualité. Dans Le Diable au corps de Marco Bellochio (1985), une scène de fellation non simulée, effectuée par Marushka Detmers elle-même, choque les spectateurs. Mais rien ne semble devoir ébranler réellement le monde du cinéma. La France se contente des films de Just Jaeckin. Les années 80 passent sans scandale majeur ni image marquante. Le sexe au cinéma est quasiment devenu banal. On peut toutefois relever une vision sulfureuse de l'homosexualité par Patrice Chéreau (L'Homme blessé, 1983), une énième provocation de Blier avec Tenue de soirée où Depardieu besogne Michel Blanc ou encore un provocant La Clé de Tinto Brass qui valut à son actrice principale, Stefania Sandrelli, d'être blacklistée pendant un temps en Italie.

Ce sont les années 90, par l'intermédiaire de quelques cinéastes plus ou moins underground, qui relancent la sex machine. Premier d'entre eux : Larry Clark. Pour traiter de la déchéance des jeunes américains son thème de prédilection), Clark est obligé de passer par la case sexe, qui révèle les frustrations et les aspirations de teenagers qui commencent de plus en plus tôt à jouer à touche-pipi. Dès son premier film, Clark choque : si une grande partie de la critique applaudit Kids, d'autres dénoncent la complaisance et le voyeurisme du cinéaste, qui filme en effet de très jeunes adolescents en train de s'envoyer en l'air avec un détachement et une inconscience des plus désarmants. Car dorénavant, qui dit sexe dit risque de SIDA, fléau que le jeune héros de Kids distribue sans le savoir à un paquet de gamines à peine pubères. Ce sexe-là n'est pas vraiment excitant et fait plutôt froid dans le dos. Par la suite, de Bully en Ken Park, Clark poursuivra sa radiographie sans concession et continuera à filmer un sexe cru, juvénile et parfois immoral. C'est souvent beau à voir, mais le malaise est toujours présent, surtout quand le cinéaste cinquantenaire prend plaisir à filmer sa petite amie de vingt ans copuler pour de vrai avec un jeune acteur. Dans Ken Park, outre cette scène, Clark propose un jeune mec pratiquant la caresse buccale sur la mère de sa copine, un autre se masturbant en plan fixe jusqu'à éjaculation, avant de conclure par une longue séquence de triolisme entre teenagers. Il n'en fallait pas moins pour que même la France sorte la rarissime interdiction aux moins de 18 ans à l'encontre de ce film. Tellement rarissime que Ken Park n'est que le deuxième film à subir une telle interdiction depuis sa remise en marche. Le premier était le célèbre Baise-moi, sorti en 1999, adaptation par Virginie Despentes de son propre roman, sorte de plaidoyer féministe plein de scènes purement pornographiques interprétées par des actrices "spécialisées". Malgré son niveau médiocre, le film permet de remettre sur le tapis l'éternel problème de la censure, même si c'est là son seul intérêt.

Il faut dire que la France est un véritable vivier de cinéastes passionnés par le sexe : que Catherine Breillat engage Rocco Siffredi pour deux de ses films (dont Romance, où sa scène d'amour avec Caroline Ducey est plus vraie que nature) ou que Bruno Dumont filme le sexe avec insistance et froideur pour établir un constat clinique et implacable, l'hexagone fait fi de toute espèce de pudeur et offre à ses spectateurs des films sans concession, où le sexe est intellectualisé mais surtout pas excitant. Récemment, seul Jean-Claude Brisseau nous a offert un film à la fois auteuriste et sexuellement stimulant : si Les Anges exterminateurs est au final un lourd pensum pas vraiment pertinent, il faut avouer que les scènes où le héros-réalisateur du film dans le film demande à ses comédiennes de se toucher dans des chambres d'hôtel ont un sel que peu d'autres possèdent.

Autre cinéaste en vogue : le mexicain Carlos Reygadas. Dans Japón, son premier film, il mettait en scène une relation sexuelle entre un homme d'âge moyen et une octogénaire proche de la mort. Présenté à Cannes en 2002, Japón fut le film-scandale de l'année (mais les scandales cannois sont le plus souvent déclenchés par ceux qui n'ont pas vu les films). En 2005, pour son retour sur la Croisette, Reygadas présente Bataille dans le ciel, son deuxième long-métrage. Tous les gens qui n'ont pas vu le film le résument à ses scènes de sexe, notamment une au cours de laquelle une très (mais alors très, très) jolie jeune femme offre une fellation à un vieux type très (mais alors très, très) laid. Accessoirement, Bataille dans le ciel est un excellent film (ce que n'était pas Japón). Mais qui s'en soucie ? Le problème avec les films à scandale, c'est qu'ils sont trop souvent réduits à cela, et que l'on oublie totalement de parler de leur qualité.

Mais des scènes de sexe réussies ne sont pas forcément synonymes de crudité totale : dans Mulholland drive, la chaude et moite scène de baiser lesbien entre Naomi Watts et Laura Elena Harring suffit à rendre le spectateur tout chose. Tout comme les rencontres nocturnes de Gina Gershon et Jennifer Tilly dans Bound, ou la rencontre Sharon Stone / Michael Douglas dans Basic instinct, qui a fait brusquement augmenter les ventes de pics à glace. Mais l'un des films qui parle le mieux de sexe sans en faire des caisses, de par la force de sa parabole, c'est De l'eau tiède sous un pont rouge, film d'une poésie rare dans lequel Shohei Imamura montre une femme qui déverse des torrents lorsqu'elle atteint l'orgasme, faisant affluer dans le ruisseau qu'elle crée une myriade de petits poissons et une ribambelle de fleurs de saison. Comme quoi, contrairement à ce que montre souvent le cinéma, le sexe n'est pas toujours qu'un échange bestial et torturé. Si effectivement, Hollywood a tendance à voir avant tout dans le sexe un danger (Liaison fatale et consorts) ou un moyen de gravir les échelons d'une société hypocrite (le formidable Showgirls de Paul Verhoeven), la vision asiatique est plus en accord avec une forme de plénitude (à l'image de Samsara de Pan Nalin). Ce qui n'empêche pas le Japon et Hong-Kong d'être d'intarissables pourvoyeurs de films extrêmement plus que limites sur le viol et les sévices sur les femmes.

Shortbus montre que le sexe peut être vu aussi bien comme une discipline sportive, un véritable acte d'amour, ou une manière de s'affirmer. On n'avait jamais vu une aussi grande et belle partouze des sens : ni dans les très bons Idiots de Lars Von Trier (où c'était juste une phase de décompression parmi d'autres), ni dans le Eyes Wide Shut de Kubrick (où une ambiance très coincée empêchait quiconque de s'émanciper), ni même dans le récent Le Parfum (où ce n'était pas l'expression d'une liberté, mais celle d'une servilité totale). Espérons que le film de John Cameron Mitchell ouvre de nouvelles portes à des cinéastes qui, jusqu'ici, ne savaient pas trop comment s'y prendre avec le sexe face caméra.

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