Tom à la ferme : le thriller SM pseudo incestueux de Xavier Dolan

Axelle Vacher | 25 février 2023 - MAJ : 26/02/2023 17:18
Axelle Vacher | 25 février 2023 - MAJ : 26/02/2023 17:18

Film bâtard et transitif dans la filmographie de Xavier Dolan, Tom à la ferme figure une vision de l’amour pervertie, où violence rime avec repentance.

Rapidement érigé au statut du jeune prodige, voire d'enfant terrible du cinéma, Xavier Dolan vient d'achever sa trilogie de l'Amour en 2013 (à 24 ans) pour mieux atteindre une étape charnière dans sa filmographie

En adaptant au cinéma la pièce de Michel Marc Bouchard, Xavier Dolan se projette pour la première fois dans un univers qui n’est pas le sien, et s’essaie au film de genre. Simultanément thriller érotico-psychologique et drame romantique, Tom à la ferme dresse le portrait d’individus que la solitude a rendu fous, aliénés par le vide – celui que laissent derrière eux les êtres chers qui disparaissent, l’absence des repères, l’absence de soi. En figurant l'impossibilité du deuil, Dolan propose alors une vision de l'amour qui lui était jusqu'alors inédite : malade, tordue, maculée par la perte et par l'ennui.

Attention spoilers sur le film en question, évidemment.

 

Tom à la ferme : photo, Xavier DolanFolie à deux

 

« Toi, toi mon tout, mon moi »

« Aujourd’hui, c’est comme une partie de moi qui meurt. J’ai oublié les synonymes du mot tristesse. Maintenant, ce qu’il nous reste à faire sans toi, c’est te remplacer. » 

Une serviette de table posée sur le tableau de bord d’une voiture absorbe les mots bleus d’un éloge funèbre. Par cette esquisse, le cinéaste figure dès l’ouverture du récit d'une part l’impossibilité viscérale pour Tom (Xavier Dolan) de faire son deuil, mais surtout, la nécessité de réorienter son affection. Néanmoins, Tom n’écrit pas « je » dans son discours, mais bien « nous », pronom dont la pluralité sous-entend que la substitution à venir est à concevoir selon plusieurs degrés.

Après tout, que faire de l’amour lorsque l’être aimé n’est plus ? Que faire de cet amour sans objet, sans direction, que seule l’absence subsiste, et que les fantômes n’écoutent plus ? Esseulé et abimé par cette brusque perte, Tom ne cherche pas tant à guérir de cet amour révolu qu’à le maintenir à flot, refusant le départ de l’autre, car qu’est-ce que l’absence sinon la trace béante de ce qui n’est plus ?

 

Tom à la ferme : photo, Xavier DolanDe l'art de noyer son chagrin dans une pinte à 8€

 

Bercée par le rythme lancinant des « Moulins de mon coeur », une voiture suivie par un travelling en plongée zénithale fend le cadre et traverse les routes de campagne désertes, modestes lignes d’asphalte au milieu des étendues de terres agricoles. À l’arrivée de Tom, la ferme des Longchamp est déserte, le silence pesant et la brume ambiante confèrent à la propriété une atmosphère hostile. Perdu dans ce paysage étranger, presque apatride, le personnage de Dolan tente d’oublier sa peine en s’oubliant tout entier, jusqu’à se substituer à celui qu’il est venu mettre en terre. 

Entre les murs d’un foyer contaminé par la mort d’un fils, Tom rencontre donc pour la première fois Agathe (Lise Roymater dolorosa, qui ignore non seulement tout de lui, mais aussi de l’homosexualité de son fils. Simultanément éplorée et glaçante, celle-ci contraint Tom (plus qu’elle ne lui suggère) de passer la nuit dans le lit de Guillaume, et, plus tard, de revêtir ses vêtements afin de participer aux travaux de la ferme. Le personnage se fait alors dans un premier temps le substitut filial d’une mère névrosée et inconsolable.

