No Pain No Gain : et si le film d'auteur de Michael Bay était une mauvaise lobotomie ?

La Rédaction | 26 mars 2022
La Rédaction | 26 mars 2022

Même ceux que Michael Bay hérisse le reconnaissent : No Pain No Gain est son meilleur film. Mais ce consensus ne cache-t-il pas une oeuvre lobotomisée ?

Bien avant de réaliser son film désigné comme le plus personnel, et de loin le plus modeste (exception faite de son tout premier Bad Boys), Michael Bay avait fait savoir qu'il comptait s'éloigner un temps des champs de bataille, des séances de catch entre robots géants ou de l'élégie testostéronée de soldats américains jamais plus courageux que quand l'occasion leur est donnée de tuer des gens dans le soleil couchant. Styliste dégénéré, excessif, perpétuellement mû par un désir d'inventer, déformer, pousser au chaos, il semblait désireux de déposer glaive et bouclier pour mieux repenser son cinéma.

Et le temps d'un film, l'auteur au succès inversement proportionnel à ses éventrations critiques aura eu droit aux faveurs des médias qui furent nombreux à voir dans No Pain No Gain une féroce réussite. Mais pour qui a toujours apprécié la folie jamais douce du réalisateur derrière RockArmageddonTransformers ou encore 13 Hours, la réussite artistique de son drame culturiste n'est peut-être pas si évidente que ça. Et si le magnum opus de l'artiste n'était que poudre aux yeux pour spectateurs aux prunelles trop délicates pour ses géniales rodomontades pyrotechniques ?

 

Photo Anthony MackieUn film plein de protéines

 

INSPIRÉ DE FAITS PAS RÉELS 

Ils sont innombrables, les films qui adaptent pour l’écran des histoires vraies. Et pour cause, s’emparer du réel constitue depuis toujours un des gestes premiers de l’auteur de fiction, et ce, bien avant le cinéma. Plus que le simple récit d’un évènement édifiant, la chronique d’un destin remarquable, le genre a évolué jusqu’à devenir un passionnant exercice de style sociétal. Encore à ce jour, le texte De Sang Froid de Truman Capote demeure un jalon fondamental, puisque mêlant recension clinique des faits, et investissement personnel de l’auteur, qui devint partie prenante de l’affaire. 

Au cinéma, on pourrait identifier deux attitudes par rapport à cette notion de “faits réels” : l’écrasante masse de productions qui en usent à des fins de promotion et se vendent comme des récits crédibles d’un côté, les rares qui jouent avec le concept, le tordent en dérision, de l’autre. Les deux conceptions s’entendent et témoignent de deux logiques aussi différentes que légitimes. 

 

No Pain No Gain : photo, Dwayne Johnson, Mark WahlbergGonflés à l'hélium

 

À titre d’exemple les récentes séries Pam and Tommy, ou encore Inventing Anna, assument franchement de remâcher les faits, de les ordonner de manière à en livrer une interprétation. Fargo est sans doute le film qui aura poussé le plus loin le bouchon, en présentant comme inspirée de faits réels... une pure fiction. Autant de pirouettes et de libertés dont on ne peut créditer Michael Bay, car dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, son film souffre de ne pas savoir à quel saint se vouer. 

Ainsi, il se complaît à transformer en profondeur les véritables auteurs des délits qu’il met en scène. Il métamorphose systématiquement toutes les situations. De même, il allège certains sévices commis par ses héros, en aggrave d’autres... tout en revendiquant perpétuellement la qualité véridique de son récit. Le procédé pourrait sembler malhonnête, ou franchement inconséquent, mais à en juger par l’attitude du cinéaste, il y a fort à parier qu’il soit tout simplement passé à côté des potentialités du concept, autant que de son détournement. 

 

Photo Ed HarrisEd a ri

 

JETER L'ANGLE

Pain and Gain c’est la pause déjeuner de Michael Bay entre deux Transformers. Ayant envie de raconter des personnages, des vrais, pas des robots-voitures, le réalisateur nous présente ces montagnes de muscles « qui cherchent le rêve américain de la mauvaise manière » comme il l’explique à Allociné. Si son film ne manque pas de testostérone et de mannequins en bikini, Bay s’avère incapable de tenir un angle, un point de vue sur le traitement de ses protagonistes.

En voulant nous partager la vision de la société américaine de Daniel Lugo (Mark Wahlberg) et son crew, et en quoi leur croisade peut sembler juste, Bay crée de l’empathie. Les personnages sont idiots, mais ils ont un rêve de réussite que beaucoup de monde partage. Cette identification aux malfrats de l’histoire se fait aux dépens de la victime de cette affaire, Victor Kershaw (Tony Shalhoub). Le pauvre bougre est présenté comme un bandit en col blanc méprisant envers tout le monde, y compris après les souffrances qu'il endure. Michael Bay brosse tout au long de son film ce portrait d’un être qui méritait d’être volé, contribuant à confirmer les positions du gang jusqu’au bout.

