Avant Independence Day, Godzilla... les débuts hollywoodiens mais cheap de Roland Emmerich

Mathieu Jaborska | 1 mai 2023 - MAJ : 02/05/2023 11:02
Mathieu Jaborska | 1 mai 2023 - MAJ : 02/05/2023 11:02

Avant Moonfall, Independence Day et même Universal Soldier, Roland Emmerich avait déjà réalisé plusieurs films qui annonçaient sa passion pour le cinéma américain grand public et la destruction de masse.

Revenu sur le devant de la scène grâce à son dernier blockbuster pachydermique en date, MoonfallRoland Emmerich s'est fait connaître des amateurs de divertissement décérébré au début des années 1990, après le gros succès d'Universal Soldier, série B particulièrement rentable opposant Jean-Claude Van Damme et Dolph Lundgren.

 

 

Toutefois, il pouvait déjà s'enorgueillir de quelques années d'expérience avant d'entrer au royaume des grands studios et de leurs chèques en blanc. Il avait déjà à son actif 4 longs-métrages, majoritairement allemands : Le Principe de l'Arche de NoéJoeyGhost Chase et Moon 44. Des films pour le moins anecdotiques, mais qui condensent déjà toutes ses envies et semblent réalisés dans le but de lui réserver une place à Hollywood. Tant et si bien qu'on y voit plus une candidature qu'une entame de carrière.

 

Moonfall : Photo, Patrick WilsonPas exactement le même budget

 

Le projet professionnel : Le Principe de l'Arche de Noé

Initié au cinéma grâce à son frère, qui l'a emmené voir 2001, L'Odyssée de l'espace, marqué par La Planète des Singes et mordu de films-catastrophes, en particulier de L'Aventure du Poséidon (son favori), Roland Emmerich était destiné à casser des trucs. D'ailleurs, lorsqu'il est rentré dans une école de cinéma à Munich, c'était dans l'espoir de devenir production designer (métier particulièrement important sur les grosses machines cinématographiques). Mais il en est sorti réalisateur, et déjà il voyait les choses en grand.

La plupart de ses travaux de cette époque sont difficilement trouvables. Difficile donc de déduire quoi que ce soit des obligatoires courts-métrages de jeunesse (Franzmann et Wilde Witwe), ainsi que de son passage par la case écriture de téléfilm (Altosax). C'est bien au sortir de son école que le cinéaste a démontré son appétence, voire son obsession, pour les grandes échelles. Quand bien même il était limité par les moyens à disposition, il visait loin, très loin.

 

Franzmann : photoFranzmann, dont la seule image disponible sur le web provient de Mubi

 

Son école exigeait un court-métrage de fin d'études, une tradition. Il a écrit un scénario bien plus long que prévu et a démarché plusieurs investisseurs pour une rallonge de budget, au point d'accoucher d'un long-métrage de 1h40, tout simplement le film de fin d'études le plus cher de l'histoire du pays, selon ses dires. Un tel évènement qu'il a fait l'ouverture du Festival de Berlin de 1984, rien que ça ! Il est par ailleurs toujours trouvable en DVD d'occasion.

Le principe de l'Arche de Noé se passe dans le futur, vous savez, celui de 1997. Le film raconte - dans un premier temps - le quotidien de Max et Billy, occupants de la station Florida Arklab, capable de modifier le climat terrestre depuis l'espace. Un pouvoir très prisé lorsque les armes de destruction massive traditionnelles sont bannies et que certains voudraient continuer à faire la guerre malgré tout. Le film s'en tient au huis clos, pour des raisons budgétaires évidentes, et pourtant, il révèle largement les lubies de son réalisateur.

 

Le Principe de l'Arche de Noé / Danger maximal : photo2001 raisons de se mettre à la SF

 

C'est un film hollywoodien à la Roland Emmerich... sans l'argent, un film catastrophe... sans les catastrophes. Le cinéaste raconte des désastres écologiques en se contentant de montrer le seul hors champ possible, loin de la planète. Bien qu'il ne puisse pas s'empêcher de créer une mini explosion à l'intérieur de l'habitacle, il accouche de fait d'un objet intéressant. L'économie de personnages autorise une schématisation des enjeux politiques (à l'époque, l'Allemagne est encore coupée en deux) et une misanthropie très modérée, qui s'inséreront plus maladroitement dans ses superproductions futures.

Mieux encore, son postulat développe une idée présente dans une bonne partie de sa filmographie, celle selon laquelle les instigateurs des catastrophes politiques et écologiques (ce qui est foncièrement la même chose, d'où le symbole de l'armement climatique) sont les derniers à en subir les conséquences. Reste la frustration palpable d'un cinéaste mégalo condamné aux décors fauchés, qui les filme paresseusement en attendant de passer au niveau supérieur. Sa seule consolation : le format CinémaScope. Das Arche Noah Prinzip (titre original) révèle les thèmes d'Emmerich. Pour dévoiler ses ambitions spectaculaires, il a cependant dû brosser le cinéma hollywoodien dans le sens du poil.