 

Tom à la ferme : photo, Pierre-Yves CardinalLiens du sans

 

Dépourvu de repères et en recherche non pas tant d’une distraction à sa douleur qu’un moyen de l’expier, Tom embrasse ce rôle lui permettant de maintenir son amant en vie au travers de son propre corps. Néanmoins, ce glissement identitaire se complexifie rapidement alors que le personnage découvre ex abrupto l'existence d'un double inconnu.

Endormi dans le lit de l’amant disparu, bercé par les vapeurs réconfortantes d’un vêtement lui ayant appartenu, Tom est brutalement réveillé par Francis (Pierre-Yves Cardinal, glaçant), le frère de Guillaume. Sous la menace, ce dernier astreint Tom au silence au regard du lien que partageaient les amants avant le décès brutal de l'un d'entre eux. Plus que de figurer la violence caractéristique de Francis, la scène dénote avant tout d’une volonté sensuelle paradoxale, laquelle établit les fondements du rapport trouble que se partageront les deux hommes tout au long du récit.  

 

Tom à la ferme : photo, Xavier DolanKintsukuroi

 

Le matin suivant son agression nocturne, Tom découvre que Francis a brisé ses lunettes. Le geste, a priori sans équivoque, traduit frontalement le caractère destructeur du personnage, mais la nature de l'objet en question appelle à une lecture plus profonde, et rend subtilement compte d'un désir partagé d’entretenir le flou pour mieux retrouver le disparu

En remplaçant le vide laissé par Guillaume dans les coeurs de Francis et Agathe, Tom réincarne son amant défunt, mais s’éprend dans le même temps du frère de ce dernier, substituant lui aussi la figure du mort à celle d’un vivant. Après tout, la ressemblance entre les deux hommes est frappante, et le personnage de Pierre-Yves Cardinal abuse de son apparence afin de mieux garder l'autre dépendant de lui. 

  

Tom à la ferme : photo, Pierre-Yves CardinalLes yeux revolver 

 

Combat de cocks

S’il n’est pas le monstre que les premières séquences laissent sous-entendre, Francis s’avère malgré tout un manipulateur vicieux et animal. Loin de l'archétype du gueux simplet aux mains crasses, le personnage campé par Pierre-Yves Cardinal ne perçoit que trop rapidement la culpabilité de Tom au regard de la perte de son amant, une culpabilité si intense qu’elle semble en éluder l’affliction, et dont il exploite simultanément les besoins affectifs et violents. 

Un traitement dont l'ambivalence est particulièrement manifeste à l'occasion de l'emblématique fuite de Tom à travers le champ de maïs séché. Dans sa course folle, le cinéaste opte alors pour une caméra dont la valeur se prête à une double subjectivité – celle du chasseur comme celle de la proie. Le travelling circulaire autour du visage de Tom suggère la perception d’un prédateur rôdant autour de son gibier, tandis que les plans fixes sur les maïs agités par le vent adoptent davantage celle d'un personnage aux aguets.

 

Tom à la ferme : photo, Xavier DolanLequel est le plus mort : les cheveux ou les maïs ? 

 

Francis surgit finalement, propulsant Tom au sol, et rouant ce dernier de coups au rythme effréné de la musique composée par Gabriel Yared. La scène ne se réduit toutefois nullement à un éclat de violence superficielle du personnage puisque ce dernier se plait alors à avoir envers Tom un simulacre de tendresse pervertie. Afin de souligner un peu plus le caractère anxiogène de la scène, le cinéaste resserre graduellement le cadre autour des personnages, mais paradoxalement, ce rétrécissement de l’image participe également à la mise en place d’un climat intime entre eux.

Penché sur Tom qu’il retient au sol par le poids de son propre corps, Francis lui ouvre ainsi la mâchoire pour mieux lui cracher dans la bouche. Le geste est ainsi aussi érotique qu’il est abject, et si Tom semble à première vue se soumettre à l’humiliation, il n’hésite pas à lui rendre la pareille en lui crachant à son tour au visage.

