Frankenstein, Sister Hyde et les vampires lubriques de la Hammer vous attendent sur Shadowz

Simon Riaux | 4 juin 2021 - MAJ : 07/06/2021 12:07
Simon Riaux | 4 juin 2021 - MAJ : 07/06/2021 12:07

Shadowz, la première plateforme française dédiée aux cinémas de genres, accueille sept films de la Hammer, qui débordent de folie, de suceuses de sang, de gorgones, de savants fous, de cadavres ranimés, et d'un paquet d'autres surprises.

Créée à la veille de la Première Guerre mondiale, la Hammer est ce légendaire studio britannique qui donna ses lettres de noblesse à un cinéma gothique populaire, permit l'avènement de stars telles que Christopher LeeIngrid PittPeter Cushing, offrit un terrain d'expression idéal à des artistes de la trempe de Terence FisherFreddie Francis ou encore Robert Young. Leur image est chère au coeur des amateurs de fantastique, souvent associée à une certaine enfance de l'art, avant que ne déferlent sur les écrans les hectolitres d'hémoglobine accompagnant l'essor du gore, ou la révolte politique consubstantielle au Nouvel Hollywood.

Mais à bien y regarder, du temps de ses succès populaires, au coeur de son âge d'or, ou durant sa décadence seventies, la Hammer a toujours préservé des espaces de créations résolument à part, des arènes de folie, où s'exprimaient des créateurs à rebours ou en avance sur leur époque. La preuve, avec les sept surréalistes bijoux que vient d'accueillir la plateforme Shadowz (et que vous pouvez visionner par ici)

 

photoUn festin en perspective !

 

DOCTEUR JECKYLL ET SISTER HYDE (1971)

Le scénario de Brian Clemens est né d'une plaisanterie, formulée au cours d'une soirée fortement alcoolisée. Et si le tragique Docteur Jekyll, imaginé par l'écrivain Robert Louis Stevenson n'était pas une "simple" allégorie de l'opposition entre le "ça" et le "surmoi" Freudien, mais aussi une incarnation des questions d'identité, de genre, de désirs contrariés et globalement de sexualité inassouvie qui traversent alors le corps social ? Les années 70 démarrent en trombe, le féminisme comme la libération sexuelle secouent l'Occident, et c'est le plus sérieusement du monde que le scénariste va s'évertuer à faire de synopsis un brin potache un long-métrage fantastique plus que recommandable.

 

photo, Ralph BatesLe bon docteur va passer un sale quart d'heure

 

Il faut dire que l'intrigue a l'excellente idée de ne pas en rester aux seules promesses de son point de départ puisqu'elle convoque la figure de Jack l'Éventreur, mais aussi celles des funestes Burke et Hare, trafiquants de cadavres demeurés des icônes de la culture populaire (portés au cinéma dans Rue de la violence ainsi que dans Cadavres à la pelle). Un mélange entre pure fiction, grand délire et histoire qui s'avère payant, d'autant plus que la mise en scène est également très réussie. Roy Ward Baker est parfaitement à l'aise avec le décorum victorien, tout comme il emballe quantité de jeux scéniques ludiques pour orchestrer les changements d'identité de son anti-héros. Avec malice, il explore les pulsions, fantasmes et tourments qui minent ce pauvre Jekyll, propulsant le film bien au-delà de nos attentes.

Autre atout, l'interprétation de Ralph Bates ainsi que celles de Martine Beswick. Tous deux sont charismatiques en diable, dangereusement retors, aussi à l'aise dans le registre du pur fantastique, que celui de l'horreur, mais aussi de la série B volontiers aguicheuse, qui se plaît à retourner son spectateur comme un gant. Il faut dire que l'intelligence avec laquelle le film questionne l'identité de ses personnages, leur binarité et leur rapport au genre, rappelle aussi bien que ces thèmes n'ont pas attendu les années 2010 pour émerger au cinéma, et jouissaient alors d'une attention remarquable.

