Moulin Rouge, Gatsby, Elvis... Baz Luhrmann, le plus beau cauchemar des épileptiques

La Rédaction | 25 juin 2022 - MAJ : 25/06/2022 18:51
La Rédaction | 25 juin 2022 - MAJ : 25/06/2022 18:51

Roméo + Juliette, Moulin Rouge !, Australia, Gatsby le magnifique et maintenant Elvis... Baz Luhrmann est un cinéaste dont la filmographie doit être (re)découverte. 

L’Australien Baz Luhrmann n’est pas du genre à mettre tout le monde d’accord et c’est justement ce qui en fait un cinéaste passionnant, son oeuvre regorgeant d’excès, de spectacle, de paillettes, d'amour passionné et surtout d’inattendu. Ses films mélangent les genres, les styles et les époques, du contemporain au baroque en passant par le burlesque et le drame romantique pour un résultat souvent flamboyant et qui a le mérite de ne jamais laisser de marbre.

C'est un artiste touche-à-tout qui a jonglé entre le cinéma, la télévision, l'opéra, le théâtre et la musique, mais aussi un habitué du Festival de Cannes avec quatre longs-métrages sur six présentés lors de l'événement, dont un en compétition. Véritable découverte des années 90, il a notamment tourné avec Nicole KidmanEwan McGregor et Hugh Jackman, mais surtout porté Leonardo DiCaprio à l’aube de sa carrière, pour le retrouver ensuite au sommet avec Gatsby le magnifique, souvent considéré comme le joyau de sa couronne. Après presque 10 ans d’absence, Baz Luhrmann a fait son retour au cinéma avec Elvis, son biopic sur le King qui est l’occasion rêvée pour décortiquer ses films.

 

Baz Luhrmann : Photo GatsbyTous en scène

 

Ballroom Dancing

Sortie : 1992 - Durée : 1h34

 

Ballroom Dancing : photoÀ la sueur du front

 

L'histoire de Scott Hastings, jeune champion de danse qui se rebelle contre la toute-puissante Fédération en introduisant ses propres figures contre celles imposées par les concours.

Durant ses études à la National Institute of Dramatic Arts de Sydney (école prestigieuse qui a notamment accueilli Cate Blanchett, Mel Gibson ou encore Hugo Weaving), Baz Luhrmann crée avec d'autres élèves la pièce de théâtre Strictly Ballroom, qui rencontre un certain succès dès 1984. Deux ans plus tard, le futur cinéaste fait une tournée avec sa création en Tchécoslovaquie, et remporte quantité de prix. De retour en Australie, le producteur exécutif Ted Albert tombe amoureux de la pièce, et propose à Luhrmann de l'adapter sur grand écran. L'artiste accepte, mais à condition de lui-même assurer la réalisation.

Mine de rien, le style très ampoulé et fantasque du réalisateur peut s'expliquer par ce début de carrière rêvé. D'après Luhrmann lui-même, toute la problématique de Ballroom Dancing (titre français décevant, soyons honnête) a résidé dans le fait de transformer en récit "naturaliste" (avec de gros guillemets) une pièce de théâtre exubérante. S'il s'agit de loin du projet le plus sobre et réaliste du cinéaste (dans le sens ancré dans une certaine réalité sociale), Ballroom Dancing crée malgré tout par sa mise en scène un univers qui n'appartient qu'à lui, à mi-chemin entre le cinéma bollywoodien, la comédie musicale américaine des années 30 et 40 et la farce ironique.

 

Ballroom Dancing : photoBefore the Tektonik

 

Un peu à la manière d'un Dirty Dancing déviant, Ballroom Dancing permet à Luhrmann de déployer un récit d'émancipation en appuyant déjà un bling-bling fascinant dans son jeu de textures. Les méchants de la fédération de danse à l'esprit étroit sont des hommes obèses à deux doigts d'exploser. La moindre paillette ou le moindre sequin provoque des cascades de lens flares et les personnages se baladent en sueur dans un monde de publicité, symbolisé par ce logo Coca-Cola sur le toit d'un immeuble.

Sous ces airs de comédie romantique assez clichée, Ballroom Dancing cache en réalité une narration plus maline qu'il n'y paraît, prenant à bras le corps la danse comme transcription d'un désir qui ne demande qu'à se libérer. Baz Luhrmann s'adapte au point de vue de ses personnages, hypnotisés par le corps de l'autre. A priori, ses effets de style peuvent sortir le spectateur de l'immersion de sa diégèse, mais le coup d'essai du cinéaste s'intéresse déjà à une fabrication du septième art visible et revendiquée, à ses tours de passe-passe qui ne font que refléter les fantasmes de ses protagonistes, qui veulent échapper à une oppression de la culture. Tout est déjà là : il faut accepter de recevoir des étoiles dans les yeux.