 

Tom à la ferme : photo, Pierre-Yves CardinalFolitude

 

Au-delà du symbolisme évident que suggère cet échange de fluides, la séquence traduit avant tout le caractère réciproque d’une relation où les personnages s’utilisent l’un l’autre afin de servir éhontément leurs propres intérêts. Aussi, lorsque le soir même Francis suggère à Tom de rester auprès de lui à la ferme, Tom, malgré les ecchymoses maculant son visage, acquiesce sans trop hésiter.

Cette mécanique bien huilée a toutefois ses limites, et Francis s'empêtre progressivement dans son propre jeu. La séquence où ce dernier confesse d’un air faussement détaché son désir d’Ailleurs augure ainsi un inéluctable renversement de pouvoir. Le tango que partagent les deux personnages, aussi sensuel que glaçant, marque de fait la subtile bascule d’un ordre préétabli. Reproduction d’une activité à laquelle Francis et Tom se livraient tous deux avec Guillaume, la danse figure non seulement le transfert identitaire de l’un sur l’autre, mais aussi, une transcendance de cette substitution, laquelle soustrait le mort de l'équation.

 

Tom à la ferme : photo, Pierre-Yves Cardinal, Xavier Dolan"Qui t'a appris à danser comme ça ?"

 

Le personnage de Pierre-Yves Cardinal ne cherche plus tant à retrouver son frère disparu à travers Tom qu’à garder ce dernier auprès de lui pour son identité propre, une réalisation qui bouleversera inévitablement. De nouveau en proie à son tempérament impétueux, ce dernier inflige de nouvelles blessures à Tom, lequel les accueille à bras ouverts. 

Les sentiments du personnage campé par Dolan sont aussi conflictuels que ceux éprouvés par Francis à son égard : son besoin cathartique d’expiation à travers les excès que lui impose le double de Guillaume se mêle progressivement à un amour persistant et douloureux dont il cherche à se défaire ; sans succès.

 

Tom à la ferme : photo, Xavier DolanSweet dreams are(n't) made of this 

 

Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis

Après avoir retiré ses pneus à la voiture de Tom, empêchant ce dernier de le quitter, l'aîné somme l'autre de se changer avant de l’emmener se saouler au milieu de nulle part. Ivre, le personnage pousse lentement, presque lascivement, Tom contre la tôle du hangar derrière lui avant de poser une main sur sa gorge. Pour la première fois cependant, ce geste intimidant est dépourvu de violence ; il s’agit au contraire d’une offrande à Tom qui réclame ostensiblement la brutalité, et pour le spectateur, d'un testament de co-dépendance entre les deux personnages.

L’image est sombre, l’obscurité nocturne difficilement troublée par les phares du pick-up de Francis, la profondeur de champ est nulle, effacée par le hangar derrière les personnages dont la tôle ondulée pourrait se méprendre à des barreaux de prison. Mais Tom est simultanément prisonnier et geôlier, et alors qu'il ordonne à Francis de l’étouffer davantage, ce dernier se plie aux désirs de l’autre sans broncher : « Tu me dis quand arrêter. C’est toi qui décides ».

 

Tom à la ferme : photo, Pierre-Yves Cardinal, Xavier DolanComme une image de parvis lycéen

 

Le cinéaste rétrécit alors pour la seconde fois du récit le format du cadre pour atteindre le 2.35, mimant non seulement le procédé de strangulation, mais aussi, l'étourdissement de Tom alors que ce dernier se laisse sciemment aller à la confusion entre l’amant défunt et le tortionnaire : « Tu sens pareil. T’as sa voix aussi. T’as la même fucking voix ».

À l'évocation de feu son frère, le personnage de Pierre-Yves Cardinal effectue un subtil mouvement de recul avant de relâcher son emprise. Cette brusque répulsion du personnage trahit l’ébranlement intérieur le submergeant, et le spectateur ne saura alors affirmer si cette répudiation de l'autre est à imputer au chagrin que suscite le souvenir de Guillaume, ou à la réalisation de Francis que Tom n'aura jamais de désir pour lui autrement que par sa ressemblance avec l'ancien amant.