 

Photo Mark WahlbergComment couler trois bronzes d'un coup

 

Pourtant le regard porté par Bay sur les criminels demeure flottant, voire totalement inconstant. Si au début il veut susciter de la compassion pour ces débiles touchants, c’est avec un réalisme bien plus cru qu’il filme leurs actes de torture, marquant une distance avec le gang. Malgré cela, au milieu de ces scènes à la réalisation-choc (comme l’arrivée dans le lieu de séquestration), Michael Bay continue à vouloir faire rire par endroits, peu importe comment. Le réalisateur s’amuse avec la bande du Sun Gym Gang, les moque ou rit de leur descente aux enfers. Les tons se confondent en laissant le public sans savoir quelles images finales Bay veut que l’on garde de ses bodybuilders sadiques et demeurés.

Toutes ses approches peuvent fonctionner indépendamment, ou habilement mêlées. Scarface, Pulp Fiction et Snatch ont autant de visions différentes des gangsters et des criminels. Avec Pain and Gain, Bay jongle entre le fait divers violent d’origine, et donc les véritables meurtriers qu’il veut représenter, son envie d’en faire une comédie, tout en véhiculant son message mi-patriotique, mi-critique de la société. Ses angles multiples se percutent pour donner des personnages dissonants et une intention brouillonne.

 

Photo Dwayne JohnsonLes gros bonnets et le benêt

 

FILM D’ACTION FRUSTRÉ ?

Michael Bay et film à petit budget ne sont pas deux idées que l’on associerait naturellement, pourtant c’était la volonté du réalisateur de réaliser Pain and Gain avec 26 millions de dollars, une somme microscopique eût égard à celles habituellement engagées dans  ses longs-métrages. Mais le bonhomme reste un metteur en scène qui a fait de la destruction jouissive sa marque d’auteur. Avec son histoire de culturistes kidnappeurs et tueurs, son énergie est contenue par un récit qui ne se prête pas aux habituels feux d’artifice de son cinéma (on ne compte qu’une explosion dans le film, un exploit !).

Pourtant, les fans du monsieur ne seront pas en terre inconnue. L’esthétique de Bay avec ses images très colorées, souvent saturées, ses corps aux muscles démesurés, sa caméra sans limites spatiale et son montage nerveux sont bien là. Ses éternelles contre-plongées iconisant les personnages avec, pour seule limite à leurs ambitions et leurs bêtises, le ciel, sont également au menu. Mais la maestria technique de Bay ne peut jamais vraiment envoyer la sauce et il se retrouve comme un lion en cage.

 

No Pain No Gain : photo, Mark WahlbergQuand Marky Mark se prend pour Optimus Prime

 

Cette frustration se sent, puisque le réalisateur saute sur la moindre occasion pour pouvoir jouer de la caméra. En la faisant passer dans des endroits improbables, ou en utilisant des GoPro à 300 dollars fixées sur les canons d’armes ou les torses, Bay s'évertue à vouloir énergiser l'ensemble jusqu'à l'absurde, et parfois au détriment de l'énergie spécifique de chaque séquence. D’ailleurs, la scène la plus mouvementée est la course poursuite de Paul Doyle (Dwayne Johnson) après son braquage raté. Une traque qui enchaîne les décors et les techniques de mise en scène innovantes au service des seuls coups de feu du film. Bay se lâche dans une situation qui… n’est jamais arrivée dans la réalité du fait divers. Est-ce là la traduction d’un besoin vital de lâcher les chevaux pour le réalisateur ?

Même si on retrouve la vivacité visuelle propre à monsieur Bay, son hyperactivité sert surtout une logique spectaculaire et cathartique. Pain and Gain a ainsi une énergie débordante... qui tourne à vide. Les divers effets visuels comme les cartons mettant en pause la scène, ou les effets de montage flashy, n’en sont que les symptômes. Et ainsi nous voilà devant un film qui s'épuise à taper dans le vent en usant de la mauvaise approche pour traiter son histoire.

 

No Pain No Gain : photo, Ed HarrisEd Harris style

 

LE CINÉMA D’AUTEUR POUR LES NULS ?  

Le cinéma américain a toujours été questionné par ce qu'est l'idée même de l'Amérique. Et qui se questionne, à défaut de toujours répondre, se risque bien souvent à émettre une critique. Cette propension à interroger les valeurs - ou mythes fondateurs de sa propre culture - a animé fortement ce qu'il est désormais convenu les productions du "Pre-Code", mais aussi celles qui ont atteint le grand écran malgré la censure du Code Hays. Mais c'était déjà le cas évidemment du classique Scarface de 1932, tandis que ces thématiques exploseront littéralement durant les seventies avec l'avènement du nouvel Hollywood et de sa démarche éminemment critique, voire nihiliste.