Roméo + Juliette

Sortie : 1996 - Durée : 2h
 

Roméo + Juliette : photoQuand Roméo rencontre Juliette

 

Dans le quartier de Verona Beach à Los Angeles, les familles Montaigus et Capulet se vouent une haine profonde, jusqu'au jour où Roméo, le fils des Montaigus, et Juliette, la fille des Capulet, tombent follement amoureux après s'être rencontrés à une fête costumée. Tout le monde connaît la suite.  

Après Ballroom Dancing, Baz Luhrmann a poussé l'excentricité de son cinéma plus loin avec Roméo + Juliette, un deuxième long-métrage kamikaze qui dynamite la pièce de William Shakespeare tout en conservant ses dialogues d'origine au mot près. Pour moderniser le cadre, le cinéaste a déplacé l'action dans un quartier défavorisé imaginaire et brisé consciencieusement nos repères en versant un peu plus dans l'outrance et la surenchère, nourrissant ainsi son sens maîtrisé du grotesque et de la démesure.

Le cinéaste privilégie une esthétique kitsch et débridée : les costumes pour commencer, mais aussi l'imagerie catholique dégoulinante ou la photographie ensoleillée et surannée. En plus du montage hyperactif et de la musique pop-rock qui laisse parfois place à la grandiloquence de l'opéra, la mise en scène tapageuse multiplie les zooms avant, les gros plans, les accélérations, les bruitages cartoonesques et les rapides mouvements de caméra. Le long-métrage reprend ainsi la grammaire télévisuelle dite "de la génération MTV" pour s'éloigner de l'aspect scénique et sacral de l'oeuvre originale

 

Roméo + Juliette : photoLive fast, die young

 

Le réalisateur entretient également un goût évident pour la parodie, et ce dès son ouverture montée comme une bande-annonce hyperbolique. Il reprend les figures imposées de genres bien spécifiques qu'il brasse dans un joyeux bordel : le western spaghetti, le film de guerre, le cinéma d'action hongkongais ou bien le drame romantique -, tout en prêtant une charge prophétique assez risible aux images, dont il s'amuse des clichés et de leur portée significative. Lors de la fête costumée des Capulet, Roméo est ainsi déguisé en chevalier, Juliette en ange, son père son empereur romain, sa mère en Cléopâtre et son cousin en diable.

Cette accumulation d'effets chaotiques et déstabilisants, notamment le décalage entre les dialogues d'époque, la violence du scénario et son contexte contemporain (on parle de gangs armés qui se traitent de "racailles"), donne au film des airs de comédie burlesque. La confrontation à la station-service est d'ailleurs le meilleur exemple de cette proposition punk volontaire excessive qui peut rebuter. En adaptant du Shakespeare, Baz Luhrmann dévoile cependant un autre motif théâtral - soit le fil conducteur de sa trilogie du rideau rouge - en installant plusieurs scènes pivot devant une scène de théâtre éventrée donnant sur l'océan, mais aussi en conservant le pathos de l'oeuvre qui rebascule vers une tragédie plus digeste dans son dernier acte.

 

Roméo + Juliette : photo, Claire DanesLe duo porte toute la sensibilité du film et maintient son équilibre de ton

 

Si le film réussit à déborder et à s'épancher sans tourner à la mauvaise farce, c'est surtout grâce au jeu subtil d'amoureux transi de Leonardo DiCaprio, qui exhibait sa belle gueule d'ange un an avant sa révélation internationale dans Titanic. La jeune Claire Danes - déjà connue pour la série Angela, 15 ans - est quant à elle le choix idéal pour incarner la douceur, l'euphorie et la fausse innocence de Juliette. Les scènes qu'ils partagent forment des parenthèses bienvenues dans le récit, qui sait aussi mettre la poésie et la sincérité au premier plan

Le reste du casting compte quant à lui une belle brochette d'acteurs secondaires comme John Leguizamo (58 minutes pour vivreSuper Mario Bros.), Harold Perrineau (The King of News York), Pete Postlethwaite (Alien 3Usual Suspects), Vondie Curtis-Hall (58 minutes pour vivre, Danger Immédiat) et Diane Venora (HeatIronweed). Mais aussi immodéré et atypique qu'il soit, Roméo + Juliette n'était encore qu'un premier coup de projecteur avant un projet encore plus grand, plus fou, plus spectaculaire et haut en couleur. 

