Solaris : une BO incontournable, à ranger avec Interstellar et Blade Runner

Geoffrey Crété | 18 mai 2023
Geoffrey Crété | 18 mai 2023

La BO de Solaris, composée par Cliff Martinez, est une merveille à classer aux côtés de celles d'Interstellar par Hans Zimmer et Blade Runner par Vangelis.

Probablement parce que Solaris rime d'abord avec Tarkovski, le monde a trop vite oublié la version de Steven Soderbergh, qui a été un échec à sa sortie en 2002 (budget de 47 millions, et environ 30 millions au box-office). Et c'est bien triste puisque ce Solaris moderne produit par James Cameron est une magnifique réadaptation du roman de Stanisław Lem, portée par George Clooney et Natascha McElhone.

Parmi les nombreuses raisons d'aimer Solaris, il y a la musique de Cliff Martinez. Le fidèle compositeur de Soderbergh a signé l'une de ses plus belles BO, qui mérite à elle seule le détour.

Pourquoi Solaris version Soderbergh est un chef-d'œuvre.

 

Solaris : photoCe fondu final

 

QUI A COMPOSé SOLARIS ?

Cliff Martinez. Oui, l'ex-batteur des Red Hot Chili Peppers (de 1982 à 1985), qui a migré vers la musique de film à la fin des années 80. Depuis, il a composé quelques BO légèrement remarquées, notamment Drive, Only God Forgives et The Neon Demon pour Nicolas Winding Refn. Mais c'est d'abord et surtout Steven Soderbergh qui a marqué sa carrière, puisqu'il a composé les BO de onze de ses films, ainsi que sa série The Knick.

La collaboration a pourtant commencé par simple hasard, puisque le réalisateur était le colocataire de son patron à l'époque. Cliff Martinez l'expliquait à HeavyOCity en 2014 :

"Je suis arrivé dans la composition de musique de film avec une rencontre dûe à la chance avec Steven Soderbergh, qui a récemment admis qu'il m'avait engagé pour faire la BO de Sexe, mensonges et vidéo parce que j'étais le seul compositeur qu'il connaissait."

 

Cliff Martinez : photoC'est donc Cliff Martinez

 

En 2019, il expliquait lors d'une masterclass au Festival international du film de Rotterdam comment Soderbergh lui avait permis de définir son style :

« Soderbergh m'a dit : "Débarrasse-toi de la mélodie, la ligne de basse, la partie au clavier". Tout ce qui restait c'était ce ronronnement, et il adorait. Il voulait que la musique soit à côté, qu'elle soit discrète. Ces instructions ont développé mon style. Ma musique n'est pas souvent là mais elle a un rôle important. Elle ne force pas trop la main du spectateur. (...) J'utilise la musique en contraste, pour l'ambigüité. Cette philosophie m'a créé quelques problèmes au fil des années avec des cinéastes qui ne partagent pas cet avis. Mais je suis devenu plus maximaliste avec les synthétiseurs. »

 

Sexe, mensonges et vidéos : photo, Andie MacDowellSexe, mensonges et BO

 

LA COLLABORATION AVEC SODERBErgh

Quand il compose la musique de Solaris, Cliff Martinez a déjà signé les BO de Sexe, mensonges et vidéo (Palme d'or à Cannes en 1990, tout de même), Kafka, King of the Hill, À fleur de peau, Schizopolis, Gray's Anatomy, L'Anglais, et Traffic. Il a donc suivi le cinéaste de sa traversée du désert jusqu'à son retour sous les projecteurs hollywoodiens, avec une double nomination à l'Oscar du meilleur réalisateur en 2000 pour Erin Brockovich et Traffic.

En 2018, Cliff Martinez expliquait sa collaboration avec Soderbergh chez Mulderville :

"La plus importante direction donnée par Steven prend la forme d'une piste temporaire. Je reçois un premier montage du film avec des morceaux temporaires dessus. Ça me donne beaucoup d'informations sur où la placer, le style, le langage harmonique. Une fois que je commence à créer la musique, je lui envoie et je reçois généralement peu de retour sauf si je vais dans la mauvaise direction.

 

Photo Steven SoderberghSoderbergh sur le tournage de Solaris

 

Il fait ressortir le meilleur de moi et je me demande toujours comment il fait ça puisqu'on discute rarement l'un avec l'autre, sauf par télépathie ou sms occasionnels apparemment. C'est bizarre, c'est l'un des réalisateurs les moins interventionnistes avec lesquels j'ai travaillés, et pourtant je compose toujours une musique pour lui qui est excellente et pourtant parfaitement Soderberghienne."

Contrairement à d'autres, Martinez affirme ainsi que la temp track (utiliser une musique temporaire au montage) est un bon outil, alors que cette méthode est très souvent décriée. Il expliquait aussi que la BO de Solaris avait été spéciale :

"Solaris a probablement été le plus gros coup de pied au cul que j'ai reçu. J'avais fait quelques musiques orchestrales avant ça mais pas d'une telle ampleur que Solaris. Le passage de la démo à l'enregistrement final avec un orchestre live était époustouflant. L'avant/après apporté par la BO à l'intégralité du film, pour moi, en fait l'une des expériences les plus gratifiantes de toute ma carrière, et c'est toujours l'une des rares BO que je prends toujours plaisir à écouter."

