Cannes wars – Épisode 7

Thomas Douineau | 19 mai 2005
Thomas Douineau | 19 mai 2005

Le septième jour

Il y a toujours un moment au festival de Cannes où on ne comprend plus rien, un moment de flottement, un moment d'égarement où l'addition des sept nuits passées n'arrive même pas à constituer une seule de vos nuits, où l'on en vient à confondre le jour et la nuit (et après tout il y a quand même de quoi en étant enfermé presque toute la journée en projection). Et pour ceux qui pensent que le staff d'Écran Large se dore la pilule entre deux projections de presse, c'est mal nous connaître, et puis de toute façon, lorsque l'on a un moment pour prendre l'air, on se prend la saucée (bon et les gars, on ne va vpas ous plaindre non plus, hein ! Ndlr)

Car Cannes c'est ça, overdose de hot-dog, panini, Coca Cola, Ice Tea pêche…(au moins vous êtes nourris. On connait d'autres sites où vous n'auriez même pas cela ! Ndlr). Un moment d'égarement disais-je, où même nos rédacteurs en chef n'arrivent même plus à nous contacter (On a vu merci ! Ndlr). Une perte de contact avec la réalité je vous dis…. En général cela se produit donc au 7e jour, moment de ras-le-bol où l'on trouve que définitivement ce monde du cinéma est totalement superficiel et où l'on se promet de se reconvertir dans un véritable métier. En fait le déclic a été une photo d'Eddy Barclay dans le journal local. L'homme en blanc est mort, vous le saviez ? Et vous vous apercevez que vous vous êtes totalement coupés du monde.

Cannes, c'est par exemple essayer de rentrer à la méga soirée Star Wars dont tout le monde parle, de prendre la navette et d'essayer d'y rentrer car il paraît évident que vous n'avez pas d'invitation. Mais qui ne tente rien n'a rien ! Et n'a rien… Alors on atterrit dans une petite salle de l'hôtel Carlton avec des faux producteurs en train de demander à tout va si on a vu leur film en compétition dont ils sont totalement incapables de prononcer le titre. Et évidemment il y a un pseudo Clederman en train de nous livrer une version instrumentale de « Reality », la chanson de La Boum. Puis il y a toutes ces blondes inaccessibles, interdites au moins de 60 ans et à moins de 600 000 euros. Alors, on finit par rentrer chez soi, évidemment à 30 minutes, et ça grimpe bien quand on n'est pas logé en centre ville !

Il est 5h00 du matin et vous avez encore des papiers à rendre alors on commence à les écrire. Il est 6h00, vous avez une heure top chrono pour dormir et aller assister à la projection de 8h30 du dernier film de Jim Jarmusch : Broken Flowers. Sans doute le film le plus attendu ici. Et lorsque vous arrivez devant la file d'attente bien avant l'heure, c'est complet, même si vous êtes prioritaires. Car Cannes c'est ça aussi. Et c'est là que des journalistes étrangers sortent le grand jeu. Et on entend de tout à Cannes, les vigiles se font traiter de tous les noms, gardent leur sang froid même si des pseudo journalistes qui parlent trop fort leur crachent dessus. Car à Cannes, des gens seraient prêt à tout pour voir un film. Les cinéphiles les plus avertis peuvent révéler leurs facettes les plus monstrueuses… Tuer, frapper mais voir le film dont tout le monde parle. Alors évidemment comme vous n'êtes pas comme ça, vous essayez de faire les yeux doux aux attachés de presse mais évidemment il est désolé et n'a plus de billets malgré l'enveloppe contenant cinq cent billets. Évidemment, il a du voir votre vraie couleur de badge. Alors ensuite vous décidez d'aller dans le bureau des hautes instances, là où les billets circulent et c'est là que l'on vous empêche d'y accéder car aujourd'hui, exceptionnellement, votre couleur est bannie. Quelqu'un devrait un jour parler de ce ségrégationnisme cinématographique cannois de Cannes, au risque de se griller à vie. Alors vous aussi vous sortez le grand jeu, vous commencez à appeler tout votre répertoire avec comme phrase clefs « Tu n'as pas une place ? ». Et vous passez votre journée à la chercher cette place. Enfin presque. Car vous assistez exceptionnellement à la conférence de presse du film (je passe sur les deux heures passées à attendre dans la queue), le grand Jim Jarmusch est là, Bill Murray, Tilda Swinton aussi et j'allais oublié Julie Delpy…. Là vous vous demandez si c'est l'heure de sommeil qui commence à vous rattraper mais votre perception est différente. Tous les journalistes présents ont pu le voir et on vous parle avec passion de quelque chose que vous n'avez pas vu (à part une question très pertinente d'un journaliste indien sur SOS fantôme). Puis vous commencez à penser des choses bizarres : et si Bill Murray, le Droopy du cinéma, la cool attitude incarné était un con ? Pourquoi il a cette attitude dédaigneuse envers le public et les critiques. « Il est connu pour être con » vous dit un collègue journaliste.

Et vous vous surprenez alors à avoir pitié d'une Julie Delpy mise en retrait et à qui aucun journaliste ne cherche à poser des questions et qui essaie de répondre à celle adressée à Jim Jarmush (histoire de montrer qu'elle n'est pas venue pour rien). Et qui finalement se ravise, car elle se rend bien compte qu'en effet, elle n'avait rien à dire. La conférence se termine et tout le monde vous dit que le film est bon, peut être l'un des meilleurs du festival. Une chose est sûre : il faut que vous le voyez. Alors vous sortez le grand jeu (encore ! Ndlr). Vous remonter la colline, vous vous mettez en smoking, vous savez que vous n'avez aucune place mais c'est un film de Jim Jarmush, merde, le réalsisateur de Dead Man, de Ghost dogs et vous devez le voir.

Et vous voila devenu un mendiant en smoking… cherchant pendant des heures, si par hasard quelqu'un aurait une place supplémentaire. Et finalement malgré les centaines de gens comme vous, vous y arrivez et vous rentrez de justesse dans le palais. Et alors que vous vous dirigez vers la salle en toute tranquilité et en toute légalité, des vigiles vous rattrapent. Pourtant c'est la bonne porte de l'entrée du festival, vous en êtes persuadés. Finalement ils vous reconduisent dans une salle pas très loin, dix fois plus petite, dans laquelle il vous projette le film sans l'équipe et sans l'ambiance, bien entendu…
Vous voilà donc devant le film et le marchand de sable réclame ses heures de sommeil. Vous assistez à la projection du film pour lequel vous vous êtes battu toute la journée et vous voila en train d'interférer sur le style elliptique de Jim Jarmush en vous éclipsant pas moment. C'est pour ça que par honnêteté, vous ne ferez pas la critique du film avant de l'avoir revu même si vous l'avez quasiment vu en entier. En tout cas, Bill Murray joue le même rôle que dans Lost in translation, un homme décalé qui détonne dans le festival. Le film se construit à nouveau autour d'un ensemble de saynètes qui ont le même thème montrant l'incapacité de Jarmusch de raconter à nouveau une histoire avec un début et une fin (la fin se termine en queue de poisson). Et ce qui vous fait plaisir, c'est que vous retrouvez le style Jim Jarmusch, un certain cinéma de l'errance, un road-movie où un homme apprend qu'il a un fils et retourne voir toutes ses conquêtes. Et ça c'est la bonne nouvelle de la soirée. Vous remontez dans votre appartement, le smoking usé mais finalement ravi.

Demain sera un autre jour.

Mr Brown

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