Moulin Rouge

Sortie : 2001 - Durée : 2h06
 

Moulin Rouge ! : photo, Nicole KidmanNicole KidMAN

 

Paris, 1899. Christina, poète sans le sou, tombe fou amoureux de Satine, courtisane superstar du Moulin Rouge. Mais vu que Satine est promise au riche duc de Monroth, et condamnée par la maladie, donc ça va très mal finir.

Moulin Rouge ! est probablement le grand film ultime de Baz Luhrmann, qui illustre toute sa démesure, sa candeur, sa violence et son approche punk du cinéma. Qui d'autre que lui pouvait rêver d'un mix entre Shakespeare, Emile Zola, La Bohème (qu'il avait mis en scène en 1993 à l'opéra de Sydney), Bollywood, la musique du XIXe siècle (Madonna, Nirvana, David Bowie, Queen, Fatboy Slim, The Police, Elton John), et le Paris de 1900 ? Qui d'autre que lui pouvait faire tenir un tel pari, avec un budget de 50 millions, et finalement un immense succès au box-office et jusqu'aux Oscars (deux Oscars, et une pluie de nominations, dont meilleur film et meilleure actrice) ?

Créé comme un pot-pourri pop fabuleux (une précédente version du scénario se déroulait au Studio 54, mythique QG du New York des années 70), ce shot de cinéma provoque quelques overdoses, et ce n'est pas accidentel : c'est quasiment la note d'intention de ce bordel de paillettes, de larmes, de cris, de plumes et de rage. À peu près chaque scène est une démonstration de force où Baz Luhrmann va trop loin, et pousse les curseurs au maximum, quitte à éreinter et saturer les yeux et les oreilles pour créer une expérience de tous les extrêmes.

 

Moulin Rouge ! : photo, Ewan McGregorCome What May et tu chiales

 

Le film se réinvente toutes les 10 minutes, passant par toutes les couleurs du cinéma, souvent de la comédie la plus bête à la tragédie la plus noire. Dans une scène, Nicole Kidman se trémousse sur le sol comme dans une parodie de John Waters, avant de basculer vers une douceur extrême quand Ewan McGregor décolle sur du Elton John. Dans la foulée, le grotesque théâtre de boulevard de Spectacular Spectacular, avec des effets sonores de cartoon, laisse place au sentimental absolu lorsque Satine chante sa douleur ("One day I'll fly away...") avant de décoller sur l'inoubliable Elephant Love Medley  avec Christian.

À l'harmonie, Baz Luhrmann préfère une forme de chaos coloré, comme un buffet à volonté où tout le monde pourra vomir, ou se remplir la panse comme jamais. Moulin Rouge !, c'est une comédie musicale, c'est un théâtre de boulevard, c'est une tragédie, c'est une romance, c'est un show, c'est un cirque. C'est un monde entier qui brille, vit et vibre à l'écran, à coups de ralentis, accélérations, travellings, très gros plans, effets de montage et autres instruments que Baz Luhrmann agite dans tous les sens.

Le réalisateur n'a probablement jamais été inspiré que dans cette bulle hors du temps, où il emballe quelques-unes des plus belles scènes de sa filmographie. Il n'y a qu'à revoir son tango de Roxane pour mesurer l'ampleur de sa mise en scène, sa maîtrise formidable du montage pour créer violence et émotions, et l'énergie étourdissante de son cinéma.

 

Moulin Rouge ! : photo, Nicole Kidman, Richard RoxburghAppelez la Police

 

Moulin Rouge ! changera tout ou presque pour ses étoiles. Les portes s'ouvriront en grand pour Baz Luhrmann, qui ne s'est finalement jamais vraiment remis d'un tel miracle. Sortie d'Eyes Wide Shut, Nicole Kidman était alors possédée par un beau démon, puisqu'elle allait enchaîner sur Les Autres, The Hours et Dogville, dans un élan de cinéma magique. Et bien sûr, Hollywood s'est engouffré dans la brèche musicale, avec une ration quasi annuelle par la suite (Chicago, Le Fantôme de l'Opéra, Les Producteurs, Rent, Dreamgirls, Across the Universe, Hairspray, Sweeney Todd, Mamma Mia !,...).

Rien n'arrivera à la cheville de Moulin Rouge ! en termes de dimension, d'audace et de risque. Baz Luhrmann n'a certainement rien inventé, mais comme un Tarantino, il a bouffé, digéré et remixé quantité d'influences pour créer une petite folie éternelle, et unique en son genre. Et c'est tellement beau que même le simple générique de fin, sur un Bolero réarrangé, est un bijou.

