Avant The Swordsman, 5 films de sabre coréens qui découpent comme il faut

Mathieu Jaborska | 17 novembre 2021 - MAJ : 17/11/2021 14:27
Mathieu Jaborska | 17 novembre 2021 - MAJ : 17/11/2021 14:27

À l'occasion de la sortie de The Swordsman, retour sur 5 films de sabre coréens.

Ce 17 novembre 2021, Program Store sort The Swordsman en France. La critique et les cinéphiles s'extasient régulièrement devant les films de sabre japonais (chanbara), chinois et hongkongais (wu xia pian), mais celui-ci est coréen, et il ne fait pas de prisonnier pour autant. Cette singularité lui évite de s'embarrasser de codes traditionnels pesants et lui permet de se forger une identité.

Voilà qui donne envie de (re)découvrir ses quelques prédécesseurs, du moins les rares à être parvenus dans nos contrées. En effet, ils sont peu à s'être frayé un chemin vers la France, et on déplore l'indisponibilité de certaines bonnes surprises comme la fresque politique The Fatal Encounter et son très beau duel final. De même que le cinéma populaire coréen pré-2000 est très difficilement accessible chez nous. Néanmoins, nous sommes parvenus à concocter une petite sélection de films tantôt beaux, tantôt divertissants, mais surtout riches en lames affutées, quitte à malmener quelque peu la définition établie du genre.

 

photoOn aiguise notre regard, mais pas que

 

Le règne par le sabre

Difficile donc de profiter des productions martiales de ce type pré-années 2000. Non pas qu'elles soient inexistantes, mais elles sont surtout quasi impossibles à trouver (Swordsmen from Eight Provinces est atterri sur YouTube avec seuls une VO et quelques pixels, bon courage aux téméraires). L'un des premiers essais visibles du genre était ainsi Bichunmoo, légende d'un guerrier, sorti en 2000, assorti de quelques belles scènes, mais saboté par une intrigue amoureuse ronflante et un montage ignorant tout principe de mise en situation. On est en droit de lui préférer le deuxième film de son réalisateur, Le Règne par le sabre, aussi connu sous le titre Shadowless Sword.

Les deux longs-métrages assument de reproduire les audaces du wu xia pian chinois, avec leurs personnages volant de toit en toit et leurs chorégraphies très aériennes. Mais Shadowless Sword passe encore un cap dans la mise en scène des combats, parfois complexes, souvent très découpés et pourtant lisibles malgré tout, même lorsqu'une suite d'inserts rapides détourne les lois de la physique. Il slalome ainsi entre les pièges dans lesquels tombent nombre de films de la période : les réalisations trop hyperactives (Sword in the moon) ou les effets de style abracadabrants (les ridicules zooms du pourtant sympathique Memories of the sword).

 

photo, Yoon So-yiÇa vole haut

 

Il va jusqu'à flirter avec le fantastique par moments, sans se confondre en CGI douteux, une discipline olympique à l'époque. Il en appelle d'ailleurs à des procédés classiques, comme lors de la mise à mort rétroactive de certains personnages ou dans une séquence tournée en dry for wet (c'est censé se passer sous l'eau, mais ce n'est pas le cas, et ça se voit) à l'artificialité assumée, plus par choix esthétique que par maladresse technique.

Et si la narration parait aux premiers abords peu originale, elle s'autorise un vrai point de vue : on suit deux femmes perpétuellement réduites à leur sexualité et à la diversion qu'elles peuvent constituer, dans deux camps différents, jusqu'à un climax lourd en symbolique, où elles s'écartent - ou pas - pour protéger les conflits de pouvoir masculins. Seule la toute fin fait un écart un peu daté, mais on la pardonne volontiers à cette production honnête et très généreuse en affrontements.

 

photo, Yoon So-yiDantesque lame

 

Duelist

Bien avant le vaporeux The Assassin du non moins vaporeux Hou Hsiao-hsien, le cinéma coréen expérimentait déjà la forme du film de sabre, avec un ton bien plus léger. L'émérite réalisateur Lee Si-Myeong, qui avait déjà assaisonné les années 1990 de ses idées, se frotte au récit historique à travers l'adaptation d'un manhwa (bande-dessinée coréenne) de Bang Hak-gi. Et bien que la proposition à elle seule ne manque pas d'originalité, il ne se contente pas d'aligner les poncifs du genre.