 

photo, Martine BeswickUne Sister qui voit vite rouge

 

LE CIRQUE DES VAMPIRES

Tout est dans le titre comme on dit. Alors que la Hammer ne sait plus trop où donner de la tête pour offrir au public des gages de modernité, elle confie au jeune Robert Young l'opportunité de réaliser son premier long-métrage. Et l'aspirant metteur en scène va tout donner pour faire honneur au scénario bizarroïde sorti des cerveaux de George Baxt et Wilbur Stark.

Non pas que leur travail brille par son originalité, il est même terriblement prévisible et souffre d'un rythme pas des plus cinglants... mais offre un terrain de jeu totalement dément pour qui ne se prend pas trop au sérieux. Il faut dire qu'avec son intrigue à base de village maudit, d'épidémie louche, et de troupe de cirque portée sur le suçage de carotide, tout est réuni pour nous plonger dans un climat de joyeuse hallucination.

 

photo, Robert TaymanQuand le sang de villageois a tourné

 

Hallucination qui ne lésine pas sur les effets sanglants et l'érotisme, qui se marient curieusement avec l'héritage vampiro-gothique du studio pour virer à la fable lunaire. Il faut dire que si le ton de l'ensemble lorgne clairement vers une prolongation du cinéma psychotronique des sixties, le décor du cirque autorise la caméra à rejouer une version azimutée du culte Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning.

Mais en lieu et place de la gravité, c'est une folie douce qui s'installe, alors que villageois et vampires multiplient les références aux gloires passées de la Hammer. Ajoutons à cela la lubie d'un jeune metteur en scène pour l'usage de véritable chauve-souris, et on obtient une troupe de cirque aussi affamée que haute en couleur.

 

photo, Skip MartinSi après ça vous n'aimez plus les clowns...

 

SUEURS FROIDES DANS LA NUIT (1972)

Quand un des scénaristes les plus doués de la maison Hammer se lance dans la mise en scène, il ne fait pas les choses à moitié. Il faut dire que Jimmy Sangster connaît son affaire. Grand amateur de Clouzot, connaisseur de Hitchcock et passionné par les travaux de Richard Fleischer, il a notamment signé des classiques tels que Frankenstein s'est échappé !Hurler de peur ou Le Cauchemar de Dracula. Ce sont ces multiples influences qui se rencontrent dans Sueurs froides dans la nuit qui s'échappe de la tradition gothique du studio pour nous immerger dans un pur récit de psycho killer, dont le fétichisme annonce déjà l'avènement du giallo et les chocs esthétiques que délivrera Dario Argento.

On suit ici une jeune femme, traumatisée par une violente agression, qui se retrouve bientôt poursuivie par un mystérieux assassin, équipé d'une prothèse de bras mécanique, tandis que son entourage craint qu'elle n'ait sombré dans la folie. La parenté de ce récit avec L'Étrangleur de Boston est évidente, et on sent avec quelle gourmandise le cinéaste se plaît à jouer aussi bien avec les nerfs du public que de ses personnages. Protagonistes tous incarnés par un casting aux petits oignons. L'indéboulonnable Peter Cushing campe un enseignant faussement affable, tandis que Ralph Bates trimballe une ganache douloureusement ambiguë.  Mais c'est sans doute la confrontation entre Judy Geeson et Joan Collins qui réjouit le plus, Sangster captant avec appétit les sommets de tension traversés par la première et la perversion prédatrice de la seconde.

 

photo, Judy GeesonLe plastique, c'est fantastique

 

THE VAMPIRE LOVERS (1970)

Quand la Hammer profite du relâchement de la censure au début des années 70, c'est pour adapter un des tout premiers textes à traiter de vampirisme. Signé Sheridan Fanu, il contient quantité de sous-entendus saphiques, et il ne fait pas grand doute que quand le studio met en branle son projet, ce n'est pas tant à visée féministe que pour proposer aux spectateurs un divertissement violent, et débordant de sexe.