 

Tom à la ferme : photo, Xavier Dolan, Pierre-Yves CardinalSafeword ?

 

Au demeurant, les raisons pour lesquelles Tom parvient finalement à se libérer de Francis à l’issue du récit restent ambiguës. S'agit-il de la révélation morbide du crime commis par Francis dix ans plus tôt ? Du rejet amoureux de Francis, lequel a préféré la compagnie de Sarah à celle de Tom ? Quelle que soit la réponse, celui-ci réussit à se défaire de sa torpeur, et, s’éveillant un matin dans les entrailles d’une maison déserte, rassemble ses affaires à la hâte pour mieux quitter la ferme. 

Une fois de retour à la ville toutefois, le personnage se montre moins soulagé que rongé par le doute. Arrêté à un feu rouge, Tom, la mâchoire crispée, la poigne serrée sur le volant de sa voiture semble hésiter à faire demi-tour pour retrouver Francis. Alors que le feu de circulation passe du rouge au vert, le spectateur constate que Tom ne redémarre pas. Xavier Dolan entretient le doute en prolongeant le plan de quelques secondes, mais le coupe suffisamment tôt pour suggérer une fin ouverte.  

 

Tom à la ferme : photo, Xavier DolanBye-bye Blondie

 

Tom à la ferme ne fait finalement pas tant le récit du deuil amoureux, ou plus subtilement, du deuil de l’amour, que de la perversion de celui-ci sous le joug de la violence. Elle retient Tom auprès de Francis autant qu’elle le repousse, elle le soigne autant qu’elle le blesse, comble un besoin organique autant qu’elle le transforme et l’avilit. Récit sur l’amour en négatif, le quatrième film du cinéaste se conçoit donc comme un film sur la perte de soi qu’entraine celle des êtres chers, les séquelles du vide, et l’impossibilité d’en guérir tout à fait.

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commentaires
Ryker
27/02/2023 à 02:20

Dolan tout c'est sont de la Merde toujours la même chose

Tyran
26/02/2023 à 18:45

Hé, la propreté ! T'es bien trop propre. C'est dangereux une telle pseudo pureté. Ça tue la vie. Et ça tue surtout la liberté d'expression. Je ne suis pas fan de Dolan, mais de là à vouloir l'enfermer. Quoi que... Il tournerait sans doute son plus grand film en tôle.

Tyran
26/02/2023 à 18:44

Hé, la propreté ! T'es bien trop propre. C'est dangereux une telle pseudo pureté. Ça tu la vie. Et ça tue surtout la liberté d'expression. Je ne suis pas fan de Dolan, mais de là à vouloir l'enfermer. Quoi que... Il tournerait sans doute son plus grand film en tôle.

Hugo Flamingo
26/02/2023 à 16:45

@la propreté : j'aimerais ne jamais avoir à parler d'art, de cinéma, de roman ou de peinture. Tu mélangés tout, le réalisateur (profession) et la persona d'une personne (que tu ne connais pas).
Retour regarder les teletubies et la bande à fifi. Bisous d'amour sur toi

Balec les réacs
26/02/2023 à 15:21

Ahahaha le boulet de réac
T'as rien compris à la vie, et la vie te fuit
Enferme toi chez toi et oublie nous merci

Ari G.
26/02/2023 à 11:29

@La propreté !
Oubliez ce cinéma alors, ce n’est visiblement pas pour vous. D’ailleurs ce n’est même pas un scénario de film à la base mais une pièce de théâtre... Les théâtraux au trou aussi pendant qu’on y est ?

La propreté !
25/02/2023 à 15:07

Comment le cinema peut accepter des realisateurs aussi deviant mentalement ?
Stop ! Ça suffit les co**eries ! En prison dolan !