Duelist croule tellement sous ses partis pris qu'il prend le risque de s'aliéner une partie de son public. Et ça n'a pas loupé : il faut voir la réputation qu'il se trimballe sur les différents sites de notation occidentaux. Trop lent, trop maniéré, presque bouffon... Les reproches fusent à son égard et ses défenseurs sont rares.

 

photoC'est beau

 

Et pourtant, il mérite largement d'être réévalué et donc d'être plus connu. La caméra du metteur en scène est en fait totalement attentive à ses personnages, quitte à exacerber leurs réactions dans des séquences d'un humour très particulier ou à multiplier les audaces formelles, souvent extrêmement maitrisées. Il cherche moins la violence des confrontations que la poésie du contact entre deux poings, deux regards, deux lames. Il cherche à figer sur pellicule les expressions corporelles les plus délicates, usant d'accélérés et de ralentis et décomposant quasi littéralement le mouvement des protagonistes.

Des aspirations aux conséquences esthétiques remarquables (c'est sublime), qui peuvent parfois désarçonner, et qui culminent dans un duel romantique tout en nuances d'ombres. Le rythme est évidemment celui de la danse, donné par une bande originale à deux doigts du tango et le style embrasse complètement chaque pas. L'étude esthétique est dépouillée progressivement dans un dernier acte tout aussi magnifiquement chorégraphié. La violence de la bataille s'efface au profit de la justesse du geste. Tout le monde ne s'en émeut pas, mais personne ne peut nier une vraie ambition artistique.

 

photoSplendide scène

 

Kundo

La référence à Tarantino vient si naturellement à certaines critiques qu'on en vient à se méfier lorsque son nom orne la jaquette d'un DVD. Pourtant, Kundo a vraiment tout de la bonne tarantinade. D'abord parce qu'il se réapproprie quelques marqueurs du cinéma de l'Américain, comme les présentations de personnages hautes en couleur et un mélange des genres musicaux. D'ailleurs, la bande originale cite sans se cacher le western, au point de convoquer le cultissime thème du Dernier jour de la colère de Riz Ortolani, également à l'honneur dans... Django Unchained.

Il accapare également son mode opératoire : la transposition d'un traitement narratif bien bourrin, hérité du cinéma d'exploitation, dans un genre particulier. En l'occurrence, il s'agit d'une histoire de vengeance classique, opposant boucher forcené en deuil et noble prince cruel, expert de la fine lame, sur fond d'une révolte qui rappelle forcément aux occidentaux leur Robin des bois. Le rythme est soutenu, la violence régulière et les rebondissements connus à l'avance. Bref, c'est un pur divertissement sous influence.

 

photoPlayer 1

 

Alors forcément, les combats au sabre sont quelque peu différents des canons du genre, principalement parce que le personnage principal se bat avec deux hachoirs. Mais cela n'empêche pas le réalisateur Yoon Jong-bin, qui a enchainé en 2018 avec l'exceptionnel The Spy Gone North, de proposer quelques affrontements mémorables, par exemple au milieu d'une forêt de bambou vite exploitée à l'avantage d'un des deux adversaires. L'exemple typique d'un lieu commun détourné par pur plaisir transgressif.

À noter aussi la sympathie du casting, composé de plusieurs comédiens attachants, comme Jung-woo Ha, à l'affiche d'un nombre impressionnant d'excellents films locaux, de Tunnel au chef-d'oeuvre Mademoiselle, du gros succès Assassination au méga-vénère Take Point (malheureusement tous deux encore inédits), en passant par The Murderer et The Terror LiveJeong Man-Sik, trogne bien connue du public coréen par ailleurs aussi à l'affiche de The Swordsman ou encore l'irrésistible Dong-seok Ma de Along with the Gods et Dernier train pour Busan, très drôle en guerrier bourru, et aujourd'hui à l'honneur dans le dernier Marvel. On en revient toujours à ces satanés Américains.

 

photo, Jung-woo HaPlayer 2

 

The Villainess

Bien sûr, on triche. Bien sûr, The Villainess n'a rien du film de sabre tel que l'imaginaire collectif et l'histoire du cinéma se le représentent, il ne se passe pas dans un cadre médiéval, conspue la plupart des principes de mise en scène du genre et montre bien plus de balles perforantes et de semi-automatiques que de lames tranchantes. Bien sûr, il pâtit de nombreux défauts passés en revue par tous les journalistes présents lors de la fameuse séance cannoise : l'appétit visuel qui motive son existence est plus que bancal, au moins autant que l'univers qu'il met en scène.