Et pourtant, le résultat s'avérera une curiosité, un des films d'exploitation les plus avant-gardistes et atypiques de son temps. Et pour cause, l'invincible Cushing y interprète un chasseur de vampires, dont l'adversaire se trouve être une vampire désireuse de sucer de la pucelle, afin de corrompre la bourgeoisie victorienne.

 

photo, Madeline SmithDe bien beaux rêves

 

Sauf que pour rendre compte de cette abomination immorale, le film doit bien en rendre compte et donc montrer la formidable prédatrice à l'oeuvre, séduisant et détournant la jeunesse de la vertu. S'en suivent donc des scènes de sexe lesbien, centrées exclusivement sur la notion de plaisir féminin. Une première pour l'époque et un véritable bâton de dynamite entre les mains de la Hammer qui tient là un objet de culte instantané et de scandale. Il faut dire que la firme a eu du nez en confiant le rôle à Ingrid Pitt, dont le charisme crame littéralement la pellicule, et finit même par retourner le point de départ du film. Le long-métrage suffira seul à façonner son aura de star sulfureuse.

En effet, cette femme puissante, émancipée, qui explique à ses "victimes" que les hommes vont désormais les traquer et comptent bien les réduire au silence, n'expose-t-elle pas un autre vampirisme, authentique celui-là ? Évidemment, il convient de ne pas transformer non plus ce qui demeure un - éclatant - film d'exploitation en manifeste politico-sexuel, mais impossible, en découvrant le film aujourd'hui, de ne pas être saisi par sa dimension visionnaire et pop, ainsi que par sa charge érotique, surannée et datée, mais en grande partie intacte.

 

photo, Ingrid PittLes liaisons dangereuses

 

UNE FILLE POUR LE DIABLE (1976)

Ultime film d'épouvante de la Hammer, si on excepte sa brève résurrection au tournant des années 2000, Une fille pour le diable a des airs de baroud d'honneur surpuissant, en cela qu'il réunit la vibration outrancière, voire kitschouille des derniers éclats de la firme, et le talent opératique qui marqua ses plus grands succès.

Il y sera question d'un ancien prêtre converti au culte d'Astaroth, un démon charmant, qui réclame rien moins qu'une sympathique jeune vierge pour une poignée de rituels orgiaques. Pour ce faire, notre démoniaque ex-curé envoie ses fidèles aux trousses d'une bonne soeur à peine nubile, tandis qu'un occultiste ami de son père tente de la protéger.

 

photo, Nastassja KinskiUne drôle d'épiphanie

 

On sent ici et là que le projet veut prendre la suite des Rosemary's Baby, tout en capitalisant sur le récent succès de L'Exorciste, qui a remis soutanes et possessions en tout genre au goût du jour. Mais le réalisateur Peter Sykes propose bien plus qu'une resucée sataniste. On est tout d'abord frappé par son sens de la narration, un art de la composition classique, voire classieux, qui confère à l'ensemble une très haute tenue. Fait rare, même lors de ses passages les plus volontiers grotesques ou propices à l'exagération, le film demeure impressionnant, pernicieux, redoutable. En particulier grâce à sa direction artistique qui assume perpétuellement le bizarre, comme cette idole en forme de crucifiés plus ou moins sado-maso, ou cette orgie détonnante.

Autant d'éléments qui semblent annoncer l'inquiétante étrangeté que dégage la communauté impie du tout premier Silent Hill. Mais si le film est aussi puissant, c'est également grâce à ses interprètes. À commencer par Nastassja Kinski, qui du haut de ses 14 ans, livre une performance hallucinante, encadrée par deux monstres sacrés. D'un côté, Christopher Lee, qui n'a peut-être jamais été aussi flamboyant et authentiquement menaçant, mais également le phénoménal Richard Widmark. Second rôle génial des films noirs des décennies passées, il se dévêt ici de ses oripeaux de salaud médiocre et fiévreux, pour composer un occultiste grave, qui injecte une empathie et une angoisse bienvenue au sein de l'oeuvre.

 

photoBaby blood ?