Australia

Sortie : 2008 - Durée : 2h35

 

Australia : photo, Nicole Kidman, Hugh JackmanAutant en emporte le ranch

 

Australie, 1939. Alors que la Seconde Guerre mondiale approche, l'aristocrate Lady Sarah Ashley débarque en Australie avec ses grands airs et ses belles robes. Découvrant que son mari a été tué, elle se met en tête de reprendre en main son ranch, perdu au milieu de nulle part, avec des employés aborigènes et du bétail convoité par la concurrence. Le seul moyen de s'en sortir : traverser l'outback pour amener le bétail à la ville, dans un périple que personne n'aurait osé entreprendre.

Australia est resté dans les mémoires comme le grand crash de Baz Luhrmann, et c'est largement vrai. Ce Autant en emporte le vent australien a été un échec en salles (budget de 130 millions, environ 211 millions au box-office), avec également une critique très mitigée et zéro gloire aux Oscars (hormis une nomination pour les costumes). Mais passer après le succès phénoménal de Moulin Rouge ! était kamikaze pour le réalisateur et Nicole Kidman, surtout avec une fresque old school aussi chère (130 millions, contre 50 pour la comédie musicale).

 

Australia : photo, Nicole KidmanKid et Kidman

 

C'est d'autant plus triste que le film est né dans la douleur. Luhrmann planchait sur sa version d'Alexandre le Grand, avec Leonardo DiCaprio et Nicole Kidman, qui a finalement été abandonnée face au film d'Oliver Stone. Il a donc changé son fusil d'épaule pour assouvir son véritable désir : une grande fresque dans son Australie natale, dont il a étudié l'histoire avant de se décider à raconter la relation à l'Angleterre et le destin des aborigènes, et plus particulièrement des Générations volées (les enfants des aborigènes, souvent métis, enlevés de force par le gouvernement australien pour être placés dans des orphelinats ou des familles blanches, de 1869 à 1969).

La production a en plus été une épreuve du début à la fin, que ce soit avec le casting (Luhrmann a longtemps attendu Russell Crowe, avant de choisir Hugh Jackman, et Nicole Kidman a appris qu'elle était enceinte avant de commencer l'aventure très sportive), le tournage lui-même (premières pluies dans le désert australien depuis un siècle, chevaux mis en quarantaine pour grippe équine), ou des rumeurs de gros problèmes (dépassement de budget et désaccord avec les producteurs sur le montage, notamment la fin du film).

Mais peu importe. Ce désordre est presque parfait puisque le film est une anomalie un peu magique.

 

Australia : photo, Nicole KidmanOn achève bien les chevaux

 

Conçu aux antipodes de la trilogie du rideau rouge, Australia est probablement le plus sobre des films de Baz Luhrmann - et c'est dire à quel point le cinéaste est un fervent ennemi des épileptiques. Rêvant d'une grande fresque à la Autant en emporte le vent et Lawrence d'Arabie, il voulait une histoire simple et épique, qui rassemble la comédie et le drame, l'aventure et la romance, pour réunir tous les publics. C'est donc l'abécédaire des clichés du genre, de la romance entre l'aristo et le cow-boy au happy end absurde, en passant par les miracles en cours de route et le grand vilain parfaitement vilain.

C'est à la fois la force et la grande limite du film : cette foi inébranlable et suicidaire dans son ambition, son histoire, ses personnages, pour former un grand tableau. Baz Luhrmann a peut-être un peu calmé sa mise en scène et son montage, mais Australia demeure une grande démonstration de son appétit de cinéma. Il rêve grand, très grand, peut-être trop grand, mais toujours avec une candeur fantastique, et unique en son genre.

Dès l'intro, d'une beauté à couper le souffle en quelques plans (Nullah sous l'eau, qui assiste à la mort de Maitland), un vent romanesque souffle sur le film. Le pic de la tempête arrivera une heure après, avec une grande scène aux airs de Roi Lion redux, où le petit héros arrête un troupeau au bord d'une falaise. Le choix est là : rire devant cette démonstration de force extrême, ou s'émouvoir devant une pure énergie de cinéma que le réalisateur utilise comme un feu d'artifice. Car Baz Luhrmann maîtrise indéniablement sa caméra, et parvient toujours à mettre en scène et en harmonie personnages, mouvements et décor pour créer un monde qui regorge de vie et détails.