 

Photo Anthony MackieCertainement pas un rôle de faux con

 

De tout cela, No Pain No Gain se rêve l'héritier, et le martèle, dans ses dialogues, son scénario, sa mise en scène. Les protagonistes sont de pauvres hères qui attendent de bénéficier du rêve américain qui s'est toujours dérobé à eux, mais ils n'en ont jamais compris le sens. Ils veulent gagner, mais sont des parasites plutôt que des winners. Le film a besoin de notre empathie à leur égard pour avancer, mais ne parvient jamais à donner corps à leurs motivations, tant il préfère régulièrement les moquer, les avilir, les mépriser. C'est d'ailleurs le cas, jusque dans les rares séquences signifiantes ou pensées en termes de mise en scène.

Quand Wahlberg progresse dans cette piscine, son reflet via la diffraction de l'eau nous envoie un message très clair : ce musclor possède un tout petit cerveau. Le film le désigne, l'essentialise comme un demeuré avant tout. Parce que Michael Bay lui-même ne sait pas ce qu'il raconte. Il tente pour partie de se greffer au discours critique le plus tarte-à-la-crème, celui qui se voudrait un miroir tendu à l'Amérique. Mais ce miroir est pire que déformant : il est fêlé de partout.

 

No Pain No Gain : photo, Tony ShalhoubLe cerveau du spectateur, après le visionnage

 

Car sous couvert d'interroger les valeurs américaines, le scénario les valide toutes. "Ils voulaient être comme nous", professe le personnage de Ed Harris, d'un ton qui se voudrait celui d'un homme sage, repensant, dans la lumière rasante du couchant, à la morale immanente de ce curieux récit. Mais le cadre à cet instant (un coin invraisemblablement luxueux de Floride) nous indique en creux que ce "nous" ne correspond à rien. Le ghetto des ultra-riches n'a rien à nous dire de l'Amérique en général ou des Américains en particulier.

Tout comme quand il tance la vulgarité de la classe bourgeoise floridienne, Bay ne peut s'empêcher in fine de les valider comme citoyens parvenus à une place légitime. Et pourquoi pas, mais cette position vient contredire celle des héros. Ultime pied de nez, le long-métrage rit ouvertement de leur condamnation à mort, ce qui pourrait à nouveau être un angle véritable, si ce dernier ne nous arrivait pas comme un cheveu sur la soupe. En bref, Bay se déguise en auteur, mais le costume est trop serré pour lui, et il le fait craquer constamment.

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commentaires
Kyle Reese
28/03/2022 à 22:09

Surement le meilleur Bay. Histoire de dingue, réalisateur dingue, film de dingue !
Le meilleur film d'auteur avec des gros muscles, et c'est surement très rare !

Amnorian
28/03/2022 à 09:04

Tous d'accord pour dire que vous l'aimez, personnellement je le trouve très mauvais et Bad boys ainsi que Rock reste ses meilleurs.

Kukuma
27/03/2022 à 13:06

Film incompris, je le trouve genial et c'est un des seuls film où Dwayne J fait une belle performance et pas du Dwayne J

Hénaurme
26/03/2022 à 23:35

C'était vraiment une belle surprise pour ma part. Le seul film où j'ai apprécié Mark Wahlberg. Le fait que les protagonistes soient tous assez détestables ne me dérange pas.

Après, vient Bad Boys 2.

pain and gain
26/03/2022 à 18:34

sous steroide, et autres HGH assurement et d'autres complements medicaux pour neutraliser au mieux les effets negatifs voir mortels sur la duree,
mais faut soulever la fonte, quoi qu"on dise les culturistes souffrent enormement lors de leurs seances, et dire que dans les clubs de muscu des monsieurs tout le monde se charge alors qu'ils font pas compet,...
ce film est le meilleur film auteurisant de Bay

Jeff
26/03/2022 à 17:37

Plutôt un bon film, et si le but de Bay était de dépeindre Lugo précisément comme un type qui tourne à vide ? Je trouve que cette surenchère dans le montage avec, dans le fond, une certaine absence de propos, colle à merveille à ce personnage qui rêve de grands ideaux patriotes qu’il ne semble même pas pouvoir définir .

Stivostine
26/03/2022 à 15:56

Chef d'oeuvre !! des dialogues aux petits oignons, casting au top, pas de temps morts, meme la zic est démente, mon préféré de Bay et de loin.

muzu31
26/03/2022 à 14:21

Un de mes films de chevet que je peux regarder inlassablement...
Une version Idiocracy/dégénérée du rêve américain où la mise en scène de Bay colle parfaitement au ton.
Perso je suis "adepte" de la mise en scene over too much de Bay en saluant la recherche constante DU plan, la folie de la photo et de sa mise en scène...
Imbitable pour beaucoup, c'est mon plaisir même pas coupable...

Dirty Harry
26/03/2022 à 13:29

C'est une satire. Autant demander au spectateur d'aimer Dr Folamour.

Pacino
26/03/2022 à 12:21

Difficile d’avoir de l’empathie pour les protagonistes du film.

C’est The Island le meilleur film de Michael Bay.

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