Hellraiser : le meilleur et le pire de la saga sado-maso

Mathieu Jaborska | 15 octobre 2023
Mathieu Jaborska | 15 octobre 2023

À l'occasion de la sortie du reboot de David Bruckner, on relate la longue descente aux enfers de la saga initiée malgré lui par Clive Barker.

Le sympathique nouveau Hellraiser tente de respecter l'imaginaire de Clive Barker, par ailleurs crédité à la production, et par la même redorer le blason de Pinhead et de ses collègues cénobites. Après le classique indéboulonnable de 1987, 8 suites ont progressivement dépossédé l'écrivain de sa création, trainant sa mythologie dans les bas fonds du Z opportuniste. Il était temps que le maitre s'en rempare et la confie à un cinéaste de talent, à savoir ici David Bruckner, réalisateur des excellents Le Rituel et La Proie d'une ombre.

Dans le sillage de ce reboot très attendu (et qui a mis 1 an à nous arriver en France) avec Jamie Clayton dans le rôle du prêtre, Ecran Large replonge dans la saga cinématographique (on se gardera d'évoquer Les Évangiles Écarlates ou les comics par exemple). Chronique d'une descente aux enfers aussi spectaculaire que révélatrice des pratiques irrespectueuses de l'industrie hollywoodienne parallèle, du grand chef-d'oeuvre sadomasochiste à l'arnaque pure et simple, en passant par le slasher décérébré. Bienvenue dans un monde de douleurs, pas toutes euphoriques.

 

Hellraiser : photo, Jamie ClaytonNo pain, no gain

 

Le Pacte

Au milieu des années 1980, l'écrivain et cinéaste Clive Barker est dépité de l'adaptation de ses travaux. Lui qui a déjà marqué la littérature fantastique avec son premier Livre de sang, il n'a pas vraiment su importer son univers au cinéma, après ses courts-métrages Salome et The Forbidden. Dans The Guardian, il qualifiera Transmutations et Rawhead Rex, tous deux réalisés par George Pavlou et dérivés (pour être gentil) de ses scénarios, "d'abominations cinématographiques". Et il n'aura pas tort. Le second défigure même l'une de ses nouvelles les plus appréciées.

Persuadé qu'il ne pourra jamais faire pire, il demande à Christopher Figg une estimation des moyens alloués à un premier long-métrage. Réaliste, son futur producteur lui fait un devis à un peu moins d'un million de dollars. Avec une telle somme, selon lui, il doit se contenter d'un décor unique, de quelques monstres et d'acteurs inconnus. Une seule de ses oeuvres, inédite, correspond à cette description : The Hellbound Heart, qui se déroule essentiellement dans une seule maison. Il ne lui en faut pas beaucoup plus pour concevoir un authentique chef-d'oeuvre.

 

Hellraiser - Le pacte : photoL'apéricube interdit

 

Conséquence d'une immense frustration et d'un manque de moyens, Le Pacte, en français, était destiné au marché de la vidéo par son distributeur New World Pictures (la société de Roger Corman). Sauf que l'imaginaire de l'auteur, qui puise dans son expérience des clubs SM underground new-yorkais, le démarque vite de ses congénères fauchés. Il y a quelque chose d'inédit à explorer aussi librement les frontières d'une sexualité encore abordée avec grande pudeur au cinéma, y compris dans les films d'horreur.

Ni boogeymen invincibles (enfin pas encore) ni entités démoniaques génériques, les Cenobites sont l'expression d'un paradoxe libidineux et viscéral, et par conséquent des monstres inédits, qui ne trouvent encore aujourd'hui aucun équivalent. Avec à peine 8 minutes de présence à l'écran, le Pinhead du débutant Doug Bradley devient instantanément une icône, dans le sens quasi religieux du terme.

 

Hellraiser - Le pacte : photo"A waste of good suffering"

 

Malgré le budget microscopique, les effets spéciaux gores de la première partie écarquillent de force les yeux des spectateurs, particulièrement lorsqu'ils simulent la résurrection d'un homme couche par couche à partir d'une goutte de sang. Le long-métrage rapporte selon Barker 33 millions de dollars dans le monde, dont plus de 14 sur le sol américain, en dépit de quelques coupes visant à esquiver le classement X.

