Cannes wars – Épisode 10

Thomas Douineau | 21 mai 2005
Thomas Douineau | 21 mai 2005

Last days of Cannes (bis!)

À l'aube du dixième jour, Cannes se vide petit à petit de ses squatteurs impénitents, la croisette se meure, et l'avant-goût du palmarès 2005 se dessine, à coups réitérés d'un sondage effectué façon médiamétrie, des donzelles harnachées d'un matos de scientifique prennent les paris. Enfin, leur scrupuleux décompte commence à payer, les avis collectés çà et là établissant les fondations d'un podium qui s'ébauche maintenant depuis le début de la semaine… Les bruits de couloirs se dispersent hors du palais, les journalistes cancanent, chacun y va de sa petite prédiction et Cronenberg s'en tire avec les honneurs, salué par un public au sang mêlé de professionnels et de cinéphiles, et suivi de près par Haneke...

Mais il y a de cela 24 heures, rien n'était encore joué, restait en effet à découvrir les dernières œuvres de quelques vétérans de la compétition, Wenders figurant en tête de liste, aux côtés de Gitaï et Hou Hsiao Hsien, talonnés par le vieux de la vieille Tommy Lee Jones qui célèbre comme il se doit ses premiers essais derrière la caméra, en venant présenter Trois enterrements... Rien n'étant jamais certain en cette terre de vaste défrichage cinématographique, la surprise vient de cet acteur averti dont le film a créé un tel buzz autour de lui qu'il me fût tout simplement impossible de me dégotter une invitation pour le découvrir. C'est donc les yeux bandés, Indian runner à moitié estropié, que je me fais l'écho de l'ultime rumeur qui court dans les arcanes du festival : la palme, récompense ultime, irait à Tommy Lee Jones, dont la maîtrise quasi-parfaite d'un classicisme formel efficace aurait tiré les larmes à plus d‘un membre de son audience, détail qui ne trompe pas en ces temps de placidité spectatorielle…

À cet instant « T », midi tapante d'un samedi pauvre en projection, une seule chose est sûre : ni Gitaï, ni Hou Hsiao Hsien n'ont véritablement su conquérir la foule. Ce qui s'avère être un euphémisme pour peu que l'on se focalise plus particulièrement sur Three times, dernier opus du réalisateur taïwanais qui, après Millenium mambo, fait camper à sa fétiche Shu Qi trois femmes vivant trois idylles à trois époques différentes. C'est ainsi que ses amoureux traversent les âges, bondissant de façon erratique d'une salle de billard des années 60 au concubinage du début du siècle, pour finir par s'ancrer dans le milieu artistique underground du Tapeï actuel.. Fidèle à son style très contemplatif qui s'étire jusqu'à n'en plus finir en longueur, Hou Hsiao Hsien attache ses plans à des détails inconsistants, au point de nous faire lâcher prise, sublimant l'inconcevable en tournant le pan le plus ancien de son intrigue à la façon d'un film muet, insert de cartons expliquant quelques bribes de dialogues à la clef. Tout d'abord, on croît rêver… et puis on finit par s'endormir pour de bon, bercés par la musique garantie d'époque qui lui est accolé, un ronflement collectif emplissant la salle, tandis que les claquements de portes égrainent le nombre croissant de déserteurs…

Réactions auxquelles Amos Gitaï aura échappé, Free zone ayant au moins le mérite d'évoquer un sujet peu ou (in)abordé, dissertant sur les déchirements israélo-palestiniens, en improvisant le voyage groupé de trois femmes, une américaine, une israélienne et une palestinienne, qui taillent la route en direction de la Jordanie pour trois motifs singuliers. Or, si le cinéaste commence en beauté, braquant le viseur de sa caméra sur le visage de Nathalie Portman qui, l'émotion à fleur de peau, craque face au mur des lamentations, fondant en larmes au rythme d'une bande-son vibrante, son road-movie socio-politique finit rapidement par nous faire tourner en rond. Et sa tentative de délocaliser ces éternelles tensions en zone libre de paraître bien vaine, en se bornant à illustrer les paroles choc de la chanson introductive de son long métrage, qui se résume en ces quelques lignes : « Ce soir, il me vient une question. Jusqu'à quand durera ce cycle infernal. De l'oppresseur et de l'opprimé, du bourreau et de la victime, jusqu'à quand cette folie ? ». Pas de doute, la question mérite bien d'être posée, mais en l'absence évidente de ne serait-ce qu'une ébauche de raisonnement, le spectateur peut légitimement se sentir dupé par les ambitions annoncées de cette entreprise avortée… Tans pis pour Gitaï et Hou Hsiao Hsien, dont les menues déceptions entrouvrent la brèche à de nouveaux talents dont on saura ce soir si le Jury aura su les distinguer…

Mrs Pink

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