 

Australia : photoMagic in the sunlight

 

Australia ne se remettra pas de cette première heure fabuleuse, qui laisse rêver d'un film entièrement dédié à ce périple sauvage. Une fois la ville retrouvée, le film retombe dans les chemins tristounets du grand drame sentimentalo-guerre, avec une suite de scènes convenues qui mettent en lumière l'écriture très pauvre des personnages - et Nicole Kidman, qui a rarement été aussi mal dirigée. Sans l'énergie des grandes étendues de l'Australie, sans le mouvement désespéré pour rejoindre l'océan, l'histoire commence à trembler.

Depuis, Baz Luhrmann a annoncé un remontage entier du film, pour le transformer en une mini-série de 6 épisodes, intitulée Faraway Downs (le nom du ranch de l'héroïne). "Pour plusieurs raisons qui ne méritent pas que j'en reparle, je n'ai jamais pu finir ce film comme je l'avais envisagé. (...) J’ai enfin réussi à achever ce que j’avais commencé, de la façon dont je le souhaitais. Le public a estimé que le film était trop long, mais la véritable raison derrière cette longueur ressentie, c’est que plusieurs points clefs de l'histoire n'étaient pas là." Le point final d'une aventure un peu maudite et empêchée ? Réponse bientôt sur Hulu, aux États-Unis, courant 2022.

Gatsby le magnifique

Sortie : 2013 - Durée : 2h22

 

Gatsby le magnifique : photo, Leonardo DiCaprioWell done Baz

 

Printemps 1922, en plein dans les années folles, l’aspirant écrivain Nick Carraway s'installe à New York où il vogue entre les fêtes mondaines délirantes des milliardaires, les innombrables mensonges de la haute bourgeoisie et les désillusions du rêve américain. Au milieu de tout ça, il se retrouve mêlé à l’amour impossible de son mystérieux voisin, Jay Gatsby, et de sa cousine, Daisy Buchanan, et devient le témoin privilégié d’une tragédie dont il va tenter de rétablir la vérité.

Après l’échec de Australia, comment Baz Lurhmann pouvait revenir sur le devant de la scène et retrouver le style si particulier ayant fait sa renommée ? Honnêtement, il y avait sans doute de nombreuses manières, mais son Gatsby le magnifique était sûrement un objet en or pour le réussir. Car les années folles correspondent évidemment à la décadence de l’Australien entre leurs costumes luxueux, leurs manoirs somptueux, leurs voitures classieuses et évidemment leurs débauches de richesse, d’alcool, de trucs qui brillent… Il n’y avait absolument personne de mieux placer pour capturer l’opulence de cette période, et assurément, le pari visuel est à la hauteur.

 

Gatsby le magnifique : photoLes années 20 comme si on y était

 

Il faut dire qu’encore une fois, l’Australien a convaincu le studio (ici Warner, après des années de collaboration avec 20th Century Fox) de lui confier un budget mirobolant : 125 millions de dollars. Alors évidemment, avec une telle somme à sa disposition, le monsieur a pu s’amuser à hauteur de ses ambitions pop : folie démesurée lors des fêtes se déroulant chez Gatsby, jeux de caméra tourbillonnants pour exploser le rythme, jeux de perspectives lors des balades en voitures et même présence d’une 3D, assez inutile certes, mais plutôt impressionnante (même si tout le monde l’a oubliée depuis sa sortie en salles).

D’ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le film n’a pas été tourné à New York (lieu du récit), mais bien en Australie, dans les mêmes studios que Moulin Rouge ! et Australia. Sans aucune contrainte vu le budget, Luhrmann a donc pu reconstituer un New York des années 20 numérique assez fabuleux, jouant avec la démesure des gratte-ciels pour écraser un peu plus ses personnages, les isoler, ou à l’inverse, les faire ressortir au milieu de l’exubérance new-yorkaise.

 

Gatsby le magnifique : photo, Tobey Maguire, Carey MulliganPaillettes, costumes, 

 

Et quand un casting de rêve — Carey Mulligan, Tobey Maguire et surtout Leonardo DiCaprio en Gatsby — mène la danse, le long-métrage parvient indiscutablement à faire rêver à plusieurs reprises. D’autant plus grâce à une utilisation de la musique toujours aussi anachronique avec du rap, du R'n'B, des musiques de Jay-Z, Beyoncé, André 3000 et surtout Lana Del Rey et son superbe Young and Beautiful, captant pleinement le vrai sujet du Gatsby version Luhrmann.