Mais bien plus qu'un accomplissement financier, technique et narratif, Hellraiser est surtout un film d'auteur au sens noble du terme. La personnalité, les obsessions et la sexualité de Barker suintent de chaque pore de la pellicule. Les visions de cauchemar (délicieux) qu'il renferme complètent parfaitement les descriptions inoubliables du (petit) roman. Si bien qu'il est à la fois trop culte pour ne pas inspirer une franchise et trop singulier pour permettre à d'autres d'échafauder des suites. Heureusement, tant que Barker est dans l'équation, les Cénobites sont saufs.

 

Hellraiser - Le pacte : photoLes nerfs à vif

 

Jusqu'en enfer

Clive Barker voulait déjà appeler son premier long-métrage Hellbound, en référence au titre de la nouvelle, The Hellbound Heart, avant que Christopher Figg, jugeant le terme trop négatif, ne propose Hellraiser. Il se rattrape avec Hellraiser 2 : Les Écorchés, originellement intitulé Hellbound: Hellraiser II. Il ne rempile pourtant pas à la mise en scène, trop occupé avec ses romans et le scénario de Cabal. Il laisse sa place à Tony Randel, mercenaire de New World Pictures et comonteur volontaire du premier volet, qui a difficilement persuadé ses employeurs de sa pertinence. L'écrivain se contente de fournir l'histoire, du poste de producteur exécutif et d'un caméo qui ne sera même pas gardé au montage.

Peter Atkins se charge de pondre un scénario après une nuit passée chez l'auteur à discuter du récit, Christopher Young développe encore un peu plus ses majestueux thèmes, s'amusant au passage des motifs forains, Doug Bradley et Ashley Laurence retrouvent leurs rôles iconiques... Tous les feux sont au vert, d'autant que Barker compte sur ses collègues pour réussir ce que le budget restreint du premier volet interdisait. Exit le huis clos morbide : il est temps de pénétrer dans le fameux et mystérieux enfer des Cénobites, moins une chambre des tortures qu'un purgatoire psychanalytique et labyrinthique.

 

Hellraiser 2 : les écorchés : photoJouer au docteur

 

Subtilement, néanmoins, la franchise cinéma commence à lui échapper. Il le reconnaitra dans Fangoria en 1989 (un entretien retrouvé par le site dédié à son oeuvre) : "Hellbound n'est pas un film que j'aurais fait, mais je ne l'ai pas fait". Autrement dit, il respecte l'approche de son successeur, lui est reconnaissant de ne pas avoir malmené son imaginaire, comme La Revanche de Freddy a malmené celui de Craven, mais admet qu'il aurait fait les choses différemment.

Pourtant, cette suite reste marquée de son sceau. Il est toujours un peu désagréable de voir un univers cryptique s'agrandir et par conséquent perdre de son aura sacrée. Certains n'ont pas encore pardonné à Cameron d'avoir dézingué du xénomorphe par paquets de 6. D'autres voient encore d'un mauvais oeil l'origin story de Pinhead. Hellraiser 2 peut donc décevoir, mais il profite de l'exploration du monde des Cenobites pour gagner plusieurs couches thématiques, parfois carrément philosophiques. On finit par se perdre dans cet univers dominé par le Leviathan, hanté par des horreurs innommables. Il faudrait bien plus d'un article pour s'aventurer dans ses recoins les plus sombres.

Hellbound rapporte moins que son ainé au box-office mondial, pour un budget deux fois moins élevé, mais atteint tout de même les 11 millions de recettes au box-office domestique, malgré des critiques laissées perplexes par l'audace de la proposition. Encore aujourd'hui, il est vu comme une sorte d'expérimentation mystique opaque. Il ne tiendra qu'à la suite de la saga de revenir à des enjeux plus tangibles.

 

Hellraiser 2 : les écorchés : photoOuille, miam

 

ça sent le sapin

Le début de la fin de la saga Hellraiser, remonte, comme beaucoup d'autres choses, à la production chaotique de Nightbreed (Cabal). Pour la faire courte, après le succès du premier Hellraiser, Clive Barker s'est penché sur l'adaptation d'une de ses nouvelles les plus ambitieuses, avec des moyens autrement plus conséquents (11 millions). Mais lorsque les exécutifs ont compris qu'il planchait plus sur une ode monstrueuse à la difformité que sur un pur film d'horreur vendable au grand nombre, ils ont paniqué et lui ont pourri la vie, tandis que le film, complètement mutilé et victime d'une campagne de publicité mensongère, s'est vautré au box-office.

