Le jeu vidéo au cinéma

Michael Zayan | 29 avril 2006
Michael Zayan | 29 avril 2006

Silent Hill sortant actuellement sur nos écrans, voici l'occasion idéale de faire un bilan sur ce phénomène récent de l'adaptation du jeu vidéo dans les salles obscures. Depuis plusieurs années le cinéma ne cesse de s'émanciper, cherchant à toujours plus impressionner son public. Mais c'est depuis l'ère du numérique qu'il a su prendre une nouvelle direction. S'inspirant fortement des tendances imposées par le jeu vidéo, marché en plein essor, le cinéma évolue donc vers un genre hybride. Un nouveau genre de productions cinématographiques, à mi-chemin entre le cinéma conventionnel et les jeux vidéo, a donc vu le jour, celui du movie-game. Le jeu vidéo au cinéma peut s'aborder de plusieurs manières. Il peut être le cœur même de l'intrigue comme dans Existenz, offrir ses codes et modes de représentation, ce qui est le cas dans Matrix, ou bien plus simplement, faire l'objet d'une adaptation sur grand écran. Ce dernier procédé est d'ailleurs le plus courant.

De manière générale, l'industrie du jeu vidéo génère chaque année des milliards de dollars (18 milliards dans le monde en 2003). Le cinéma veut donc en toute logique profiter de ces recettes colossales. Jusqu'à la fin des années 80, l'industrie cinématographique tenait le haut de l'affiche. Mais avec l'apparition des consoles de salon et de ses premiers jeux à succès, comme Super Mario Bros, il était évident qu'Hollywood ne pouvait pas bouder ce nouveau média culturel. Ainsi, depuis treize ans, cinéma et jeux vidéo cohabitent pour le très mauvais, le médiocre, mais très rarement pour le bon, pour ne pas dire jamais. C'est Super Mario Bros qui, en 1992, ouvrit le bal des adaptations. Devant la nullité intégrale du film, personne n'aurait donné cher, à l'époque, de ce genre de productions. Mais c'était sans compter la détermination de nombreux studios / producteurs qui eux voyaient un intérêt lucratif évident dans cette opération. Les adaptations vont se multiplier, et envahir les écrans. Tous les jeux à succès vont ainsi connaître leur homologue sur pellicule 35mm. Double Dragon (aie), Street Fighter (ouille), Mortal Kombat (arrêtez le carnage !), Mortal Kombat : Destruction finale, Resident Evil, Lara Croft : Tomb raider, Doom, Alone in the dark, House of the dead (1 et 2), Blood Rayne… Prises une à une, toutes ces licences de jeux sont de véritables références dans leur genre respectif. Elles ont su imposer un style, faire vivre une expérience mémorable au joueur, à l'exception de Blood Rayne qui avait connu un succès mitigé sur console. L'adaptation étant assez difficile autant se focaliser sur les bons jeux…

Outre l'appât du gain, l'adaptation propose de nombreux avantages. Tout d'abord les titres transposés au cinéma ne sont que des jeux d'action ou d'aventure. Ces jeux représentent à eux seuls 48% du marché, soit quasiment la moitié de ceux commercialisés. Ce genre étant le plus apprécié, le joueur ayant vécu une expérience intense, manette en main, sera tenté de prolonger l'expérience en allant voir l'adaptation de son jeu. De plus, le jeu d'action/aventure est le seul à proposer une histoire et un scénario intéressant, parfois même consistant. Il n'y aurait en effet que peu d'intérêt à adapter un jeu de sport ou une simulation aérienne dont la force ne réside en aucun cas dans leur scénario inexistant. Silent Hill par exemple se prêtait d'emblée à une adaptation, par sa beauté macabre, son atmosphère singulière (qui en ferait plus un jeu d'ambiance qu'un simple jeu d'aventure), sa musique enivrante, le soin apporté à la narration, ses protagonistes attachants, touchants, inquiétants. Par ailleurs, les jeux étant de plus en plus réalistes, aussi bien au niveau de la mise en scène, que des graphismes, la seule réelle difficulté reste au final de trouver des acteurs ressemblant fortement aux personnages pixélisés. Ceci afin de conserver une véritable logique, et cohésion, entre les deux produits. Enfin jeu et cinéma ont tout deux un point en commun : celui de la « starisation ». Ces deux produits sont de véritables usines à stars. Oui, le jeu vidéo à lui aussi ces Tom Cruise et autres Sharon Stone (il y en a assez de citer Angelina et Brad pour un oui pour un non !). Il suffit de voir ces personnages virtuels, à l'image de Dante (ci-dessus), qui sont devenus de vrais tops models, et des stars à part entière. Les concepteurs doivent ainsi demander conseils, auprès de stylistes, pour terminer le look de leurs différents héros, et en faire de vraies fashion-victims virtuelles, voire de vrais sex-symbols. Ainsi, qu'il s'agisse de la façon d'habiller le personnage, de sa coupe de cheveux, du grain de sa peau, rien n'est laissé au hasard. Certaines marques de vêtements allant même jusqu'à prêter leur image à des personnages de jeux. Plusieurs protagonistes, comme la plantureuse Lara Croft, sont devenus de pures icônes. Au-delà de cet aspect purement physique et vestimentaire, les développeurs donnent aussi une part importante à la psychologie, souvent torturée, et au passé trouble de leurs héros. Un réalisateur travaillant sur une adaptation bénéficie d'emblée d'acquis visuels et scénaristiques conséquents, ainsi que de personnages solides.

