Luc Besson - L'homme au gros Q
Des modestes débuts de Luc aux succès récents de Besson, le parcours
du cinéaste ne laisse pas indifférent et force l'admiration malgré ses
échecs probants. Un homme dont l'énorme potentiel joue sur tous les
quotients et surtout l'émotionnel. Avec un grand Q.
Monsieur
Luc Besson roule pas à pas sa mécanique de poids lourd du business
ciné français et assoit son nom de saint sur le siège de productions à
forte valeur ajourée. Parce qu'un produit labellisé Besson dégage
malgré tout au-delà de sa réclame effrénée ou d'un succès mitigé l'aura
d'un personnage animé d'une énergie incroyable.
L'homme
balèze de la profession qui vise l'or et récolte l'argent sans
forcément provoquer d'olà splendide mais le plus souvent la foudre des
critiques acides, a su donner du corps (et de l'âme ?) à ses ambitions.
L'empire-staff (body)buildé de Besson qui répond au fou nom
d'EuropaCorp (inspiration française aux aspirations européennes et
surtout à l'appétit international) est une structure unique dans notre
petit pays. La fructueuse société bâtie par Luc Besson et Pierre-Ange
Le Pogam au début des années 2000 fonctionne de façon complètement
indépendante et maîtrise toute la chaîne cinématographique, en d'autres
termes le cycle de vie d'un film, de sa production à sa diffusion DVD
en passant par les incontournables distribution en salles, exportation,
édition musicale et gestion des produits dérivés.
En
homme de main (de fer) d'EuropaCorp, Luc Besson produit une dizaine de
films par an, entreprend de faire connaître de jeunes talents, tente le
lance-pierre face aux Goliath américains et (s')investit dans
d'audacieux projets. Contestés ou considérés, les films produits par le
français évoquent le tableau d'une réussite aux tons disparates.
Fringués du vêtement dit populaire et peu seyant qui tombe à plates
coutures malgré la griffe voulant bien faire de Besson, la série des Taxi, Banlieue 13, Le Transporteur, Wasabi, Yamakasi, Les Rivières Pourpres 2,
malgré leur succès pêchent par leur médiocrité scénaristique, ne
soulèvent pas de tonnerres d'applaudissements et encore moins le voile
sur l'intégrité du cinéaste bafoué dans son bonheur.
Pourtant, en découvreur de talent instinctif et en cinéaste
aventureux, au-delà d'affaires de quotas souvent ramenées au devant de
la scène assorties de balivernes fielleuses et autres baves filantes,
entre les mailles du filet de la discorde se faufilent quelques
productions frétillantes et films d'auteurs pour lesquels le patronyme
du boss générateur de talent d'EuropaCorp est souvent noyé : Nil by mouth de Gary Oldman, La Turbulence des fluides de Manon Briand, Danny the dog de Louis Leterrier, ou plus récemment, le superbe Trois enterrements de Tommy Lee Jones.
Face aux grands studios américains, Luc Besson tente de tenir la route
sur un chemin rocailleux. Son parti-pris, décrié par ses détracteurs,
gêne et fait cracher beaucoup d'encre : Luc Besson en avait marre de
voir le cinéma français submergé par le flot des productions
américaines à gros budget (certains traduisent : Luc Besson veut régner
sur le marché du cinéma, « français » étant un ajout accessoire). Alors
il a voulu faire bouger les choses en produisant-distribuant des films
franco-européens ambitieux, capables de rivaliser avec Hollywood
(d'autres interprètent : étant donné que la France ne produit rien de
bon, Besson va chercher des talents ailleurs pour pouvoir les
exploiter).
Le problème résulte probablement d'un décalage involontaire entre
les désirs bessonniens et les attentes du public. En voulant tout
(trop) faire, Luc Besson se perd. L'amalgame entre Luc Besson créateur
et Luc Besson (re)vendeur (entre autres) est vite fait. Certains films
estampillés EuropaCorp n'ont d'européen que la nationalité de leur
distributeur (Ong Bak du thaïlandais Pinkaew, Bangkok Dangerous et The Eye des frères Pang). D'autres, ne sont pas très intéressants (Revolver de Guy Ritchie), ressemblent aux modèles américains (Le Transporteur )
ou ne vont pas très loin, surtout pas au-delà de l'océan (on ne citera
personne). En conclusion, s'il est délicat d'attribuer de la valeur à
l'ensemble du catalogue EuropaCorp, il est heureusement possible de
faire un tri sélectif.