En réalité, Barker et Figg, entretemps réunis sous la bannière Film Futures, ont proposé à Peter Atkins de plancher sur un scénario avant même le tournage de Hellbound. Sauf que pendant et après la production de ce deuxième film, les versions s'accumulent et la catastrophe de Cabal fait voler en éclats Film Futures. Pour ne rien arranger, New World Pictures, qui détient techniquement les droits, est revendu de son côté. Et les nouveaux tenanciers, Trans Atlantic Entertainment, tentent plus ou moins de se débarrasser de l'écrivain.

 

Cabal : photoLa postproduction de Cabal, Allégorie

 

Dégouté de l'industrie hollywoodienne, qui n'a pas fini de la lui mettre à l'envers, le cinéaste empoche les 20 000 dollars qui lui sont dus pour être à l'origine de l'idée et des personnages, mais refuse d'approuver le film en échange d'un chèque. Réalisé à la suite des Enfants du Maïs II, pour des raisons financières, par Anthony HickoxHellraiser 3 - L'enfer sur terre est alors déjà une série B assez divertissante, très amusante dans ses excès, mais qui s'éloigne beaucoup de l'imaginaire de l'écrivain. Ce dernier avoue lui-même le trouver techniquement à la hauteur, mais comme il le dira à Film Review en 1993 : "Évidemment, beaucoup de choses manquaient, ce qui le rendait en partie incompréhensible".

Enfin, premier clou du cercueil Hellraiser : Miramax et son patron Bob Weinstein arrivent à la rescousse pour s'occuper de la distribution. Selon Barker lui-même, cette arrivée est salvatrice : Weinstein lui aurait demandé son opinion sur le film et lui aurait proposé de modifier le résultat final. Il aurait alors rajouté des scènes, histoire d'en faire une production plus divertissante. Cela suffira à lui accoler le crédit de producteur exécutif et à maintenir son implication dans la saga.

 

Hellraiser 3 - L'enfer sur terre : photoTête d'épingle

 

Sorti 4 ans après Hellbound, en 1992, le film parvient tout de même à récolter 12 millions de dollars sur le sol américain. Ça y est : Hellraiser est une pure franchise d'exploitation à étriller jusqu'à la nausée, Doug Bradley l'homme d'un rôle et Pinhead une pin-up. Randel, qui devait un temps s'occuper de la réalisation, est évincé, Ashley Laurence n'apparait que quelques secondes. Miramax est parvenue à réconcilier Barker avec les dérives de sa création. Pourtant, c'est à cause de la même Miramax qu'il en éloignera définitivement.

 

Hellraiser 3 - L'enfer sur terre : photoScream king

 

le divorce

"Je voulais juste faire quelque chose de frais et nouveau — pour l'amour de Dieu, c'est le quatrième ! Donc il était important de trouver quelque chose qui n'avait pas encore été fait" confiera-t-il à Fangoria. Pour redonner de l'importance à cette histoire après la récréation du 3, dont il ne s'est donc occupé que sur la fin, il imagine avec son coscénariste et désormais ami Peter Atkins un récit autrement plus ambitieux. Se déroulant sur 3 périodes distinctes, il revient aux préceptes de son texte en s'attardant sur la famille Lemarchand.

Encore ravis de leur expérience avec Miramax, ils lui soumettent le projet. La firme, désireuse de poursuivre la saga, accepte tout de suite. Le scénario est excellent, de l'avis de tous ceux qui l'ont lu. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu. Weinstein et ses collègues ne comptent pas dépenser plus de 4 millions de dollars dans l'affaire. Plusieurs scènes d'ampleur sont abandonnées et ils cherchent un réalisateur capable de se démerder avec si peu. Barker lui-même travaille sur Le maitre des illusions. Sont donc démarchés un certain jeune cinéaste prometteur du nom de Guillermo del Toro et Stuart Gordon, lequel se retire finalement à cause de désaccords artistiques.