Pourquoi ces films peinent-ils donc tant à convaincre le spectateur, sur le plan qualitatif, alors que ces jeux représentent sur console un gage indéniable de qualité ? La principale raison est simple. Jeux et cinéma ne tendent pas vers les mêmes ambitions. Même s'il racontent tout deux une histoire, le premier privilégie l'interactivité, alors que dans le second, le spectateur est passif. Il ne fait que regarder les images qui défilent sous ses yeux. Cette différence est essentielle. Les sensations éprouvées dans un jeu ne se retrouveront jamais sur grand écran, le joueur faisant lui même évoluer l'histoire. Par conséquent le succès qu'a rencontré un jeu relève essentiellement d'un tout. Au-delà de son récit, au final secondaire, il se caractérise avant tout par son gameplay, ses graphismes, sa musique, ses personnages, les thèmes qu'il aborde, l'ambiance qu'il instaure. Autant de facteurs qui ne seront que partiellement présents dans le film.


Voici la même scène issue de deux supports différents.
À gauche Resident Evil le jeu, à droite Resident Evil : Apocalypse.

Certains réalisateurs ne parviennent pas à saisir ces nuances, se contentant simplement de reproduire à l'identique certains passages d'un jeu, ou une esthétique générale. Ainsi dans Resident Evil :Apocalypse, Milla Jovovich court, recharge son arme, tire sur une horde de monstres sur fond de rock survolté. Il n'y a pas d'histoire. Une succession de scènes d'action sans intérêt, maintes fois vues et revues dans d'autres films du même genre. Le movie-game devenant ainsi un produit parfaitement formaté, abusant sans retenu de modes de représentation imposés par l'industrie hollywoodienne. Pourquoi se casser la tête à créer une relation entre Lara Croft et son père dans Lara Croft : Tomb Raider alors que le jeu offrait en lui-même une richesse suffisante afin de faire de cette adaptation un Indiana Jones au féminin ?

Le joueur frémit donc à chaque nouvelle annonce d'adaptation. Peur de voir son jeu totalement dénaturer. Peur de constater que le réalisateur n'a fait que s'appuyer sur un nom de franchise. Il suffit de jeter un très rapide coup d'œil à Alone in the dark de Uwe Boll pour se rendre à l'évidence que, hormis le nom, le jeu et le film n'ont rien en commun. Même constat dans Resident Evil : Apocalypse qui, à lui seul, peut faire office de grande compilation de tous les clichés du cinéma de ce type. Il en va de même pour la quasi totalité des productions de ce genre. « Quasi-totalité » car oui, parmi ce flot de massacre désorganisé de licences (le prix du briseur de franchises revenant sans difficulté à Uwe Boll), quelques unes parviennent à tirer leur épingle du jeu. Inutile de parler d'adaptation sans aborder Final Fantasy : Les créatures de l'esprit. Même si le film a été un véritable échec commercial, il n'en demeure pas moins l'adaptation la plus soignée. Pas forcément la plus fidèle. Le souhait de respecter d'un côté le joueur, en ne dénaturant pas la base du jeu, puis de l'autre le spectateur en proposant un produit de qualité, est louable de la part des auteurs. Final Fantasy : les créatures de l'esprit n'est en aucun cas un mauvais copier coller du jeu, mais bel et bien un film de qualité. Bien que cette dernière soit avant tout d'ordre visuelle. En effet, le film pêche de par sa narration un tant soit peu soporifique. Il n'en reste pas moins une œuvre majeure du cinéma d'animation (nomination aux Oscars 2002, dans la catégorie du meilleur film d'animation). Le premier Resident Evil avait su lui aussi s'en sortir avec les honneurs. Sans vraiment s'éloigner du jeu, Paul W.S. Anderson avait malgré tout réussi à proposer un divertissement plaisant. Il est vrai que devant la faible qualité des autres films, il ne faut pas non plus trop en demander… Silent Hill, dernière adaptation en date, est en tout point remarquable, tant par sa fidélité visuelle et sonore, puisque les thèmes musicaux sont ceux du jeu, que le récit qu'il emprunte au premier opus de la série (voir le dossier Silent Hill - Du jeu au film).

Avec l'arrivée de Silent Hill et sa réussite formelle évidente (qu'on aime ou pas le film), il ne reste plus qu'à espérer, qu'à l'instar de X-Men et Spider-Man, pour l'adaptation cinématographique de comics, qu'une étape a été franchie dans le domaine de l'adaptation de jeux vidéo au cinéma. L'amateur du genre a d'ailleurs bien intérêt à adopter une telle attitude positive lorsqu'on regarde le planning des futures adaptations annoncées. Car de Metal Gear Solid à God of War en passant par Forbiden Siren, Splinter Cell ou encore Halo, c'est bien tout le fleuron du support qui s'apprête à voir le jour sur grand écran. Reste donc à voir si les réalisateurs sauront suffisamment respecter le jeu, les joueurs et le public en général, afin de proposer un film répondant aux attentes de tous. On croise les doigts et on y croit fort…

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.