Star Wars L'achèvement d'une saga
Les deux soleils de Tatooine.
Avec la sortie de La Revanche des Sith,
une page glorieuse et décisive de l'histoire du cinéma se tourne. Une
page tournée. Aussi simple soit-il, le constat est vaste.
On
a tout dit sur Lucas, tout et n'importe quoi. Les clichés les plus
courts, à peine véridiques : Lucas le marchand de jouets, Lucas le
cinéaste qui n'aime pas tourner, qui dédaigne les acteurs, qui ne sait
pas écrire un scénario, qui ne met pas en scène, le producteur
capitaliste, l'autiste ensommeillé, l'adolescent attardé et que
sais-je
La sagesse populaire a toujours du vrai.
Faisons-la un peu mentir. Conçu en 1975-1976 par un jeune cinéaste
avide de succès et d'indépendance, Star wars a révolutionné le cinéma
hollywoodien. De l'explosion des blockbusters estivaux, des complexes
de salles, de la culture adolescente aux formes multiples de marketing
et de produits dérivés. Des effets visuels stupéfiants du film de 1977
encore écrasés par les deux suivants, des rêves de créations
monumentales et monstrueuses jusqu'à la trilogie actuelle, maîtrise
absolue des technologies numériques, pouvoir illimité de la caméra, de
l'image, de la couleur, du mouvement, du clone figurant, fusion de
l'animation et de la prise de vues. L'exécution des six épisodes de la
saga résume et achève trente ans d'histoire économique et technique du
cinéma.
Le
pari de Lucas fut un pari sur le temps. Pari sur le rêve toujours
recommencé d'une action toujours déjà commencée, et sur l'envol
légendaire d' « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très
lointaine
». Pari sur la fidélité et l'héritage d'un public qui serait
toujours là pour redonner vie aux images originelles et célébrer les
nouvelles. Pari sur l'avènement d'une technologie impensable en 1977,
qui permettrait du vivant des auteurs, d'achever l'histoire. Pari, le
plus fou, le plus important, sur la vie humaine : George Lucas est
toujours là pour finir l'uvre. Et si Kubrick n'avait pas achevé Eyes wide shut
après ses années de préparation et de tournage ! Et avec Lucas, les
compagnons de route que la vie a préservé : John Williams, compositeur
de l'origine, Ian McDiarmid, Empereur depuis 1983, Anthony Daniels,
Kenny Baker, Peter Mayhew, droïdes et wookie depuis toujours,
Christopher Lee, vénérable invité des dernières années que le saga dote
d'une souplesse éternelle
Pari gagné sur le temps.
Le
public a changé. La réception moins admirative des nouveaux épisodes
évoque des métamorphoses diverses. Le cinéma se consomme différemment,
plus vite, de façon moins religieuse. Le spectaculaire a vu ses limites
reculer jusqu'à satiété. L'effet spécial et la création merveilleuse
sont maintenant connus d'un public déniaisé. Pourtant, L'Attaque des clones, avec son embarquement final de troupes impériales, a relancé l'espoir, et il y a fort à parier que La Revanche des Sith
connaîtra un succès immense. Certainement le plus gros de la saga.
Darth Vader revient, la boucle se boucle et il sera désormais
impossible de voir un nouvel épisode de Star wars. C'est donc
l'occasion ultime.
Lucas
a évolué. On a beau, à juste titre, voir les six épisodes comme les
fragments d'un ensemble unique, il faut bien convenir que la nouvelle
trilogie possède une tonalité un peu différente. Et il ne s'agit pas
d'une question formelle. La première trilogie possédait un esprit de
camaraderie adolescente maintenant disparu. La nouvelle trilogie est
plus politique, plus sentencieuse, possède certainement moins de vie
immédiate malgré son rythme paradoxalement plus soutenu. La maturité
esthétique de Lucas semble s'être faite au détriment de la simplicité.
L'on perd toujours quelque chose. À la place, la maîtrise narrative, la
puissance plastique et le fermeté d'un style foisonnant.
Le monde (enfin, le monde toutes proportions gardées) a détesté Jar Jar Binks, le Gungan bouffon de La Menace fantôme.
Pourtant, la bizarrerie de Jar Jar dit beaucoup sur George Lucas. Par
delà le recueil des obsessions personnelles et les traces
autobiographiques, Star wars est pour lui une aventure narrative et
formelle. Aventure narrative du serial et de la saga où il raconte une
histoire à l'endroit puis l'envers, pour un public qui devra désormais
choisir l'ordre de ces six épisodes, qu'il faut en fait voir dans les
deux sens. Aventure formelle d'un cinéaste passionné de montage et
d'abstraction et qui a choisi d'incarner ses idées de couleurs, de
formes, darchitecture, de rythmes dans les aventures épiques de la
famille Skywalker.
Remarque-t-on
à quel point les films de Lucas sont bizarres ? Hétérogènes. Chaque
film de la saga Star wars rassemble des esthétiques contradictoires,
souvent juxtaposées avec brutalité. Le grotesque plastique de la cour
de Jabba, l'étrangeté bouffonne des créatures diverses, leurs langages
curieux, leurs onomatopées côtoient le comique le plus vulgaire
(éructation de Sarlac, pet de chameau intergalactique). Le mauvais goût
absolu (le groupe de rock de Tatooine) rencontre le tragique (les duels
entre Jedis et Sith). Des droïdes inefficaces, cartoonesques et
innombrables combattent des batraciens maladroits dans un style épique
et monumental. Un propriétaire de bar monstrueux et obèse, aux bras
multiples, mène Obi-Wan Kenobi vers une cité aux décors immatériels où
l'on clone l'humain : du grotesque à l'abstrait. Un souci de précision
ethnologique cohabite avec l'irréalisme et la théâtralité totale. Et
lorsqu'Anakin et Padmé s'aiment, c'est au milieu des cataractes géantes
et des vaches gonflées de Naboo (les hideux Shaks). Le génie
visionnaire de Lucas s'épanouit dans le foisonnement formel, dans les
tons multiples, les greffes improbables. Rien dans l'histoire du cinéma
ne ressemble à la cohésion monstrueuse de Star wars. Regardez bien.
Personne ne se rend compte qu'un sage vénérable qui passe son temps à
confesser qu'il ne comprend rien et ne sait rien, c'est impossible.
Mais s'il s'agit de Yoda... L'existence filmique que lui confère Lucas
l'arrache aux catégories courantes du jugement. Yoda sait.
La Revanche des Sith
s'achève sur une variante des formes habituelles. Des lieux familiers
remontent à la surface. Lieux familiers et pourtant encore inconnus. La
fin des Sith réclame le Nouvel espoir. Mais elle le rappelle aussi. La
saga de Lucas suspend le temps de façon impossible et jubilatoire.
Un tournage en Tunisie il y a presque trente ans. Un rêve
d'aventure. Une conclusion et un début. Il y a tout cela dans l'image
finale des deux soleils de Tatooine. Tout cela que l'on ne verra plus
jamais de la même manière.
Pierre Berthomieu
Star wars en DVD : Les tests complets
La Menace fantôme L'Attaque des clones La Revanche des Sith
...que l'on attendait avec les fans...