 

Hellraiser 4 : Bloodline : photoÀ tête découverte

 

C'est finalement le créateur de Chucky et du gardien de la Crypte Kevin Yagher qui hérite du poste. Le tournage est infernal : une grosse partie de l'équipe technique est renvoyée après une semaine. Cas de varicelle, incendie et grèves remueront le couteau dans la plaie. Miraculeusement (Doug Bradley répétera qu'il s'agit du pire tournage de sa carrière), le cinéaste parvient à respecter les délais. Mais les exécutifs de Miramax ne sont pas satisfaits pour autant. Le premier montage, long de 110 minutes, ne leur convient pas. En effet, Pinhead, qu'ils tiennent pour responsable du succès de la saga, n'apparait qu'après 40 minutes.

Yagher n'a pas le courage de subir les reshoots. Il part tourner Sleepy Hollow aux côtés de Tim Burton et laisse sa place à Joe Chappelle, déjà en train d'en chier sur la production d’Halloween 6. À la vision du résultat final, Yagher exigera de le signer Alan Smitee, surnom attribué aux cinéastes refusant de reconnaitre la paternité de leur film. On le comprend : fauché et mutilé de partout, Hellraiser : Bloodline n'est jamais à la hauteur de ses idées. C'est même le premier gros navet de la saga, qui va se transformer en potager après lui. Tout juste sauvera-t-on les jumeaux Cenobites. Un commentaire de Barker ? "Ce n'est pas très bien" Merci Clive !

 

Hellraiser 4 : Bloodline : photoLa guerre des chauves

 

Malheureusement pour lui, malgré les critiques désastreuses, la chose a quand même rapporté plus de 9 millions de dollars aux États-Unis. Pas question pour Miramax, rachetée aux côtés de Dimension par... Walt Disney (ce qui fait de Pinhead une princesse, on ne veut rien entendre), de lâcher le Cenobite aux oeufs d'or. Barker n'est pas dupe. À Fangoria, il révélera, amer, en 1998 : "Bloodline est une décision d'entreprise prise par des gens qui veulent faire de l'argent et engager ou renvoyer d'autres gens à volonté pour ça." Dont acte : lorsqu'ils lui envoient le scénario d'Inferno, c'est moins pour lui demander son avis que pour le tenir au courant.

Réalisé par Scott Derrickson, futur metteur en scène de Sinister, Doctor Strange ou encore Black Phone, le film horripile Barker. Pourtant, Derickson clame avoir eu droit à une grande liberté malgré les contraintes évidentes de temps et de budget et assure que le dégout de l'écrivain vient du fait qu'il n'a pas apprécié qu'on "réinvente" son oeuvre. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les amateurs d'horreur sont aussi indulgents avec ce cinquième long-métrage, sorte de sous-Seven au pays des Cenobites, techniquement moins foiré que Bloodline, mais forcément moins risqué.

Inferno est le premier film de la saga à laisser son créateur sur le bas-côté et à échouer directement en vidéo. Le modèle qui présidera à sa longue agonie est né sous la houlette de Dimension. Débarrassée de Clive Barker, cette petite équipe va se lancer dans une trilogie honteuse qui enterrera tout espoir de renaissance.

 

Hellraiser 5 : Inferno : photoProbablement une catégorie Pornhub

 

La trilogie de la honte

Les trois films suivants sont donc réalisés par Rick Bota, après le refus de Derrickson de rempiler, toujours avec l'increvable Doug Bradley. L'avantage non négligeable du premier d'entre eux, Hellraiser : Hellseeker ? La participation de Ashley Laurence, contactée par les soins de Bradley, qui était restée en contact avec elle, dans le rôle de Kirsty Cotton. Seul problème : elle débarque sur le projet à peine quelques jours avant le début du tournage. Un beau bordel donc, dont Bradley se félicite. Pour lui, la passion de Bota pour le personnage en fait l'un des meilleurs défenseurs de la nouvelle originale.