Car oui, comme tous les films de Baz Luhrmann, Gatsby le magnifique ne s’intéresse pas vraiment à l’entièreté du roman culte qu’il adapte (notamment toute sa portée socio-économico-historique), mais quasi-exclusivement à l’histoire d’amour impossible entre Daisy Buchanan et Jay Gatsby. Et forcément, c’est ici que le film gagne ses galons et perd aussi son potentiel.

 

Gatsby le magnifique : Photo Carey Mulligan, Leonardo DiCaprioLeur amour, le point central du film

 

Sur l’aspect purement romantique, le long-métrage embrasse si bien la passion amoureuse entre les personnages qu’il en naît une vraie belle tragédie. Indiscutablement, on croit à cette histoire d’amour impossible à travers les tourments des deux amoureux, le regard extérieur de Nick et ce coup de téléphone final venant étouffer l’espoir des spectateurs, éteindre celui de Daisy et rallumer dans un dernier souffle celui de Gatsby, mourant amoureux et imaginant que Daisy était au bout du fil qu’il n’atteindra jamais.

En revanche, Gatsby le magnifique est très décevant sur le reste du récit, demeurant très superficiel sur tous les sujets abordés (l’argent, la lutte des classes, la désillusion du rêve américain) malgré des idées visuelles évocatrices qu’il aurait été intéressant d’explorer en profondeur (cette démarcation lunaire entre le monde des riches et le monde industriel des pauvres). Bref, tout ce que racontait, in fine, le bouquin de Francis Scott Fitzgerald, est mis de côté pour un résultat en demi-teinte, aussi haut en couleur que tristement bas du front. 

The Get Down

Sortie : 2016- Durée : 11 épisodes entre 50 et 75min

 

The Get Down : Shameik Moore

 

En 1977, la jeunesse du South Bronx fait ce qu'elle peut pour garder la tête hors de l'eau. Pour une bande d'adolescents en rupture de banc, la naissance du disco va être une opportunité émancipatrice enivrante.

On disait Baz Luhrmann fini après la réception glaciale de son Gatsby et la catastrophe Australia. Personne ne croyait Netflix capable de proposer un divertissement thématiquement ambitieux, formellement audacieux, à la hauteur des créations les plus accomplies de networks traditionnels. Autant d’affirmations qui se sont révélées fausses à la découverte de The Get Down, joyau furibard, certes inégal, mais parmi les œuvres les plus intéressantes découvertes son année de sortie. 

Tout d’abord, quand de nombreux esprits chagrins caricaturaient le style du réalisateur comme une perpétuelle éruption d’effets tape-à-l’œil, volontiers gratuits, voire contre-productifs, la série lui (re)donne un matériau idéal pour prouver que sa profusion d’énergie cinétique est tout sauf gratuite. Comme dans Romeo + Juliette ou Moulin Rouge, c’est de l’intensité de ses protagonistes qu’il tire toute la sève de son dispositif. Leurs enjeux sont complexes, leurs élans profonds et leurs conflits aussi intimes qu’essentiels. 

 

The Get Down : photo, Justice SmithLe royaume perdu des dinosaures du disco

 

Dès lors, la caméra, durant les morceaux (de bravoure) musicaux, mais dans toutes les scènes du quotidien également, peut s’emparer des émotions bouillonnantes charriées par la narration, et les dépeindre via des effets de montage et de découpage extrêmement spectaculaires et complexes. Certaines séquences chantées ou dansées contiennent les plus belles expérimentations de ces dernières années en la matière, et pour cause, elles permettent également de remettre sur le devant de la scène la dimension politique de l’artiste. 

Plasticien flamboyant, feu d’artifice filmique à lui seul, Baz Luhrmann a toujours veillé à placer ses personnages au cœur de dispositifs plus fins qu’ils n’y paraissent de prime abord. En effet, tous entretiennent un rapport bien singulier, et souvent hostile, au milieu dans lequel ils évoluent, quand ce dernier ne les épargne jamais. Une question qui ici s’incarne via des problématiques sociétales évidentes, mais pas seulement via les actions de ses protagonistes, puisque c’est bien le traitement musical qui devient un enjeu narratif, symbolique et politique. 

 

The Get Down : photoSe tenir à carreau

 

Hybridant les styles et les époques tant pour commenter leurs évolutions à venir que caractériser ses artistes en herbe, la révolte chez Luhrman est également sonore, et va dans The Get Down beaucoup plus loin qu’auparavant dans sa carrière. Cette immersion dans le South Bronx de la fin des seventies, c’est aussi une exploration d’un pan fondamental de la culture populaire, trop souvent reléguée aux marges de la culture institutionnelle, ou réduit à ses représentations les plus grossières.

