Luc Besson - L'homme au gros Q

Sylvie Rama | 28 décembre 2005
Sylvie Rama | 28 décembre 2005

Des modestes débuts de Luc aux succès récents de Besson, le parcours du cinéaste ne laisse pas indifférent et force l'admiration malgré ses échecs probants. Un homme dont l'énorme potentiel joue sur tous les quotients et surtout l'émotionnel. Avec un grand Q.

Monsieur…

Luc Besson roule pas à pas sa mécanique de poids lourd du business ciné français et assoit son nom de saint sur le siège de productions à forte valeur ajourée. Parce qu'un produit labellisé Besson dégage malgré tout au-delà de sa réclame effrénée ou d'un succès mitigé l'aura d'un personnage animé d'une énergie incroyable.

L'homme balèze de la profession qui vise l'or et récolte l'argent sans forcément provoquer d'olà splendide mais le plus souvent la foudre des critiques acides, a su donner du corps (et de l'âme ?) à ses ambitions. L'empire-staff (body)buildé de Besson qui répond au fou nom d'EuropaCorp (inspiration française aux aspirations européennes et surtout à l'appétit international) est une structure unique dans notre petit pays. La fructueuse société bâtie par Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam au début des années 2000 fonctionne de façon complètement indépendante et maîtrise toute la chaîne cinématographique, en d'autres termes le cycle de vie d'un film, de sa production à sa diffusion DVD en passant par les incontournables distribution en salles, exportation, édition musicale et gestion des produits dérivés.

En homme de main (de fer) d'EuropaCorp, Luc Besson produit une dizaine de films par an, entreprend de faire connaître de jeunes talents, tente le lance-pierre face aux Goliath américains et (s')investit dans d'audacieux projets. Contestés ou considérés, les films produits par le français évoquent le tableau d'une réussite aux tons disparates. Fringués du vêtement dit populaire et peu seyant qui tombe à plates coutures malgré la griffe voulant bien faire de Besson, la série des Taxi, Banlieue 13, Le Transporteur, Wasabi, Yamakasi, Les Rivières Pourpres 2, malgré leur succès pêchent par leur médiocrité scénaristique, ne soulèvent pas de tonnerres d'applaudissements et encore moins le voile sur l'intégrité du cinéaste bafoué dans son bonheur.

Pourtant, en découvreur de talent instinctif et en cinéaste aventureux, au-delà d'affaires de quotas souvent ramenées au devant de la scène assorties de balivernes fielleuses et autres baves filantes, entre les mailles du filet de la discorde se faufilent quelques productions frétillantes et films d'auteurs pour lesquels le patronyme du boss générateur de talent d'EuropaCorp est souvent noyé : Nil by mouth de Gary Oldman, La Turbulence des fluides de Manon Briand, Danny the dog de Louis Leterrier, ou plus récemment, le superbe Trois enterrements de Tommy Lee Jones.
Face aux grands studios américains, Luc Besson tente de tenir la route sur un chemin rocailleux. Son parti-pris, décrié par ses détracteurs, gêne et fait cracher beaucoup d'encre : Luc Besson en avait marre de voir le cinéma français submergé par le flot des productions américaines à gros budget (certains traduisent : Luc Besson veut régner sur le marché du cinéma, « français » étant un ajout accessoire). Alors il a voulu faire bouger les choses en produisant-distribuant des films franco-européens ambitieux, capables de rivaliser avec Hollywood (d'autres interprètent : étant donné que la France ne produit rien de bon, Besson va chercher des talents ailleurs pour pouvoir les exploiter).

Le problème résulte probablement d'un décalage involontaire entre les désirs bessonniens et les attentes du public. En voulant tout (trop) faire, Luc Besson se perd. L'amalgame entre Luc Besson créateur et Luc Besson (re)vendeur (entre autres) est vite fait. Certains films estampillés EuropaCorp n'ont d'européen que la nationalité de leur distributeur (Ong Bak du thaïlandais Pinkaew, Bangkok Dangerous et The Eye des frères Pang). D'autres, ne sont pas très intéressants (Revolver de Guy Ritchie), ressemblent aux modèles américains (Le Transporteur ) ou ne vont pas très loin, surtout pas au-delà de l'océan (on ne citera personne). En conclusion, s'il est délicat d'attribuer de la valeur à l'ensemble du catalogue EuropaCorp, il est heureusement possible de faire un tri sélectif.

La « Major » de Besson et Le Pogam, première industrie française du cinéma, prévoit prochainement l'inauguration d'un multiplexe de 16 salles à Marseille et l'ouverture de la Cité européenne du cinéma en 2007 à Saint-Denis. Outre le fait d'être conçue selon le modèle britannique Pinewood (on va encore accuser Besson de copier-coller) et de devenir sous peu les nouveaux quartiers d'EuropaCorp, La Cité européenne du cinéma dotera la France d'un équipement majeur dans le secteur de l'audiovisuel et permettra aux futurs films d'y être réalisés de A à Z sans sortir des locaux (30 000 m2 de bureaux et de studios, 9 plateaux de tournage sur 13 000 m2). La jeune entreprise pionnière, qui projette la création d'un musée du cinéma murmure-t-on, se porte comme un vétéran du business : marge nette sans cesse croissante, progression de 3000 % de son chiffre d'affaires en trois ans, création d'emplois.