 

LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN (1958)

Considéré aujourd'hui comme un classique et peut-être le chef-d'oeuvre incontestable de l'âge d'or de la HammerLa Revanche de Frankenstein connut pourtant un destin heurté et un désamour du public. Suite directe de Frankenstein s'est échappé !, le film est écrit par l'excellent Jimmy Sangster, à qui on ne laisse qu'une quinzaine de jours pour rédiger une première version d'un opus qui se transforme instantanément en succès international. Il faut battre le cadavre tant qu'il est chaud.

Terence Fisher se retrouve avec entre les mains une intrigue qui pourrait paraître bien peu ambitieuse (le vilain Frankenstein échappe à la guillotine, fuit en Europe de l'est... et recommence ses expérimentations), mais sous ses airs programmatiques, elle va pousser plus loin tous les curseurs et contribuer à forger une vision radicale et maximaliste du Prométhée moderne imaginé par Mary Shelley.

 

photo, Peter Cushing"Attention docteur, vous allez encore vous salir les mains !"

 

La narration fait du savant un être fascinant et monstrueux, capable de toutes les atrocités pour accomplir son destin, se considérant désormais comme l'égal d'un  dieu. Une partition en or pour Peter Cushing, qui trouve là le rôle de sa vie, et compose un pas de deux macabre absolument sidérant avec Michael Gwynn, lequel campe une créature pathétique, affamée, violente et victime de l'hubris d'un créateur toxique.

Sans doute une des adaptations les plus libres, mais aussi les plus accomplies du matériau original, le métrage jouit de tout le savoir-faire de Fisher, alors en pleine maîtrise de son art, grâce notamment à sa collaboration avec le chef opérateur Jack Asher. Capable de ménager un réalisme inquiétant et de pures saillies baroques, le film choqua son public par sa dimension très graphique pour l'époque, ainsi que son traitement vicieux de questionnements moraux profonds.

 

photo, Peter CushingQui est le véritable monstre ?

 

LA GORGONNE (1964)

Voici probablement un film mineur de la Hammer, mais qui témoigne à la perfection du degré de réussite où en était rendu le studio au mitan des années 60, capable de décliner à l'envi des produits passablement bordéliques, et pourtant desquels émane un charme indéniable. Vous aimez l'Europe de l'Est du début du XXe siècle ? Les mythes grecs ? Les vilaines créatures mythologiques féminines qui font rien que s'en prendre aux hommes ? Les acteurs cabotins ? Les fausses moustaches encombrantes ? Réjouissez-vous, La Gorgone contient tous ses ingrédients et bien d'autres encore.

 

photoTitanic n'a rien inventé !

 

Il y est question du fictif village de Vandorf, dont le médecin tente de dissimuler une série de meurtres pour le moins étranges. De plus en plus fréquemment, un quidam finit pétrifié, aux abords d'un vieux château en ruines. C'est tout à fait logiquement l'oeuvre de la gorgone, venue apprécier les rivages d'Allemandie pour se remettre de millénaires de récits cruels en Grèce. Face à elle, Peter Cushing assure le service en minimum en toubib Frankensteinien (et amoureux), tandis que Christopher Lee redéfinit les contours de la notion de surjeu, armé d'une redoutable moustache en poil de yack.

Le résultat est curieux, souvent en pilote automatique, désireux d'appliquer sérieusement une formule éculée. Grâce à des équipes alors rodées à la fabrication de décors soignés, une photo de toute beauté et un ton mi-solennel mi-rigolard, le résultat demeure divertissant et gentiment iconoclaste. Comme une gorgone chez les teutons quoi.

Ceci est un article publié dans le cadre d'un partenariat. Mais c'est quoi un partenariat Ecran Large ?

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commentaires
Zarbiland
05/06/2021 à 09:02

Belle moisson de film à bébétes cette semaine sur Shadowz :
Orca, Cat's Eye, Hurlements et MAL

alshamanaac
04/06/2021 à 18:49

Manque plus que les intros de Jean-Pierre Dionnet et c'est bon, c'est ambiance Cinéma de Quartier...

https://www.youtube.com/watch?v=chCuEs_9AsU