Cannes 2006 - Jour 10

Vincent Julé | 27 mai 2006
Vincent Julé | 27 mai 2006

Après avoir râlé toute la journée/chronique d'hier, il fallait bien qu'un film me remette à ma place, la vraie : celle de spectateur. En effet, les souvenirs euphorisants de Shortbus et The Host s'estompaient déjà (une semaine les mecs !) et la dose journalière de films était tombée de cinq à deux, voire un seul, soit l'impossibilité d'être galvanisé – terme poli pour drogué. Après les vingt premières minutes marquantes de World Trade Center, et malgré la critique enthousiaste de Flore (pour la lire, c'est ici), je dois avouer que je ne m'attendais pas à prendre une claque en m'asseyant tranquillement à mon siège… de cinéma ! Vol 93 de Paul Greengrass est donc une claque, il n'y a pas d'autre mot.

 


Pendant toute la durée du film, l'immense salle du Grand Théâtre Lumière n'a pas moufté. Aucun grincement de siège, aucune porte qui claque, pas un murmure. Le film a happé son audience dès les premières images, surprenantes, jusqu'à… ce que la bobine dérape juste avant la révolte aérienne et que la salle soit plongée dans le noir. Une, deux secondes de silence, avant que dans un même mouvement, tous les spectateurs hurlent leur mécontentement… ou leur délivrance ! Un signe qui ne trompe pas. En effet, Vol 93 est une poussée d'adrénaline non-stop pendant une heure et quarante cinq minutes. Après un prologue déstabilisant où le réalisateur remet en perspective la religion dans les attentats terroristes du 11 septembre, il suit parallèlement l'embarquement du fameux vol United 93 et la gestion des attaques au cœur des tours de contrôle et autres cellules de crise. Et Jack Bauer peut aisément prendre sa retraite. Non pas que les services secrets et l'armée ont fait leur boulot, loin de là même, mais bien que rarement au cinéma la non-action n'aura été si spectaculaire et addictive. Une tour de contrôle perd le signal d'un avion. L'info passe à une deuxième tour, puis au centre d'écoute puis à l'armée. Le film, et surtout le metteur en scène, jongle ainsi avec pas moins de cinq lieux différents où des contrôleurs, parfois les vrais, scrutent des écrans, gueulent au téléphone, vivent les attentats en direct à la télé. Une profusion et une confusion qui se révèlent sous le regard de Paul Greengrass totalement compréhensible et intelligible.

 

 


Un tour de force possible grâce à sa mise en scène si spécifique (« parkinsonienne », ai-je pu entendre, je vous jure !), où la caméra portée, les zooms, les profondeurs de champ et un montage virtuose participent à rendre l'expérience non plus seulement cinématographique, mais viscérale, à fleur de peau. Le dernier quart d'heure est de ce point de vue un grand moment de rage… humaine. Car en filigrane, peut-être même inconsciemment, le film pose une drôle de question. À l'origine de projet, il existe ces coups de téléphone passés à un ami, un mari, une famille, un répondeur. Or, l'inconcevable prend forme dans la tête puis le cœur serré du spectateur : et si vous n'aviez personne à appeler ? (8/10)

 

 


Histoire de se remettre de ces émotions, l'idée était de se reposer devant une nouvelle, la sixième, coquille vide des frères Pang. Mais s'ils n'avaient rien proposer de révolutionnaire ou d'original depuis la première demi-heure de The Eye, Oxide et Danny ne pouvaient pas faire pire que Soie/Silk du scénariste et maintenant réalisateur Chao-Bin Su (Double vision, 3 Extrêmes). En voulant appréhender les histoires de fantômes chinois sous un nouvel angle, plu scientifique, ce dernier avait remplacé les apparitions suggérées par des effets spéciaux grandiloquents, dont un accident de voiture monumental de ridicule. Et pourtant, avec Re-Cycle, les deux zigotos hongkongais font très fort. Ce n'est pas une nouveauté, comme d'habitude, ils n'ont strictement rien à raconter. Ainsi, ce décalque de L'antre de la folie, où une romancière voit ses écrits abandonnés se matérialiser vire rapidement au train fantôme à une idée pourrie par plan, jusqu'à ce que les frères en viennent à leur propos essentiel : une charge anti-avortement. Si la vie de notre romancière se transforme en cauchemar, c'est que son « bébé » avorté il y a huit ans voulait comprendre pourquoi sa mère l'avait abandonné. Glurps ! et 1/10 !

 

 


La dernière ligne droite du festival a été le témoin d'un drôle de phénomène chez certains festivaliers – à savoir moi. En effet, le degré de fatigue propose dans ces moments un nouveau rapport aux films. Déjà devant la dernière escroquerie des frères Pang, il n'était pas rare que je pique du nez sans m'en rendre compte pour vivre alors ma propre version du film… dans mes songes. Le rappel au film, naturel, se faisait et se défaisait alors en douceur et créait une expérience inédite, immersive. Malheureusement, à force c'est le vrai coma qui vous guette, et bien malgré moi, un film en fit le frais. Désolé Patrick et Stéphane, mais Election 2 de Johnnie To dure dans mon monde un peu plus d'une heure. Les quarante premières minutes restent une abstraction aussi fascinante que mystérieuse. Ce qui ne m'a pas empêché d'appréhender au mieux et d'apprécier cette lutte de pouvoir(s) a priori classique, mais étouffante, voire écrasante sur la longueur. De par son radicalisme dans la forme et la violence mais surtout par le poids des traditions, qui n'avait rarement connu une si empoisonnante représentation à l'écran. ( ?/10)

 

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