Tout M. Night Shyamalan testé

Thomas Messias | 29 août 2006
Thomas Messias | 29 août 2006

Manoj Shyamalan (on prononce Menodj Chamalane) est né en Inde et a grandi dans la banlieue chic de Philadelphie. Ses parents, un cardiologue et une obstétricienne, auraient voulu en faire un médecin. Mais voilà : à l'âge de 12 ans, il voit Les Aventuriers de l'arche perdue dans un cinéma de Philadelphie. Sa décision est prise : il sera cinéaste ou ne sera pas.

 

 

Le jeune Shyamalan aime à traîner avec la caméra 8 mm de son père. À 15 ans, il a déjà réalisé une quarantaine de courts métrages, dont la plupart sont inspirés de ceux de son réalisateur favori : Steven Spielberg. Alors qu'il n'est qu'en terminale, le jeune homme obtient une admission anticipée à l'université des arts de New York, dans la section cinéma. Un réservoir de talents puisque Jim Jarmusch, Spike Lee ou encore Oliver Stone sont passés par là. De nationalité indienne (né à Pondichery en 1970, il y a passé les premières années de sa vie), Manoj Shyamalan demande la citoyenneté américaine et choisit de transformer son patronyme en M. Night Shyamalan. Ses professeurs le décrivent comme un étudiant assidu qui fourmille d'idées et a toujours mille projets et idées de scénario dans sa besace.
Ses envies de mise en scène sont rapidement comblées : c'est à l'âge de 21 ans que Shyamalan réalise son premier long métrage, Praying with anger. Le film raconte l'histoire d'un jeune Américain d'origine indienne qui retourne sur ses terres d'origine à la mort de son père. Il y cumule les mandats de réalisateur, scénariste et acteur principal, avec un aplomb et une confiance inoxydables. Les qualités de Praying with anger sont reconnues dans de nombreux festivals, comme celui de l'American Film Institute qui lui décerne en 1993 le prix du meilleur premier film. Mais le film connaîtra une carrière plus que discrète (il est d'ailleurs inédit dans la plupart des pays non anglophones).

 

Pas démonté pour autant, Shyamalan se remet au travail pour un scénario titré Labor of love. Une comédie dramatique dans laquelle un homme sillonne les États-Unis sans voiture pour prouver son amour à sa femme. La Fox lui verse 250 000 dollars pour le script, mais celui-ci ne sera jamais tourné. Artistiquement, c'est bien triste, mais cela permet au moins à Shyamalan de voir venir tout en écrivant son prochain scénario. Ce sera Wide awake, qui se déroule dans un lycée religieux de Philadelphie. Le film connaît bien des déboires lors de sa production : les membres de l'équipe quittent le plateau un à un pour diverses raisons, et le film reste bloqué en salle de montage durant un an et demi.

 

Revanchard et toujours obstiné, M. Night Shyamalan décide de clouer le bec à tout le monde. « Je me suis dit : Je vais écrire le meilleur scénario de tous les temps, je vais les épater tous ». Qu'on se rassure sur l'état mental du bonhomme, le « meilleur scénario de tous les temps », ce n'est pas celui de Stuart Little. Difficile en effet de considérer le script du film de Rob Minkoff comme un chef d'œuvre. C'est néanmoins un excellent exercice pour Shyamalan, et un test réussi puisque le film cartonne un peu partout.


 

Parallèlement, toujours basé à Philadelphie, Shyamalan écrit le scénario de Sixième sens (le "meilleur scénario de tous les temps, c'est plutôt celui-là). Les sociétés de production s'arrachent le script, et c'est finalement Buena Vista et Disney qui emportent la timbale. Le scénario est vendu pour la modique somme de 3 millions de dollars et Shyamalan obtient sans forcer le droit de mettre lui-même en scène ce qu'il vient d'écrire. Dès lors, tout fonctionne comme sur des roulettes. Shyamalan obtient Bruce Willis, l'acteur dont il rêvait. Il prend encore plus confiance en soi, quitte à sembler suffisant lorsqu'il refuse de tourner des plans à insérer en cas de modification éventuelle du montage. Las, chacun de ses choix est payant. Sauf que les premières projections-tests font vite déchanter le petit prince de Pennsylvanie : les spectateurs semblent déconcertés par le dénouement, mal compris parce que mal monté. Têtu comme une mule, Shyamalan refuse d'abord d'écouter ses producteurs, puis finit tant bien que mal par céder. Et donne à Sixième sens la fin qu'il mérite.

 

Plusieurs centaines de millions de dollars et un tas de nominations aux Oscars plus tard, Shyamalan est passé du statut d'illustre inconnu à celui de réalisateur célèbre. Aujourd'hui, Sixième sens est vingt-cinquième au box-office mondial avec 672,9 millions de dollars de recettes en salles. Shyamalan profite de son triomphe pour vendre aussitôt son prochain scénario, celui d'Incassable, pour 10 millions de dollars (à condition qu'il en assure la réalisation). Écrit juste après Sixième sens, le film semble pourtant beaucoup plus mûr et réfléchi. Et le metteur en scène s'y offre un casting de luxe : Robin Wright Penn et Samuel L. Jackson viennent rejoindre Bruce Willis. Le succès est au rendez-vous, même si les résultats du film (248,2 millions de dollars) sont une déception relative en comparaison avec ceux de Sixième sens.

 

Parfaitement intégré au moule hollywoodien sans pour autant avoir perdu sa singularité, Shyamalan a désormais carte blanche. Marqué par le désir de faire passer un message avant de raconter une histoire, Signes montre les limites de son cinéma, qui affiche ses faiblesses dès lors que la conclusion du film est en dessous de la moyenne. Les résultats de Sixième sens sont inatteignables, mais le film est tout de même un énorme succès (408,2 millions de dollars). Shyamalan a désormais un public d'inconditionnels qui iraient volontiers voir ses films les yeux fermés.

 

 

Des yeux fermés à la cécité, il n'y a qu'un pas : dans Le Village, son long métrage suivant, M. Night Shyamalan prend pour héroïne une jeune aveugle contrainte de braver bien des dangers pour sauver son amour. Conte de fées cruellement moderne, Le Village est une réussite qui confirme le talent unique du metteur en scène et révèle Bryce Dallas Howard. Le film ne plaît pas à tout le monde et les chiffres s'en ressentent un peu (256,7 millions de dollars). En cette fin d'été, Shyamalan revient avec son septième film (pas mal, à tout juste trente-six ans), La Jeune fille de l'eau. Une nouvelle fois, le film met aux prises des individus solitaires et des mythes éminemment connus. Hélas, le succès n'est pas au rendez-vous (seulement 41,7 millions de dollars en Amérique du nord) et son échec coïncide avec la sortie en librairie de son livre dans lequel il règle ses comptes avec Disney... (voir news correspondante)

 

Deux modèles jalonnent la route de M. Night Shyamalan. D'abord Steven Spielberg, auquel il a emprunté sa façon de filmer avec amplitude, sa fascination pour le monde de l'enfance et un don certain de raconteur d'histoires. Ensuite Alfred Hitchcock, à propos duquel il a lu tous les livres existants. Il lui a chipé bien des astuces pour faire monter le suspense, un goût pour les musiques angoissantes (en tentant de faire de James Newton Howard son Bernard Herrmann à lui) et le plaisir d'apparaître (mais de façon plus longue) dans chacun de ses films. Même à long terme, il sera difficile pour Shyamalan d'entrer au Panthéon au même titre que ses glorieux aînés, mais qu'il ne se prive surtout pas d'essayer.

 

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Tout savoir sur La Jeune fille de l'eau

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