Bhoot : la réponse indienne à The Grudge sur Little Bollywood

Clément Costa | 17 avril 2023
Clément Costa | 17 avril 2023

Révolution horrifique pour Bollywood à l’aube des années 2000, Bhoot est un choc indispensable à découvrir sur Little Bollywood.

Dans l’imaginaire collectif, le cinéma indien est essentiellement associé aux grandes fresques romantiques et musicales. Plus récemment, grâce aux triomphes internationaux de films comme RRR ou Pathaan, le grand public occidental découvre que les différentes industries indiennes ont un talent certain pour les blockbusters d’action démesurés. Mais s’il y a bien un genre dans lequel on entend rarement parler de Bollywood, c’est le cinéma horrifique.

Et pourtant, le cinéma indien compte plusieurs maîtres de l’horreur. Un des plus célèbres représentants du genre est sans aucun doute Ram Gopal Varma. Le cinéaste tentait son tout premier film d’horreur en 2003 avec Bhoot, aussi sorti en France sous le titre alternatif Fantômes. Bonne nouvelle, vous pouvez désormais découvrir le film sur Little Bollywood. Cette toute première plateforme de VOD française dédiée au cinéma indien offre un très large catalogue rempli de pépites à découvrir. C’est donc l’occasion rêvée pour vous donner toutes les bonnes raisons de foncer découvrir Bhoot.

 

Fantômes : photoDe l'autre côté du miroir

 

NOUVELLE CUISINE

Le cinéma d’horreur indien a une histoire particulièrement complexe. Si l’on trouve quelques modestes productions de genre dès les années 40, c’est essentiellement à partir des années 60 que le public indien découvre des longs-métrages d’épouvante locaux à plus grande échelle. On pourrait ainsi citer Bees Saal Baad de Biren Nag sorti en 1962 et qui mêle surnaturel et film noir.

Ces premières grosses productions de genre s’inspirent particulièrement du folklore local et comportent généralement un sous-texte social passionnant. On y trouve ainsi des réflexions avant-gardistes sur le sort des femmes dans la société indienne, les rapports conflictuels entre différentes castes ou encore le poids de la religion et des traditions. Avec ses mythologies extrêmement riches et son histoire conflictuelle, l’Inde avait tout pour être un pays essentiel dans la production horrifique à l’échelle mondiale.

 

Fantômes : photoUne industrie qui dormait (trop) paisiblement

 

L’évolution des différentes industries régionales en décidera malheureusement autrement. À partir des années 80, le cinéma bollywoodien relègue ses productions horrifiques au rang de simples séries B fauchées. Les tristement célèbres frères Ramsay deviendront les ambassadeurs d’un cinéma d’exploitation vulgaire, à bas coût et particulièrement rentable. Spécialistes dans l’art du plagiat, ils s’assurent de mêler horreur et érotisme bas de gamme pour fidéliser un public masculin ne se déplaçant clairement pas en salles pour la qualité des longs-métrages.

Il faudra attendre de longues années avant qu’une jeune génération vienne révolutionner un cinéma bollywoodien en chute libre au milieu des années 90. Une des icônes de cette génération sera le sulfureux Ram Gopal Varma. Son cinéma est brutal, provocateur, sans concession. De plus, il contribuera grandement à révéler certains des plus grands noms du cinéma indépendant indien, dont le fabuleux Anurag Kashyap.

 

Fantômes : photoL'art de faire des affiches épurées

 

Ram Gopal Varma s’amuse à ressusciter des genres morts comme le film de gangsters (Satya) ou le thriller psychologique (Kaun). En 2003, il s’attaque enfin de manière frontale au cinéma d’horreur avec Bhoot. Son objectif est simple : créer un renouveau horrifique radical. Il souhaite faire de l’épouvante avec une véritable ambition artistique, qui ait une identité indienne totalement assumée. En grand cinéphile, Ram Gopal Varma s’inspire également de ce qui se fait de mieux à l’international, en particulier le choc Ju-On sorti quelques années plus tôt.

Pour mieux coller à l’identité d’une Inde moderne, Bhoot va aborder des thématiques encore inédites pour Bollywood. On retrouve ainsi en sous-texte une réflexion sur l’évolution des grandes villes indiennes, le train de vie infernal que cela entraîne, les violences domestiques ou encore le choc entre superstition et modernité. Dès sa sortie en salles, Bhoot fait l’unanimité. Le film d’horreur indien moderne vient de naître.

 

Fantômes : photoUn lundi matin comme les autres 

 

INDIAN NIGHTMARE

Ce qui marque particulièrement quand on prend en compte le contexte de sortie de Bhoot, c’est son grand savoir-faire technique. En quelques plans à peine, Ram Gopal Varma fait oublier les productions médiocres des Ramsay et impose au genre son propre langage cinématographique. On y retrouve tout son amour de la mise en scène expérimentale. Ses motifs favoris, notamment les plans débullés, servent parfaitement le propos du récit et sont intelligemment utilisés.

