L'Exorcisme d'Emily Rose : pourquoi c'est l'un des rares bons films de possession

Judith Beauvallet | 8 mai 2023
Judith Beauvallet | 8 mai 2023
 

La sortie en salles imminente de L'Exorciste du Vatican, énième film d’horreur reposant sur la confrontation entre un homme d’Église et un suppôt de Satan ayant pris possession d’un innocent, est l’occasion de revenir sur le genre du film d’exorcisme. Depuis le film culte de William Friedkin sorti en 1973 et sobrement appelé L'Exorciste, beaucoup de productions ont tenté de marcher dans ses pas, et beaucoup s’y sont cassé le crucifix. Parmi, quelques rares exceptions, comme la surprise que fut L'Exorcisme d'Emily Rose de Scott Derrickson.

 

L'Exorcisme d'Emily Rose : photoQuand tu marches pieds nus sur un lego 

 

Anneliese Michellraiser

Sorti au cinéma en 2005, L’Exorcisme d’Emily Rose est le deuxième long-métrage de Scott Derrickson, précédemment réalisateur du DTV Hellraiser 5 : Inferno, et qui livrera plus tard, entre autres, le terrifiant Sinister, ainsi que le beaucoup moins bon Délivre-nous du mal et le moyen Black Phone (sans parler de son passage chez Marvel avec Doctor Strange).

Avec Emily Rose, Derrickson s’attaque au concept racoleur, piégeux et malgré tout incontournable du genre : le film inspiré d’une histoire vraie. En effet, son histoire est librement inspirée du cas tragique d’une jeune Allemande, Anneliese Michel, qui trouva la mort en 1976 au terme d’une série d’exorcismes (67 en 10 mois !) et d’une maladie interprétée comme une possession par les personnes qui l'ont prises en charge.

 

L'Exorcisme d'Emily Rose : photo, Jennifer CarpenterEmily dose

 

Il s’agit d’un des faits divers d’exorcisme les plus connus, notamment parce qu’il existe des enregistrements audios particulièrement dérangeants des crises d’Anneliese. Le film de Derrickson, s’il est une adaptation très libre des faits (la jeune femme n’étant même pas allemande dans cette version), se démarque pour plusieurs raisons dans le vaste océan souvent croupi des films d’exorcisme. À noter premièrement que, même si Emily n’est pas le seul personnage principal du film, beaucoup de séquences sont racontées de son point de vue et la narration s’accroche à son évolution psychologique.

Pour une fois, la victime de possession n’est pas un simple support à fantasme de projections de vomi et de balafres sur le visage, mais un personnage attachant, qui existe pour lui-même, et qui se retrouve à subir une expérience terrible. À travers des visions (auxquelles on peut reprocher un manque de finesse), Emily bénéficie d’un libre arbitre dans sa possession et reste, dans une certaine mesure, maîtresse de son histoire. Mais l’atout principal du film repose dans la distance qu’il prend avec son élément fantastique, et évite ainsi un ton trop racoleur.

 

L'Exorcisme d'Emily Rose : photo, Jennifer CarpenterEmily pose

 

Autopsie d'un quasi-meurtre

Cette distance, Scott Derrickson l’instaure en faisant d’Emily Rose un film de procès plutôt qu’un simple film d’exorcisme. En son temps, la mort d’Anneliese Michel fut attribuée au traitement prodigué par ses parents et les prêtres exorcistes, et ceux-ci furent condamnés à plusieurs mois de prison avec sursis après la mort de la jeune fille décédée de malnutrition et de déshydratation.

Derrickson raconte le calvaire d’Emily à travers le procès intenté au prêtre Richard Moore pour homicide par imprudence. De cette manière, il interroge tout au long de l’histoire les circonstances qui peuvent conduire à l’absurdité d’une jeune femme qui finit par mourir d’une absence de soins.

 

L'Exorcisme d'Emily Rose : photo, Jennifer CarpenterEmily ose

 

Il interroge aussi le poids de la croyance face à la science, tout en respectant la foi d’Emily en mettant en scène ses expériences mystiques. Ainsi, Emily Rose offre des scènes saisissantes de manifestations paranormales (comme cette image d’un visage démoniaque qui apparaît une seconde dans les nuages d’un orage), tout en remettant sans cesse en question la validité de ces manifestations dans les scènes de procès. Pour jouer sur la frontière des interprétations fantastiques ou médicales, le calvaire d’Emily est surtout décrit, au départ, par des crises impressionnantes, mais qui peuvent avoir une explication rationnelle.