Et le metteur en scène de se rappeler à nous comme un auteur capable non seulement d’investir d’autres formes que celles du récit classique de cinéma, mais aussi de les subvertir, de les interroger, pour mettre en lumière les origines des sons et des images qui saturent aujourd’hui encore notre univers commun. 

Elvis

Sortie : 2022 - Durée : 2h39
 

Elvis : Photo Austin ButlerIci, tout commence

 

La vie d'Elvis Presley, son oeuvre, son influence, ses multiples succès et déroutes, au coeur de l'Amérique des années 50-70.

Dès 2014, Baz Luhrmann est décidé à clôturer sa trilogie épique d'une manière ou d'une autre (son biopic sur Alexandre Le Grand ayant été abandonné et son film sur la Russie aussi). Il s'embarque donc immédiatement dans le biopic d'une autre icône de l'Histoire, beaucoup plus récente cette fois, avec Elvis Presley. Sauf qu'évidemment, avec la réception malheureuse de Gastby le magnifique, le cinéaste va prendre une petite pause et surtout, prendre son temps pour revenir à son meilleur.

Après un brillant passage par le petit écran avec The Get Down — malheureusement trop peu remarquée et trop peu appréciée par la critique et le public pour être renouvelé par Netflix, d'autant plus avec son budget exorbitant de 120 millions pour 12 épisodes —, l'Australien se relance donc corps et âme dans Elvis dès 2019. Et après une production sacrément compliquée (à cause du Covid en particulier) de près de trois ans, Baz Luhrmann a pleinement réussi son retour en force au cinéma.

 

Elvis : Photo Austin ButlerLa folie des concerts

 

Présenté en grande pompe au Festival de Cannes 2022 en présence de la famille du King (son ex-femme Priscilla, sa fille Lisa Marie et sa petite-fille Riley Keough), le long-métrage a reçu un accueil dithyrambique de la part de la critique et du public sur place. Il faut dire qu'indiscutablement, Elvis est une grande et belle réussite, se logeant directement dans le haut du panier de la filmographie de Luhrmann. Et en même temps, il était difficile pour le cinéaste de trouver un sujet qui pouvait mieux englober toutes ses thématiques fétiches entre la musique, la démesure, l'amour et une époque fascinante.

Dès les premières secondes, Baz Luhrmann enflamme donc tout, dans un déluge de délires visuels, où la caméra tourbillonne, où les splits screens se succèdent, où la musique retentit de plus en plus fort dans un montage de plus en plus dynamique. L'Australien retrouve son style baroque dans une première heure surexcitée, euphorique, épuisante, spectaculaire, où il met à l'honneur sa nouvelle coqueluche, l'incroyable Austin Butler, dans la peau du roi du rock'n roll tout en saisissant la décadence de son milieu.

 

Elvis : Photo Tom Hanks, Austin Butler, Richard Roxburgh, Helen ThomsonLa naissance d'une nouvelle forme de capitalisme

 

Mais au-delà du simple biopic d'une icône, Elvis raconte l'histoire d'une époque, celle de l'Amérique des années 50-70. Comme Baz Luhrmann l'avait déjà fait avec intelligence dans The Get Down, la percée musicale d'Elvis puis l'évolution de son style, de ses chansons... devient un enjeu politique, historique et social. C'est ici que le cinéaste mature son récit en transformant le biopic classique en une réflexion plus mélancolique sur le parcours d'un homme et son influence sur tout un pays, toute une culture.

Le long-métrage décrit alors les bouleversements sociétaux et économiques (la naissance du show-business) de ce pan des États-Unis avec brio, parvenant même à faire résonner certaines des problématiques de l'époque avec la nôtre (cette vague "d'africanisation" qui effraie les conservateurs rappelant étrangement leur peur irrationnelle actuelle des "envahisseurs wokistes"). Et alors, dans un geste fabuleux, Luhrmann calme ses ardeurs esthétiques, préférant ralentir le rythme de son métrage, effacer la décadence de son style, pour mieux capter la solitude de son héros.

 

Elvis : Photo Austin ButlerUne star finalement très isolée

 

Il en résulte une grande fresque musicale à la fois électrisante et désenchantée. Et même si le métrage est sûrement beaucoup trop long pour son propre bien (avec 2h39 au compteur, c'est le plus long film de Luhrmann à ce jour) et que la narration en voix-off du Colonel Parker (joué par un Tom Hanks pas franchement convaincant) est assez agaçante, ce Elvis reste plein de ressources pour offrir un spectacle plus inattendu qu'espéré.