Tim Day, coauteur de cette version aux côtés de Carl V. Dupré, prétend que le réalisateur a projeté une version préliminaire à Barker chez lui, lequel aurait déclaré qu'il s'agissait de la meilleure suite depuis le 2. Une anecdote difficile à vérifier... Toujours est-il que Hellseeker pâtit de ses moyens dérisoires (3 millions), d'un scénario qui ne sait pas quoi faire de ses protagonistes et d'une interprétation aléatoire de la part du casting secondaire. Ni complètement décérébré ni vraiment respectueux des écrits de l'auteur, il sombre facilement dans l'oubli, ce qui le démarque déjà de son horrible suite, Hellraiser: Deader, sortie en 2005.

 

Hellraiser : Hellseeker : photoLa scène la plus WTF de la saga

 

Celle-ci ne s'appuie même pas vraiment sur la mythologie de Barker, puisqu'il s'agit ni plus ni moins que d'un scénario spontané de thriller bas du front lambda, retapé par Tim Day pour y inclure quelques Cenobites. Le responsable de l'histoire originale, tablant maladroitement sur la fascination pour le snuff et les réminiscences de Ring, est Neal Marshall Stevens, surtout connu pour le scénario du remake de 13 Fantômes. Vous savez, celui qui fait saigner des yeux...

L'objectif de Dimension : tourner les deux prochains films à la suite, en Roumanie, et en profiter pour ne payer Bradley que pour une seule performance... Deader dispose donc de 25 jours de tournage. Il ne lui en fallait pas plus pour complètement bafouer l'univers d'Hellraiser. Cela faisait déjà quelques films qu'elle était portée disparue, mais il achève la dimension sadomasochiste des Cenobites, alors que son intrigue avait justement de quoi la retrouver, l'héroïne évoluant motivée par son propre penchant pour l'autodestruction. Et on vous épargne les improbables fantasmes sur l'underground urbain, parfaitement ridicules.

 

Hellraiser: Deader : photoOn s'attache...

 

C'est d'autant plus catastrophique qu'un projet bien plus intéressant était en lice pour faire office de septième volet. Auteur du fameux scénario non exploité de Freddy Vs Jason, Peter Briggs a proposé un traitement de 15 pages, qui s'appuyait bien plus franchement sur les premiers films et les ambitions de Barker. Intitulé Hellraiser : Lament, il comportait des Cenobites emprisonnés par le Leviathan, une dominatrice et une exploration détaillée de la configuration de Lament. Malheureusement, le budget qu'il exigeait a eu raison de lui et a rabattu Dimension sur ce double programme roumain, dont la deuxième partie est sans conteste la plus gratinée.

Dans Hellraiser : Hellworld, la franchise rejoint enfin la confrérie des slashers bourrin. À un twist crétin près. Tout irrespectueux qu'il est, il n'est pas interdit de le préférer à ses deux prédécesseurs. Certes, il ne fait rien du cliffhanger mensonger de Deader, mais il désosse de l'ado "gameur" dans un manoir en fête, multiplie les plans poitrine et enrôle même un jeune premier promis à une riche carrière, ainsi qu'un vieux briscard adorable : Henry Cavill et Lance Henriksen. Au point où on est, il faut s'en contenter.

Le film, lui aussi tiré d'un traitement aléatoire vaguement inspiré, comme d'autres avant lui, de L'Échelle de Jacob, et rattaché à l'arrache à la mythologie Hellraiser, sort 3 mois à peine après son compatriote roumain, en DVD bien sûr. Il faudra attendre 6 ans pour que la saga renaisse, et pas pour les bonnes raisons.

 

Hellraiser : Hellworld : photo, Henry CavillDéjà trop musclé pour être humain

 

Sans aucun Doug

Persuadée que Pinhead et ses acolytes ont encore le pouvoir de rameuter les foules en salles, en dépit de la sale réputation qu'elle leur a taillée, la firme Dimension planche sur un reboot, si possible, cette fois, avec Barker de retour aux commandes. Dès 2006, quelques mois après la sortie de Hellworld, l'auteur s'exprime sur son site : "Ils vont faire un remake d'Hellraiser avec beaucoup plus d'argent et ils m'ont invité à l'écrire – l'invitation vient de Bob Weinstein –, ce que je vais faire, pour la simple raison que si je ne le fais pas, ça sera fait d'une manière ou d'une autre et je ne les aimerais probablement pas !"