Mais pour peu que l'on considère ces très longs couteaux comme des sabres, les quelques plans-séquences furibonds, situés au début, au milieu et à la fin du métrage ont très largement de quoi satisfaire l'amateur d'armes blanches cinématographiques. Alternant point de vue subjectif presque vomitif et caméra à l'épaule libre, s'affranchissant grâce à un jeu de raccords guère inquiets d'être démasqués les limites du procédé, la réalisation épouse la vélocité des lames, la violence de leur contact avec la chair et le ballet de mort qu'elles provoquent. Un ballet plus proche des combats de machettes à la The Raid que des envolées chorégraphiques du chanbara ou du wu xia pian, un ballet qui recherche avant tout un effet de brutalité.

 

Photo Ok-bin KimLes bâtons, ça marche aussi

 

Et puis, il y a cette séquence de course poursuite motomobile avec sabres, déclinaison moderne et insolente des chevauchées épiques d'antan, recopiée par le dernier John Wick en date. Le cadre vole entre les coups, entre les motos lancées à pleine vitesse. L'ambition de la scène est spectaculaire, sa conception probablement aussi cauchemardesque que dangereuse, si bien qu'on se demande comment elle a été filmée sans découper en morceaux les cascadeurs.

Ce seul instant de bravoure suffit à motiver le visionnage d'un film trop vite rentré dans la case du high-concept esthétique bête et à justifier une place dans ce dossier. Parce qu'en termes de combat de sabres, on a rarement vu plus impressionnant ces dernières années.

 

 

The Swordsman

Si The Swordsman n'est pas à proprement parler un chanbara - genre exclusivement nippon -, il s'inspire beaucoup de ses codes : contexte historique, héros en marge et (presque) aveugle, honneur à défendre, combats brefs et sanglants... L'ombre de Zatoichi plane sur ce récit qui mêle l'intime et le politique (le héros est l'un des protagonistes de l'épisode de la chute du roi Gwanghaegun et part à la recherche de sa fille, capturée par d'anciens rivaux), au point de conclure son redoutable climax sur la rencontre entre ces deux échelles d'enjeux.

Mais l'originalité du long-métrage et les raisons de sa popularité (il s'est attiré les faveurs de Polygon et The Guardian) ne résident pas dans son scénario, certes efficace, mais bourré d'archétypes. The Swordsman est avant tout un pur film d'action, minutieusement chorégraphié et interprété par quelques artistes martiaux en pleine possession de leurs moyens.

 

photoÇa tourne mal

 

Le plus célèbre d'entre eux est bien Joe Taslim, comédien indonésien issu de la petite équipe révélée par The Raid. Parmi ses membres, il est de ceux qui ont le plus réussi à faire leur trou à Hollywood grâce à des petits rôles dans Fast & Furious 6 et Star Trek : Sans Limites, puis à un très bon personnage dans la série Warrioravant de se fourvoyer dans le gâchis Mortal Kombat. Mais les amateurs de baston le connaissent surtout pour le grand-guignolesque The Night comes for us, bain de sang absolument jouissif. Sa présence dans un film de sabre n'a rien d'incohérent : il confère au méchant une véritable physicalité brute, qui s'oppose à la fine lame du personnage principal.

Personnage principal campé par Hyuk Jang, un acteur plus classique, mais tout de même habitué des arts martiaux et des films en costume puisqu'il était à l'affiche du drama historique Chuno et du long-métrage Dance of the Dragon. Son implication était primordiale et elle ne déçoit pas. Car ici, tout repose sur les scènes de confrontation, qui tirent le meilleur de leurs modèles sans pour autant en perdre leur identité, à savoir une certaine nervosité permise par une mise en scène moderne quoique jamais assez frénétique pour hacher les performances.

 

photo, Hyuk JangÇa va trancher, chéri

 

Finalement, The Swordsman est à l'image des quelques honnêtes propositions qui ont précédé : il emprunte à ses voisins asiatiques sans pour autant singer leurs esthétiques. Et le résultat, forcément, tranche avec la concurrence.

Ceci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?

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commentaires
Kehinde
18/11/2021 à 09:42

Merci pour ce dossier, où est-il possible de voir légalement les deux premiers films ?

L'autre
17/11/2021 à 16:17

Tiens pourquoi il y a pas "la Proie" avec notre Christophe "hinhinhin"Lambert national ? Il coupe les pommes comme personne dedans !