Dominion : Prequel to the Exorcist le prequel maudit de Paul Schrader

La Rédaction | 21 décembre 2004
La Rédaction | 21 décembre 2004

Vendredi 17 décembre 2004, 20h00. Paris, les Grands Boulevards. Une centaine de personnes attendent depuis une bonne heure et demie devant la Cinémathèque qui propose une soirée cinéma bis : « Autour de Paul Schrader » (dans le cadre d'une rétrospective de l'oeœuvre du réalisateur-scénariste). Est-ce que tous ces passionnés se sont vraiment déplacés pour voir le film culte de Quentin Tarantino, l'excellent et très rare Rolling thunder , de John Flynn (1977), où le père de Laura Palmer (William Devane), devenu une sorte de croisement entre le capitaine Crochet et Charles Bronson, part, aidé par Tommy Lee Jones, venger sa femme et son enfant ?

 


Même si ce film a d'indéniables qualités (qui le fait passer pour le Taxi driver du film d'exploitation), on doute quand même qu'il ait fait déplacer autant de monde.


En fait, la plupart des personnes présentes ce soir-là sont surtout venues voir le film proposé en deuxième partie de soirée. En effet, depuis quelques jours une rumeur circule : la Cinémathèque proposerait un film surprise tourné par Paul Schrader et datant de 2004. Ceux qui suivent un tant soit peu la carrière du réalisateur savent qu'il ne peut s'agir que d'un seul film : sa fameuse préquelle de L'Exorciste qui défraya la chronique cette année. Refusé par Morgan Creek et son distributeur, la Warner, le film a été presque entièrement retourné par le viking, Renny Harlin. À 22h00, la Cinémathèque a donc proposé la vraie version de L'Exorciste : The Beginning.

 

 

Nous ne vous ferons pas ici la critique du film, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce que la cinémathèque a demandé à tous les journalistes présents dans la salle (et ils étaient nombreux à vouloir couvrir ce scoop !) de n'écrire aucun article dessus, car Schrader offrait là comme cadeau de Noël avant l'heure un brouillon de son film (d'ailleurs l'entrée était gratuite). Ce dernier est en effet en cours de montage, et la version qui nous a été proposée est juste un travail en devenir (« work in progress ») selon la lettre que Schrader a adressée à la Cinémathèque. Ainsi est-ce une copie de travail gravée sur un DVD qui a été projetée sur un vidéoprojecteur. Les effets spéciaux n'étaient pas terminés et la musique du Seigneur des anneaux servait de bande-son (nous ne parlerons pas du générique de fin, sur lequel le monteur a collé une chanson heavy metal !).
L'autre raison, et la plus importante, de ne pas parler de cet évènement de façon très précise vient du fait que le film a été approché par les organisateurs d'un certain festival (où les stars montent des marches rouges en tenue de soirée), qui semblent susceptibles de le sélectionner. Et comme ce festival a toujours eu pour devise de ne sélectionner que des films qui n'ont jamais été montrés (hormis dans leur pays d'origine)…
Comment peut-on alors décemment écrire un article sur L'Exorciste : The Beginning version Schrader ? Eh bien tout simplement par passion et par respect pour l'œuvre du réalisateur d'Affliction et du scénariste de Taxi driver, afin que ce film ne soit plus maudit ou condamné à figurer en bonus (comme il en fut question un temps) dans le DVD du film du réalisateur de Au revoir à jamais, à sortir en zone 1 en mars 2005.

 



L'Exorciste : The Begining vu à la Cinémathèque n'est donc qu'un aperçu, qu'une bande annonce version longue de ce que devrait être le montage final. Si nous sommes donc dans l'incapacité déontologique et même cinématographique de donner notre avis sur ses qualités (ou défauts) intrinsèques, nous avons opté pour un article qui explique dans ses grandes lignes en quoi les deux versions de L'Exorciste : The Beginning diffèrent, et ainsi pourquoi il est important qu'un jour l'on puisse découvrir la vision de Schrader sur grand écran, et non éventuellement dans notre « home theater ».