En réalité, il écrit un traitement que le duo français formé par Alexandre Bustillo et Julien Maury se charge de transformer en scénario, après une rencontre. Mais leur histoire ne plait pas à Dimension, qui les maintient à la réalisation, mais les remplace à l'écriture par Patrick Melton et Marcus Dunstan. Finalement, les réalisateurs d'A l'intérieur quittent la course pour s'occuper d'Halloween II (une autre de leurs nombreuses occasions manquées à Hollywood). Pascal Laugier arrive pour les remplacer, pour le grand plaisir de Barker, très impressionné par Martyrs, mais pas pour longtemps : son départ pour divergences artistiques est vite annoncé.

 

Hellraiser - Revelations : photoMélenchon quand il croise un journaliste

 

Au fil des années, d'autres scénaristes et réalisateurs sont annoncés... avant de jeter l'éponge ou se faire virer. La plupart désirent prolonger la vision de leur idole, alors que Bob Weinstein et ses sbires lorgnent sur le slasher pour ados. Sauf que pendant ces tâtonnements, le temps passe. Or, pour garder les droits de la franchise, la Weinstein Company doit sortir régulièrement des films. C'est pour cette raison qu'ils demandent au réalisateur Victor Garcia s'il peut s'occuper d'un nouvel opus, avec 10 jours de préparation et douze petits jours de tournage. Des délais improbables imposés uniquement pour garder les droits quelques années encore.

C'est trop pour Doug Bradley, interprète historique de Pinhead. Sur son site internet, il se fend d'un texte expliquant pourquoi il ne revêtira pas les cure-dents faciaux qui ont fait son succès. Il est remplacé en urgence par Stephan Smith Collins. Sa décision est symbolique : Hellraiser - Revelations, tourné pour 300 000 microscopiques dollars selon Bloody Disgusting, n'a en effet rien d'un Hellraiser.

 

Hellraiser - Revelations : photoUne autre interprétation... pas forcément convaincante

 

Empruntant aux pires des dérives de son époque (le found footage dégueulasse, le torture-porn dégueulasse), truffé de dialogues indécents, d'interprétations foireuses et visuellement digne d'un épisode de soap, il est d'un cynisme presque criminel et donc d'une médiocrité absolument fascinante. Certains lui reconnaitront, à la limite, des effets gores très corrects, compte tenu des conditions de production. Il va sans dire que Garcia n'est jamais parvenu, malgré ses efforts, à contacter Clive Barker.

Ce dernier ne sera d'ailleurs pas très content de voir son nom accolé à la chose sur une publicité. Sur Twitter, il laissera échapper toute la haine qu'il voue aux combines des Weinstein : "Je n'ai RIEN à voir avec ce putain de truc. S'ils proclament que ça vient de l'esprit de Clive Barker, c'est un mensonge. Ça ne vient même pas de mon trou du cul." Voilà qui est dit. Ça ne l'empêchera pas de tenter de remonter à bord du bateau de croisière en plein naufrage, puisque 2 ans après, il révèle sur Facebook qu'après une réunion avec Bob Weinstein, il a le feu vert pour l'écriture d'un remake plus sombre et plus fidèle. Mais après ça, c'est le silence radio de la part de la firme, du moins jusqu'en 2018.

 

 

Toujours pas de remake en vue, mais une énième suite, cette fois-ci à l'initiative d'un habitué de la saga, Gary J. Tunnicliffe, maquilleur d'effets spéciaux talentueux au CV ahurissant, qui travaille sur la licence depuis Hell on Earth. Il devait écrire et réaliser Revelations, mais a dû se contenter du scénario, à sa grande déception. À la vision du produit final, qui trahit a priori ses idées, il écrit Judgement. Mais face à l'absence de motivation de Dimension, il le transforme en projet indépendant et tente de le faire financer. Un autre échec, qui le convainc de revenir à la saga avec un scénario plus conventionnel. Lorsque ledit scénario est validé par la production, il parvient alors à la convaincre de revenir à Judgment.

Il est assez évident que l'opération vise une fois de plus à garder les droits en vue d'un potentiel remake, mais le cinéaste en profite pour essayer de tirer son épingle du jeu. D'ailleurs, en parlant d'épingle, si Doug Bradley ne participe pas à l'entreprise, ce n'est pas à cause du scénario, c'est parce qu'il n'a pas eu l'occasion de le lire. Avant même l'envoi du document, une close lui imposait de ne pas en discuter dans des lieux publics. Une condition disproportionnée selon l'acteur, qui refusa donc de signer. Quant à Barker, il n'est évidemment pas consulté.