Décidément, quoique l'on en pense, le quotient business de Luc Besson impressionne et force le respect le plus absolu, bien que stigmatisé par la critique qui elle, se demande où est passé le véritable cinéaste. Celui dont le quotient émotionnel avait fait naître une certaine Nikita ou un dénommé Léon

…

Luc…

a démarré dans le cinéma à 17 ans en s'incrustant sur les plateaux de tournage. Après avoir servi de gros bras en portant des caisses ou de petite main en s'occupant des photocopies, l'apprenti fonde sa première société de production et tourne son premier court-métrage, L'Avant dernier, avec son compère d'alors Pierre Jolivet et Jean Reno rencontré sur un plateau.

Il fera de L'Avant dernier un long-métrage. Ce tout premier sera Le Dernier combat, film de science-fiction en noir & blanc entièrement muet et récompensé au Festival du Film Fantastique d'Avoriaz en 1983 par le prestigieux Grand Prix du Jury et le merveilleux Prix de la… Critique. En 1985, pour son second film, Subway (César du Meilleur acteur pour Christophe Lambert), Luc reçoit le soutien financier de Gaumont. Il enchaîne avec des clips musicaux (Mon légionnaire de Gainsbourg, Pull Marine d'Adjani ainsi qu'un clip pour Mylène Farmer) avant de tourner le générationnel Grand bleu. Dans les salles obscures en 1988, le public tripe devant le poétique Grand bleu mais son avis est loin d'être partagé par la presse qui l'éventre. Le cultissime thriller Nikita remonte la côte du cinéaste en 1990 suivi par l'intéressant documentaire Atlantis, tourné dans les superbes profondeurs sous-marines, sans acteurs, et néanmoins critiqué pour son manque de crédibilité. En 1994, Léon fait monter Jean Reno au créneau et révèle la jeune Natalie Portman. L'intense polar new-yorkais sera le film français le plus vu à l'étranger en 1995.

Les américains s'intéressent à Luc, lui proposent des ponts d'or et tournent des remakes de ses films (notamment le désastreux Nom de code Nina). En 1996, l'extravagant délire du Cinquième élément avec Bruce Willis et Gary Oldman en personnages futuresques speedés, lui vaut un Oscar, un César, et un pétard… mouillé par la pluie noire de la presse. En 1999, avec Jeanne d'Arc, son huitième film et l'une de ses réalisations favorites, il aborde la fresque historique, mais l'angle inattendu proposé par le cinéaste ébranle l'opinion, divisée entre défenseurs d'un chef d'oeuvre et accusateurs d'esbrouffe. Déprécié par la presse, déçu de décevoir, Luc baisse le son et donne le la à l'activité d'Europa.

Besson…

n'a, on l'espère sincèrement ou de façon ironique, pas fini de faire parler de lui. Actuellement à l'affiche avec son neuvième film Angel-A , le réalisateur avait annoncé qu'il s'arrêterait au dixième, Arthur et les Minimoys (adaptation de son livre) qui sortira en 2006, ne faisant vraisemblablement pas partie de sa décaliste (mais de sa chèque-list ?). Un peu en froid avec la presse, Besson n'a pas souhaité (à quelques rares exceptions) organiser de projection à son égard pour Angel-A , préférant en réserver la primeur au seul avis qui prime : celui du public.

Car pour Besson, un film est avant tout fait pour soi et pour le spectateur : « c'est le public qui trouve le film, jamais l'inverse ». Créer, partager, faire des films est pour Besson le moyen de s'exprimer. Celui qui avoue ne rien savoir faire d'autre que du cinéma espère, lui aussi, pouvoir renouer avec le spectateur, se racheter auprès de son (cher) public. Son retour derrière la caméra laisse le présager. Angel-A est le film le plus personnel du réalisateur qui a jeté dedans le vécu de ses dix dernières années. C'est l'histoire d'un mec qui apprend à (s') aimer…

Finalement, si on aime à critiquer Besson, à regretter que le réalisateur n'ait pas cherché à améliorer son potentiel, à déplorer qu'il nous ait laissé tomber pour élever son business, c'est peut-être parce qu'au fond, on l'aime (quand même). Que l'on a envie de voir (croire) ce que le cinéaste est encore capable de faire de son talent et de son quotient instinctif. Bref, que Monsieur Luc Besson compte encore dans le cinéma (« français » étant un ajout accessoire).

Tout savoir sur Angel-A

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