Entre les illusions d’une paralysie du sommeil et les épisodes catatoniques (le terrible moment où le jules d’Emily la retrouve contorsionnée et immobile au pied du lit, les yeux rivés sur lui), le fantastique est presque toujours là, et jamais totalement. Un parti pris habile qui permet au film de rester crédible de bout en bout sans tomber dans le grand-guignol de ses semblables.

 

L'Exorcisme d'Emily Rose : photoLe procès du démon

 

Linney-vitable

Évidemment, le film comporte tout de même son lot de scène de hurlements hystériques, d’engueulades en latin et de brandissement de crucifix. Et bien évidemment, il n’est pas entièrement réussi : l’aspect téléphoné et lourdingue de pas mal de séquences, ainsi qu’un ensemble assez inégal entre moments frappants et passages presque ridicules en font un film tout juste bon. Mais ses éléments positifs sont, pour beaucoup d’entre eux, réellement excellents. C’est par exemple le cas du casting : auprès de la trop rare Jennifer Carpenter qui prête ses traits à Emily, ce sont les géniaux Tom Wilkinson et Laura Linney qui incarnent le père Moore et son avocate.

Linney est parfaite (comme d’hab) dans le rôle de cette femme terre-à-terre qui se retrouve à défendre un prêtre qui veut la convaincre que le diable existe. Le spectateur, qui épouse son point de vue, est entraîné dans l’ébranlement de ses convictions, et risquera de se réveiller, tout comme elle, chaque nuit à 3h dans les jours suivants le visionnage du film (la personne qui écrit ces lignes parle d’expérience). Ce casting particulièrement précieux et qualitatif achève d’élever Emily Rose au-dessus du ventre mou des films d’exorcisme, en conférant de la force et de la crédibilité à ses dialogues (élément souvent trop négligé dans un sous-genre qui préfère miser sur la projection de curés au travers des pièces).

 

L'Exorcisme d'Emily Rose : photoAvoir foin en Dieu

 

À la fois véritable film de possession et véritable film de procès, L’Exorcisme d’Emily Rose parvient à effrayer tout en tenant un discours plutôt fin et efficace sur son sujet, sans exiger du spectateur qu’il adhère à l’existence du diable (ou de Dieu), ni qu’il la refuse absolument. La narration partagée entre deux époques ainsi que l’écriture respectueuse et intéressante du personnage d’Emily (à noter qu’il est appréciable que Derrickson ne prétende pas raconter la véritable histoire d’Anneliese Michel pour la transformer en exercice de voyeurisme putassier) en font l’une des meilleures formes que puisse prendre l’exercice codé du film d’exorcisme.

À voir ou à revoir si L’Exorciste du Vatican ne vous convainquait pas et que vous vous retrouviez en manque de récitations du Notre Père.

 
 

Tout savoir sur L'Exorcisme d'Emily Rose

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commentaires

10/05/2023 à 00:55

C'est l'un des rares films de possession qui m'a autant marqué, les semaines suivantes, à 3 heures du matin, je ne pensais qu'à ça, impossible de sortir du lit. Je n'étais pas si jeune pourtant. Ravi de voir que je ne suis pas le seul car rarement un détail d'un film m'aura suivi dans ma vraie vie ;)

Neji
09/05/2023 à 22:19

Avoir foin en dieu et Émilie dose, voilà bravo , il y a plus rien à ajouter.
Moi perso avec ça je suis refait ,
merci à vous.

alulu
08/05/2023 à 17:00

"Ainsi, Emily Rose offre des scènes saisissantes de manifestations paranormales (comme cette image d’un visage démoniaque qui apparaît une seconde dans les nuages d’un orage), tout en remettant sans cesse en question la validité de ces manifestations dans les scènes de procès."

Mine de rien tout tourne autour de Friedkin, outre le paranormal, ça me fait penser à L'Enfer du devoir qui lui aussi est un film à procès et qui remet en question ce que l'on voit. Mais bon, je n'ai pas trop souvenir de ce film, je l'avais trouvé bof.

LeConcombreMoisi
08/05/2023 à 15:25

Belle défense de EL.
Dommage que ce film soit complètement nul et soporifique

motordu
08/05/2023 à 15:02

Très intéressant article, qui donne envie de voir le film ! Merci à la rédaction d'EL de nous offrir ce type de dossiers !