On pourrait craindre que l’utilisation excessive des jumpscares ait mal tenu l’épreuve du temps. Mais là encore, difficile de ne pas reconnaître l’intelligence de la mise en scène. Ram Gopal Varma place ces moments de sursaut de façon brillante, les opposant systématiquement au calme inquiétant de l’appartement maudit. Cette gestion du rythme permet au récit de maintenir une efficacité redoutable.

 

Fantômes : photoVous reprendrez un peu de bonne humeur ?

 

Le travail sur le son est une des plus grandes qualités techniques du long-métrage. En effet, le mixage de Dwarak Warrier explore des horizons complètement nouveaux pour les productions bollywoodiennes des années 2000. Il met un soin particulier à faire ressentir la réalité tangible de chaque son : des casseroles frétillantes, des pneus qui crissent dans un parking sous-terrain ou encore l’écho lourd de la pluie qui tombe.

Par ce biais, chaque bruit du quotidien devient une menace potentielle. Plus qu’un effet stylistique gratuit, ce parti-pris nous aide à ressentir de façon organique la perte de repères de notre héroïne tourmentée. Tout comme elle, on remet constamment en question notre perception des événements, la frontière entre cauchemar et réalité. De plus, cela décuple notre empathie ainsi que la sensation de tension permanente.

 

Fantômes : photoL'inspecteur qui voit flou

 

Mis à part une poignée de séquences, Bhoot évite également de verser dans le grand-guignolesque qui caractérisait l’essentiel de la production horrifique bollywoodienne des décennies passées. L’horreur selon Ram Gopal Varma est essentiellement psychologique. Il évite ainsi les démonstrations excessives et les effets douteux.

C’est en nous permettant de nous attacher à l’héroïne qu’il vient créer de la peur. Sans oublier les quelques séquences inoubliables qu’il nous offre. Citons par exemple une séance de cinéma terrifiante en milieu de récit ou une séquence de terreur nocturne saisissante. Dans les deux cas, l’efficacité vient des idées visuelles et sensorielles fortes.

 

Fantômes : photoUne tête subtilement coupée par le cadre

 

BHOOT IS AFRAID

Dans la pure tradition du cinéma indien populaire, Bhoot trouve sa force dans l’utilisation de différents genres et registres. En milieu de récit, Ram Gopal Varma fait ainsi appel à un personnage de policier purement rationnel qui semble tout droit sorti d’un film noir extrêmement codifié. Un contraste amusant qui apporte au film un réalisme paradoxal. Après nous avoir plongés dans un univers ouvertement surnaturel, le cinéaste nous rappelle à un monde tangible et familier. Ce décalage vient étrangement renforcer la puissance horrifique du récit.

Comme c’est souvent le cas dans le cinéma d’horreur japonais qu’il prend pour modèle, Ram Gopal Varma n’oublie pas la dimension dramatique de son film. Bhoot est avant tout un drame humain. À ce titre, le dernier acte renverse totalement notre perception des enjeux narratifs. Le surnaturel, qui était jusqu’alors objet de crainte, vient susciter notre empathie la plus sincère. On frôle alors la grande fresque de vengeance, un genre particulièrement cher au cinéaste et qu'il sublimera quelques années plus tard avec Ek Hasina Thi.

 

Fantômes : photoUn drame intime avant tout

 

Dans cette idée d’empathie, Bhoot met en scène une sororité forte et touchante comme on en voyait peu dans le cinéma de cette époque. L’excellente Urmila Matondkar, actrice fétiche de Ram Gopal Varma, porte tout le film à bout de bras. Elle peut également compter sur Rekha, véritable légende du cinéma indien qui s’est spécialisée dans les rôles féminins marquants. Le film met en scène des femmes fortes, unies dans l’épreuve et ne perdant pas des yeux leur but commun. À l’inverse, les hommes du film sont passifs, égarés ou toxiques. Une double lecture aussi fine qu’inattendue à Bollywood.

Dans les années suivantes, Ram Gopal Varma s’attaquera plusieurs fois au film d’horreur avec de nombreuses réussites. Mais le cinéaste connaîtra une des chutes artistiques les plus brutales de l’histoire du cinéma indien, tombé aujourd’hui dans les séries b érotiques qu’il tentait d’éradiquer. Fort heureusement, son héritage a inspiré une nouvelle vague de plus jeunes cinéastes comme Anurag Kashyap, Vikramaditya Motwane ou encore Anvita Dutt. Des talents qui continuent d’assurer les beaux jours du cinéma de genre bollywoodien.

Vous pouvez découvrir Bhoot sur Little Bollywood. Véritable Netflix du cinéma indien, cette plateforme de VOD propose différents abonnements pour avoir accès à des centaines de films indiens sous-titrés en français. Retrouvez toutes leurs offres, qui vont de l'abonnement mensuel "Forfait Brahma" à l'abonnement annuel "Forfait Ganesh".

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commentaires
Loozap
17/04/2023 à 21:23

Ce film est juste génial