D'ailleurs, avec un peu de chance, l'Australien dévoilera un jour la Director's Cut de 4h de son Elvis qui, selon lui, contient des scènes coupées notamment avec la troupe du cirque, la première petite-amie d'Elvis, Dixie, ou la rencontre entre le chanteur et Richard Nixon. Autant dire qu'on n'en a pas encore fini avec la musique du King chez Luhrmann, et c'est peut-être pour le mieux.

Tout savoir sur Baz Luhrmann

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commentaires
GarlickJr
27/06/2022 à 12:54

Get down aurait mérité une deuxième saison. La saison 1 était sympa mais elle ne permettait que d’introduire le sujet. Je suis sûr que la saison 2 aurait gagné en intensité et avec Baz Luhrmann derrière ça aurait pu donner quelque chose de vraiment intéressant.

Birdy'n the air
26/06/2022 à 07:55

(J'ai tenu 20min la 1ere fois devant Gatsby, et Netflix m'a permis d'aller au bout et de le trouver finalement regardable).

Birdy'n the air
26/06/2022 à 07:54

Déjà, bravo pour ce dossier très bien écrit et argumenté.

Ce cinéaste provoque chez moi un effet quasi unique : je ressens entre la découverte d'un de ses films et son revisionnage l'effet quasi opposé systématiquement.
J'ai détesté la bouffonnerie de Romeo + Juliet la 1ere fois en salle. En le revoyant, je le trouve brillant.
Moulin Rouge m'a émerveillé la 1ere fois. La 2e fois, je m'y ennuie ferme, la magie ne prends plus.
Je découvre Ballroom Dancing en DVD, je déteste. Mais en devant me le recoltiner avec ma copine, je comprends où il veut en venir et j'adhère à sa folie émancipatrice.

Bref, je suppose que si j'aime Elvis, mieux vaut ne pas le revoir une 2nde fois...

L'indien Zarbi.
26/06/2022 à 07:00

Eddie Frison
Ben non, nous ne sommes pas nombreux mais j'ai l'impression que l'on apprécie tous ce réalisateur.

Tuk
26/06/2022 à 00:31

" La confrontation à la station-service est d'ailleurs le meilleur exemple de cette proposition punk volontaire excessive qui peut rebuter."

Pour cette scene de la station de Romeo + Juliette j'y ai plus vu une parodie de western qu'une proposition punk. Bon apres je me fais vieux. Quoiqu'il en soit, ce film est magnifique !

Kyle Reese
25/06/2022 à 23:22

Moi j'adore son style, ses excès mais je n'ai commencé à apprécier qu'avec Moulin Rouge.
Une énorme claque découvert malheureusement en DVD et pas au ciné.
Vu son Roméo + Juliette plus tard et bcq apprécié.
Après en effet Gasby manque de corps par rapport au coté social du roman mais il reste complètement flamboyant. J'ai plutôt bien aimé Australia, sauf les CGI un peu trop voyant des buffles. Ce réal va au bout de sa vision fantasque mais parfaitement assumé et maitrisé techniquement.
Un réal/auteur qui divise ... et ce n'est pas grave, limite tant mieux. Perso j'en redemande des artistes de cette trempe. Je me rend compte que j'ai vraiment du mal avec les œuvres cinés ou séries sans style qui se ressemblent. Il faut une patte dans un sens ou l'autre mais avec quelque chose de personnel qui se démarque du tout venant, et là rien qu'avec la BA d'Elvis on sait que ce sera de toute façon différent et intéressant. Si on veut faire des films qui restent faut que ça secoue le spectateur d'une manière ou d'une autre.

Eddie Felson
25/06/2022 à 22:38

Eh bien! Lurhmann ne fait pas recette ici! Pas assez de cgi, trop de textes et de sentiments! Non?….

L'indien Zarbi.
25/06/2022 à 20:39

Flamboyant, kitch, dingue.
Je l'adore.
Romeo+Juliette est magnifique.

Eddie Felson
25/06/2022 à 13:16

Moulin Rouge et, peut-être plus encore, Roméo + Juliette sont vraiment 2 pépites, 2 ovnis de mise en scène, de flamboyance qui se situent un bon cran au-dessus du reste de sa filmo qui demeure néanmoins bien au-delà, d’un point de vue originalité et mise en scène, de 90% de ce qui peut se produire! Un Lurhmann ne se manque pas et, n’ayant pas encore vu Elvis en salle (next days), j’espère que ce dernier viendra rejoindre le duo évoqué ci-avant au firmament de sa filmo.