 

Le Principe de l'Arche de Noé / Danger maximal : photo, Richy Müller"Si seulement je pouvais faire exploser des trucs plus gros..."

 

La lettre de motivation : Joey et Ghost Chase

Fort de cette expérience, Emmerich s'est donc mis à mettre en scène ouvertement son amour du cinéma américain de divertissement, tel qu'il s'est développé à la fin des années 1970 et au début des années 1980, sous l'impulsion de George Lucas et Steven Spielberg. Pour ce faire, comme à son habitude, il a vu les choses en grand et a directement fondé sa propre boite de production aux côtés de sa soeur, Ute Emmerich, qui a étudié l'économie deux ans durant : Centropolis Film Productions.

Leurs deux premiers longs-métrages ne sont rien de moins que des hommages grossiers au Spielberg des débuts. Le film pour enfant Joey, aka Making Contact, raconte l'histoire d'un gosse endeuillé persuadé d'entendre feu son père dans son téléphone en plastique et qui finit par combattre une marionnette possédée grâce à des pouvoirs de télékinésie (oui). Quant à Ghost Chase, aka Hollywood-Monster, il s'essaie plutôt au teen movie gentiment bêta. Trois aspirants cinéastes se lancent à la recherche d'un trésor, guidés par les conseils d'un monstre-fantôme-majordome, malgré l'avarice d'un producteur hollywoodien bien décidé à le ravir.

 

Joey : photo, Joshua MorrellDe bons vieux éclairs des années 1980

 

Deux énormes fourre-tout, où Emmerich et ses co-scénaristes singent consciemment la filmographie de leurs idoles. Idoles auxquelles ils font lourdement référence : les deux films sont pleins à craquer de figurines et autres produits dérivés américains, si bien que le mioche de Joey utilise un verre estampillé E.T. pour ses exercices de télékinésie ! Du Stranger Things avant l'heure...

En résultent une impression de bordel mal digéré et une lettre de motivation à peine camouflée. Les renvois à Steven Spielberg outrepassent le simple clin d'oeil appuyé. Emmerich met en scène des enfants ou ados mal dans leur peau et des créatures toutes deux quasiment de la même couleur que le plus gentil des extraterrestres, le tout sans lésiner sur l'intertextualité. Les photographies de Egon Werdin et Karl Walter Lindenlaub (qui a suivi le réalisateur sur ses premiers gros projets hollywoodiens) reproduisent au rai de lumière près l'esthétique du Spielberg des débuts et plus largement des productions Amblin.

 

Ghost Chase : photo, Jill WhitlowLe fils de E.T. et Yoda est serveur

 

Ghost Chase, blindé de référence à la série B d'horreur made in USA, pourrait presque faire office de revendication personnelle. L'un de ses héros est un metteur en scène sans le sou, mais passionné, littéralement aux portes d'Hollywood. Pour se faire une place dans l'industrie, il fait la course avec un méchant producteur, aidé par une créature animatronique de sa propre confection renvoyant directement au cinéma qu'il aime, afin de mettre la main sur la seule chose qui pourra exaucer ses voeux : une montagne d'argent... enfin, d'actions. La dernière scène est très évocatrice. Après un plan sur le panneau "Hollywood", notre réalisateur déballe son plan de blockbuster de science-fiction. Clin d'oeil. Fin.

"Je faisais des films comme j'en fais maintenant, mais c'était un monde complètement différent à cette époque en Allemagne" confiait le cinéaste à CNN en 2008. "Ils faisaient des films de Wim Wenders et ce genre de films allemands et je ne pouvais juste pas faire des films de cette manière. Je voulais faire des films comme Steven Spielberg et George Lucas. Je l'ai fait et ils ont été des succès relatifs, mais la critique les détestait de plus en plus. Ils disaient : 'Pourquoi est-ce qu'il fait des films comme ça ici ?'".

Son objectif principal fut accompli puisque ses deux longs-métrages, tournés en anglais pour séduire le marché international, se sont plutôt bien exportés, même si Joey a été amputé de presque 20 minutes et carrément remonté pour la version américaine, le rendant plus foutraque encore. À la fin des années 1980, Roland Emmerich se rêvait officiellement cinéaste hollywoodien. Il ne lui restait plus qu'à sauter le pas.