 

 

Quelques précisions : pour l'instant, la durée du film est sensiblement la même que celle du film sorti il y a un mois dans nos salles de cinéma. Pour ce qui est de la trame principale du récit, elle est similaire à celle du film de Renny Harlin : la découverte au Kenya d'une église, érigée pour Satan par un père Merrin ayant perdu la foi, n'est toutefois plus traitée de la même manière, même si elle reprend des séquences qu'on a déjà vues (ces séquences ont-elles vraiment été entièrement retournées ?). Le film démarre ainsi par la scène la plus bouleversante de la version de Renny Harlin où, pendant la Seconde Guerre mondiale, le prêtre interprété par Stellan Skarsgard, devant la menace d'un SS, est obligé de faire tuer des innocents… pour en sauver le plus grand nombre. Toutes les préoccupations de Schrader se trouvent dans cette séquence impressionnante et vont être par la suite déclinées. Cette scène devient le point central du récit et la véritable réflexion que Paul Schrader a tenté d'insuffler à son film : le Bien et le Mal se ressemblent, Dieu et Satan aussi.
Schrader a beaucoup mieux gérer que Renny Harlin l'arrivée de l'armée, la révolte des indigènes et le drame qui consume Merin ; ce dernier y ayant sans doute plus vu l'occasion de faire sauter ses décors que de se lancer dans une quelconque réflexion sur le Mal.

 

 

Même si la plupart des séquences avec le père Merrin sont quasiment les mêmes, de nombreuses scènes du film de Renny Harlin n'y figurent pas. Comme on pouvait le prévoir, il s'agit principalement de toutes les séquences spectaculaires (ou ridicules, selon notre perception du film) de la version sortie en salles. Ainsi, l'ouverture impressionnante sur un champ de bataille avec travelling arrière révélant des milliers de morts, l'attaque d'un jeune garçon par des hyènes ou encore celle du militaire par les papillons sont-elles bien des ajouts du réalisateur de 58 minutes pour vivre, ajouts ayant servi à muscler de façon grandiloquente le récit. À noter également la disparition de toutes les séquences se déroulant au Vatican.

 

 

Parmi les sacrifiés (si on se place dans l'ordre inverse des tournages des films) figure en tête de peloton la jolie Izabella Scorupco. L'héroïne de Renny Harlin, faute de ne pas nous avoir donné de « peurs bleues », laisse la place à une jeune actrice inconnue. Le personnage de l'ivrogne en pleine déflagration n'existe plus et les deux enfants noirs, même s'ils figurent dans le film, ne font que de la figuration.
Quant à la personne à exorciser, c'est… le chanteur Billy Crawford qui s'y colle. Ne vous inquiétez pas pour autant puisque, sous ses tonnes de maquillage, l'ex de Lorie n'est finalement reconnaissable… qu'au générique de fin. À propos de l'exorcisme justement, chez Schrader, plus question de faire tourner les têtes et les corps à trois cent soixante degrés ou encore de transformer son possédé en gymnaste concourrant pour une médaille d'or aux JO : la victime à exorciser est désormais complètement chauve, lévite comme un « little buddha » et ne jure plus, même si elle se permet toujours de jeter le père Merrin contre les murs. L'exorcisme final s'avérera alors beaucoup plus une conversation sur le Bien et le Mal et sur la foi qu'une suite de dégueulements et d'injures sexuelles…

 

Si nous sommes donc bien incapables d'écrire une critique du film parce que nous ne l'avons pas vraiment vu (la copie était vraiment floue), force est de constater que Paul Schrader semble vouloir dépasser les limites du genre « film d'épouvante » pour pouvoir explorer son thème de prédilection : la rédemption et le rapport entre le Bien et le Mal. Si son film était enfin présenté au cinéma, la saga de L'Exorciste pourrait se terminer par un film ayant les mêmes qualités que l'œuvre fondatrice : être tout autant un drame qu'un film d'horreur.
Après avoir été un (petit) événement médiatique offrant un incident sans précédent dans l'histoire du cinéma (deux réalisateurs tournant la même année le même film, avec la même distribution, dans les mêmes décors et pour le même studio), L'Exorciste : The Beginning doit reprendre le cours normal de sa création. En sortant en salles, il permettrait tout simplement et tout naturellement de nous offrir l'exorcisme attendu et espéré de la version de Renny Harlin. À bon entendeur (exorciste) !

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