La
« Major » de Besson et Le Pogam, première industrie française du
cinéma, prévoit prochainement l'inauguration d'un multiplexe de 16
salles à Marseille et l'ouverture de la Cité européenne du cinéma en
2007 à Saint-Denis. Outre le fait d'être conçue selon le modèle
britannique Pinewood (on va encore accuser Besson de copier-coller) et
de devenir sous peu les nouveaux quartiers d'EuropaCorp, La Cité
européenne du cinéma dotera la France d'un équipement majeur dans le
secteur de l'audiovisuel et permettra aux futurs films d'y être
réalisés de A à Z sans sortir des locaux (30 000 m2 de bureaux et de
studios, 9 plateaux de tournage sur 13 000 m2). La jeune entreprise
pionnière, qui projette la création d'un musée du cinéma murmure-t-on,
se porte comme un vétéran du business : marge nette sans cesse
croissante, progression de 3000 % de son chiffre d'affaires en trois
ans, création d'emplois.
Décidément, quoique l'on en pense, le quotient business de Luc
Besson impressionne et force le respect le plus absolu, bien que
stigmatisé par la critique qui elle, se demande où est passé le
véritable cinéaste. Celui dont le quotient émotionnel avait fait naître
une certaine Nikita ou un dénommé Léon
Luc
a démarré dans le cinéma à 17 ans en s'incrustant sur les plateaux
de tournage. Après avoir servi de gros bras en portant des caisses ou
de petite main en s'occupant des photocopies, l'apprenti fonde sa
première société de production et tourne son premier court-métrage, L'Avant dernier, avec son compère d'alors Pierre Jolivet et Jean Reno rencontré sur un plateau.
Il fera de L'Avant dernier un long-métrage. Ce tout premier sera Le Dernier combat,
film de science-fiction en noir & blanc entièrement muet et
récompensé au Festival du Film Fantastique d'Avoriaz en 1983 par le
prestigieux Grand Prix du Jury et le merveilleux Prix de la
Critique.
En 1985, pour son second film, Subway (César
du Meilleur acteur pour Christophe Lambert), Luc reçoit le soutien
financier de Gaumont. Il enchaîne avec des clips musicaux (Mon légionnaire de Gainsbourg, Pull Marine d'Adjani ainsi qu'un clip pour Mylène Farmer) avant de tourner le générationnel Grand bleu. Dans les salles obscures en 1988, le public tripe devant le poétique Grand bleu mais son avis est loin d'être partagé par la presse qui l'éventre. Le cultissime thriller Nikita remonte la côte du cinéaste en 1990 suivi par l'intéressant documentaire Atlantis,
tourné dans les superbes profondeurs sous-marines, sans acteurs, et
néanmoins critiqué pour son manque de crédibilité. En 1994, Léon
fait monter Jean Reno au créneau et révèle la jeune Natalie Portman.
L'intense polar new-yorkais sera le film français le plus vu à
l'étranger en 1995.
Les américains s'intéressent à Luc, lui proposent des ponts d'or et tournent des remakes de ses films (notamment le désastreux Nom de code Nina). En 1996, l'extravagant délire du Cinquième élément avec
Bruce Willis et Gary Oldman en personnages futuresques speedés, lui
vaut un Oscar, un César, et un pétard
mouillé par la pluie noire de la
presse. En 1999, avec Jeanne d'Arc,
son huitième film et l'une de ses réalisations favorites, il aborde la
fresque historique, mais l'angle inattendu proposé par le cinéaste
ébranle l'opinion, divisée entre défenseurs d'un chef d'oeuvre et
accusateurs d'esbrouffe. Déprécié par la presse, déçu de décevoir, Luc
baisse le son et donne le la à l'activité d'Europa.
Besson
n'a,
on l'espère sincèrement ou de façon ironique, pas fini de faire parler
de lui. Actuellement à l'affiche avec son neuvième film Angel-A , le réalisateur avait annoncé qu'il s'arrêterait au dixième, Arthur et les Minimoys
(adaptation de son livre) qui sortira en 2006, ne faisant
vraisemblablement pas partie de sa décaliste (mais de sa chèque-list
?). Un peu en froid avec la presse, Besson n'a pas souhaité (à quelques
rares exceptions) organiser de projection à son égard pour Angel-A , préférant en réserver la primeur au seul avis qui prime : celui du public.
Car pour Besson, un film est avant tout fait pour soi et pour le
spectateur : « c'est le public qui trouve le film, jamais l'inverse ».
Créer, partager, faire des films est pour Besson le moyen de
s'exprimer. Celui qui avoue ne rien savoir faire d'autre que du cinéma
espère, lui aussi, pouvoir renouer avec le spectateur, se racheter
auprès de son (cher) public. Son retour derrière la caméra laisse le
présager. Angel-A est
le film le plus personnel du réalisateur qui a jeté dedans le vécu de
ses dix dernières années. C'est l'histoire d'un mec qui apprend à (s')
aimer
Finalement, si on aime à critiquer Besson, à regretter que le réalisateur n'ait pas cherché à améliorer son potentiel, à déplorer qu'il nous ait laissé tomber pour élever son business, c'est peut-être parce qu'au fond, on l'aime (quand même). Que l'on a envie de voir (croire) ce que le cinéaste est encore capable de faire de son talent et de son quotient instinctif. Bref, que Monsieur Luc Besson compte encore dans le cinéma (« français » étant un ajout accessoire).