 

Joey : photo, Joshua MorrellBeaucoup de références, pas beaucoup de cinéma

 

L'entretien d'embauche : Moon 44 

Pour jouer dans la cour des grands, il ne lui manquait plus qu'un collaborateur clé : le tout jeune Dean Devlin, âgé de moins de 30 ans. L'acteur, alors à l'affiche de quelques comédies de science-fiction et depuis passé derrière la caméra avec Geostorm, a réécrit une partie de son scénario et a même hérité d'un des rôles principaux, celui de Tyler, "navigateur" (il assiste les pilotes) pour le compte d'une multinationale au sein d'une station de minage galactique. Une zone de guerre où s'introduit Felix Stone, engagé afin d'enquêter sur la disparition de navettes.

Avec Moon 44, Emmerich cessait de faire du pied à Hollywood : impatient de traverser l'Atlantique, il passait carrément une audition pour les grands studios. Tourner en anglais ne suffisait plus. Il a engagé quelques habitués de la série B protéinée, comme l'infatigable Michael Paré (Le Village des damnés, Bloodrayne et des tractopelles de DTV), la légendaire trogne de Brian Thompson (le punk de Terminator, le Night Slasher de Cobra, le Russel de Full Contact), Stephen Geoffreys (inoubliable Evil Ed de Fright Night à la carrière pour le moins singulière) et même Malcolm McDowell. Il s'est payé les services de Joel Goldsmith (fils de) à la BO et de Olivier Scholl, futur cador de l'industrie, au production design.

 

Moon 44 : AffichePas besoin de voir les 43 autres avant

 

Il verse volontiers dans la science-fiction bourrin, emprunte les militaires musclés et vulgaires d'Aliens, le retour, la direction artistique de Outland. Comme dans tous les représentants fauchés du genre, influencé par les premiers Ridley Scott, il alterne entre bases futuristes sans fenêtre et espace plein de fumée, où se déroulent quelques dogfight oubliables. Moins symbolique que son premier long-métrage (même si on retrouve la critique des décisionnaires), il se conforme bien plus encore au modèle en vogue chez Carolco ou le Cannon Group, alors en plein déclin.

Emmerich n'a réalisé rien de moins qu'un film américain avec un budget allemand, avide de quitter un pays qui ne lui donnait pas les moyens de ses ambitions : "Je dis toujours à tout le monde : je suis parti vers Hollywood à cause des mauvaises critiques ou des journalistes méchants. J'étais juste fatigué d'entendre les mêmes critiques, encore et encore". C'est également une démonstration technique. Avec un budget estimé à 15 millions de dollars par TV Guide, il montrait qu'il maîtrisait le système D, notamment lorsqu'il a improvisé un plan de prison du futur avec quelques miroirs et beaucoup de fumée.

 

Moon 44 : photo, Michael ParéParé à tirer

 

Il s'est érigé en habile mercenaire et c'est justement Carolco qui lui a donné sa chance, d'abord avec un méga blockbuster, qu'il a refusé, faute de pouvoir imposer les réécritures de Devlin, puis avec une autre série B de science-fiction à moindre coût (23 millions selon le LA Times) : Universal Soldier. Un véritable succès qui lui a enfin offert les portes des gros budgets nécessaires à ses envies. Il a géré 55 millions avec Stargate avant d'atteindre les 75 millions d'Independence Day, le carton monstrueux qui a fait oublier ses productions allemandes.

Ce n'était pas faute d'avoir essayé. Quoi qu'on pense du style de l'Allemand et de son cinéma, il aura su tambouriner à la porte de l'Oncle Sam avec détermination. Autrefois de ridicules gesticulations fauchées, ses premiers films sont devenus des preuves de sa passion pour le cinoche à grande échelle. Il a fallu qu'il la clame inlassablement et qu'il se trouve des partenaires fidèles (sa soeur et Dean Devlin). Pour le meilleur ou pour le pire ? C'est à son public de décider.

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commentaires
The insider38
11/04/2022 à 23:38

Si tout les petit budgets sf, pouvaient avoir la geule de Moon 44 ( sacré exploit sans pognon quand même) on aurait de sacré petite à regarder le dimanche soir

Cinégood
11/04/2022 à 10:25

Nombre d'auteurs et de réalisateurs français sont dans le même cas.
Inspirés par la culture US ou les films de genres, ils trouvent très peu de moyen de s'exprimer dans leur propre pays qui ne laisse que peu - voire aucune - place à ce type de projets.
Bravo à Roland, il a atteint ses objectifs.

Tom’s
15/02/2022 à 17:33

On sent la passion avant l’opportunisme, et je le pense sincère dans ses propos, donc il utilise son cœur mais en filmant parfois avec ses pieds lol

zetagundam
15/02/2022 à 17:07

Concernant Moon 44, je garde le souvenir d'un très bon petit film au ton plutôt sombre

Tearsin Rayne
15/02/2022 à 16:55

"Pour le meilleur ou pour le pire ?"

Un mélange des deux, quand il est (était) en forme.