 

Hellraiser : Judgment : Photo HellraiserNon, ce n'est pas un méchant de MGS

 

Certains irréductibles considèrent Hellraiser : Judgment comme l'une des suites les plus potables après le troisième opus. Il faut avouer que la passion du metteur en scène l'empêche de céder au slasher en pilote automatique. Le film essaie même d'apporter sa contribution aux évolutions de la mythologie avec le personnage du Cenobite lacéré, de loin le plus bavard de son équipe.

Néanmoins, ni l'intrigue de polar générique, ni les décors miteux, ni les mannequins au visage écorché ne parviennent à retrouver la dimension sexuelle ou la portée mystique du récit original, avec ce Pinhead devenu Michael Scott des enfers, à deux doigts de sortir un mug "World's Best Cenobite". Et tout ça malgré la présence de la scream queen de légende Heather Langenkamp. Toute la bonne volonté du monde ne saura transcender l'avarice des Weinstein, qui n'allouent au projet qu'un budget insultant : à peine 350 000 dollars. Les Cénobites méritent mieux.

 

Hellraiser : Judgment : Photo HellraiserÇa va pas suffire, là, monsieur

 

Preuve en est de la nouvelle version diffusée sur Hulu aux États-Unis, disponible en DVD, puis en VOD en France. Contrairement à ses prédécesseurs de sinistre mémoire, elle possède les moyens de ses ambitions. La raison ? La Weinstein Company, donc Miramax et Dimension, laisse sa place à Spyglass et à... Clive Barker, qui à la suite d'un procès très suivi, est parvenu à reprendre enfin le contrôle sur sa création. Selon Bruckner, il aurait été consulté régulièrement à différentes étapes de la production.

De même qu'il serait directement en train de travailler sur une série HBO. Qu'importe la qualité du long-métrage et de cette potentielle série (dont on a peu de nouvelles), ils n'auront pas grand mal à laver l'affront fait à son oeuvre.

Tout savoir sur Hellraiser

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commentaires
Lucas
14/10/2022 à 05:53

Écœurant hellraiser 2022

Trashyboy2
10/10/2022 à 15:20

Merci pour cet article fort intéressant, moi qui ai hâte de découvrir le nouvel opus.

Nickdabaro
10/10/2022 à 14:57

Très bon article.

Si certains sont intéressés pour plus de détails sur la prod des différents films, je vous conseille la série de vidéo de Ratelrock sur Youtube. C'est riche, complet, bien écrit et bien foutu.

Pie o Pah
10/10/2022 à 07:49

Ce nouvel Hellraiser fait grandement plaisir. Certains vont certes détester, mais perso, j'ai apprécié avoir quelque chose de chiadé, cohérent et différent des trois premiers, faisant oublier les purges que sont les suites. Reste à adapter les évangiles écarlates maintenant

Ghob_
09/10/2022 à 19:10

Les deux premiers sont des références, (le second un peu moins quand même, même si on sent toujours l'influence de Barker), par contre à partir de 3e ça commence à se gâter ! Techniquement plutôt réussi, il n'en trahit pas moins l'esprit originel de la saga à plusieurs reprises et les nouveaux Cénobites sont juste... hum, d'un "formidable ridicule", pour rester politiquement correct :)

Je comprends pourquoi Barker s'est peu à peu éloigné de cette franchise, tant cela n'avait plus rien à voir avec ses idées et son matériau de base. D'autant plus dommage que c'est l'une des rares productions horrifiques de l'époque (là, je retourne au 1e opus) qui osait sortir des rails et des suites de slasher photocopiées qui sortaient à la chaîne à l'époque.
En ce qui me concerne, je ne suis pas allé plus loin que le 3e et cet article me conforte dans mon opinion qu'il n'y a plus grand-chose à en tirer après. Après, pour cette histoire de reboot, je suis intrigué... les quelques visuels dispo ne sont pas dégueu' et Barker semble être davantage impliqué, ce qui est plutôt bon signe. Wait and see, donc !

Pineoyster
08/10/2022 à 20:28

" Je recommande l'amputation " ^^