 

Photo George Clooney, Natasha McElhoneCliff qui découvre son talent

 

POURQUOI LA BO DE SOLARIS EST FANTASTIQUE

Cliff Martinez considère que Solaris est un bon combo entre l'organique et le non organique, et c'est exactement le sentiment procuré par sa BO : quelque chose d'alien, vaporeux, enivrant, mi-doux mi-inquiétant. Rien ne ressemble à cette musique, qui plonge dans un nuage de coton cosmique merveilleusement adapté au film de Soderbergh. Solaris est une histoire de flottement (entre le rêve et la réalité, entre la vie et la mort, entre la terre ferme et l'extra-terrestre), et la BO accompagne ce voyage.

 

 

Ça vient en grande partie de sonorités très spéciales et reconnaissables, à commencer par celles du cristal Baschet, l'un des instruments préférés de Cliff Martinez (il en a un chez lui, et c'est de là qu'est partie la BO de Drive). Gamelan, steel drum, orchestre conduit par le célèbre Bruce Fowler, nappes planantes, rythmes électro : le musicien mélange les sons et les univers pour hypnotiser, comme dans un long rêve éveillé.

En évitant quelques lieux communs (des voix humaines, des percussions), Cliff Martinez a réussi l'exploit de quasiment réinventer la musique de SF, à son humble niveau. De quoi donner envie de classer sa BO aux côtés de Blade Runner par Vangelis, Interstellar par Hans Zimmer, Sunshine par John Murphy, Under the Skin de Mica Levy, et Tron : Legacy par Daft Punk.

 

cristal Baschet

Solaris : Photo George ClooneyLe meilleur casque pour réécouter la BO

 

S'IL FALLAIT RETENIR UN SEUL MORCEAU

First Sleep, Don't Blow It et Death Shall Have No Dominion étaient en sélection finale, mais We Don't Have to Think Like That Anymore remporte certainement la palme de la beauté. Cette reprise du morceau d'intro (Is That What Everybody Wants) clôture le film dans un bouquet final de mélancolie, plaqué sur le générique de fin old school qui laisse Kelvin dans sa grande illusion.

Il y a tout dans ce morceau : les nappes envoûtantes, la mélodie enivrante, les sonorités qui semblent venir d'ailleurs, et la douceur et la tristesse. Trois minutes pour planer.

 

 

IL EN RESTE QUOI ?

Cliff Martinez n'a cessé de répéter que Solaris était l'un de ses travaux les plus aboutis, et certainement sa BO préférée. Il aurait aimé que ça lui ouvre des portes vers le cinéma de SF, mais ça n'est jamais arrivé.

En 2019, il déclarait chez Popmatters : "Après Solaris, je pensais qu'on allait m'appeler et qu'on allait m'offrir des films de science-fiction. Mais non, ça n'est pas arrivé. C'était en 2002, donc j'imagine que c'est derrière moi. J'ai vraiment aimé ça parce que le genre m'a permis des expérimentations un peu folles, atypiques. Et c'est toujours l'une de mes BO préférées. J'aimerais écrire quelque chose comme ça chaque jour. Je ne sais pas ce que c'était, mais la combinaison entre le film, les instructions, et j'imagine là où j'en étais à l'époque, mais oui, j'adore cette BO"

 

Photo Natascha McElhoneCes adieux déchirants

 

Néanmoins, la BO de Solaris a eu une vie après la sortie du film. En 2011, elle est ressortie en version remasterisée chez La-La Land Records. En 2013 puis 2017, elle a eu droit à des éditions vinyl chez Invata Records. Et depuis des années, Ecran Large rappelle régulièrement à quel point cette BO est un bijou, qui fait clairement partie de nos petites obsessions.

Tu savais qu'Ecran Large a un podcast ? Ça s'appelle La Réu d'Ecran Large, et on a consacré un épisode à la musique de film avec Hans Zimmer.

 

 

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commentaires
ChaosEngine
24/05/2023 à 17:37

J'avais beaucoup apprécié le film mais j'avoue ne pas me souvenir de la BO...
Bel article qui donne envie de le revoir (avec les oreilles grandes ouvertes !)


19/05/2023 à 18:17

Je me souviens de Solaris comme d'une véritable expérience cinéma. A moitié parce que je suis allé voir le film au hasard, à moitié parce que j'ai été hypnotisé par la musique pendant tout le film


19/05/2023 à 15:04

Yep, une BO très réussie, que je me réécoute régulièrement. Elle colle très bien au film.

J'ai apprécié tous les acteurs, et c'est là que j'ai découvert Viola Davis. Mais je trouve que ce que fait Jeremy Davies avec son rôle est vraiment bien, et je n'ai pas l'impression que ça ait été particulièrement remarqué. Ok c'est spécial, peut-être que ce n'est pas reproductible avec un autre rôle, mais enfin vraiment j'ai beaucoup apprécié sa performance juste dérangeante ce qu'il faut relativement au propos qu'il tient.

Kyle Reese
19/05/2023 à 14:03

L’une des BO les plus hypnotique de l’histoire. Mon début d’histoire d’A avec ce compositeur qui bosse maintenant sur tous les NWR avec réussite. Cette BO est devenue une référence.

Geoffrey Crété - Rédaction
18/05/2023 à 11:54

@real

Merci !
Je trouve les BO de Premier Contact et BR2049 en-dessous de celles que je cite, mais elles étaient effectivement pas loin !

real
18/05/2023 à 11:36

Bel article, qui tranche avec ceux habituels.
Oui, cette BO est planante et unique: probablement un chef d'oeuvre du genre.
Outre les autres références citées, on peut y ajouter les BO ambient de First Contact (Johann Johannson), Blade Runner 2049 (Hans Zimmer / Benjamin Wallfisch),