Le mal-aimé : Hacker, beau prolongement de Collatéral et Miami Vice, avec Chris Hemsworth

Salim Belghache | 10 avril 2021
Salim Belghache | 10 avril 2021

Parce que le cinéma est un univers à géométrie variable, soumis aux modes et à la mauvaise foi, Ecran Large, pourfendeur de l'injustice, se pose en sauveur de la cinéphilie avec un nouveau rendez-vous. Le but : sauver des abîmes un film oublié, mésestimé, amoché par la critique, le public, ou les deux à sa sortie.

Place à Hacker, désormais sur Netflix. L'occasion de le voir ou de le revoir.

 

Affiche

"tout dans Hacker en revient au plus rigide prosaïsme et à une mécanique de recyclage qui donne l’impression d’un catalogue presque parodique de tous les clichés manniens." (Cahiers du cinéma)

"Hacker a tout pour agacer : sous le vernis clinquant de l’habituelle et splendide image HD, avec ses cités nocturnes illuminées, se niche un récit gras et invraisemblable, sorte de jeu mondialisé du gros matou et du rat. "(Transfuge)

"Qu’est-ce qui est pire : le héros insipide doté de ­superpouvoirs (force, sex-appeal, ingéniosité, expertise informatique ou médicale), ou la vision psychédélique des bits numériques parcourant les circuits imprimés ? On hésite." (L’humanité)

 

 

 

Le résumé express

Un programme informatique malveillant déclenche deux énormes accidents : une explosion dans une centrale nucléaire Hong-Kongaise et une spéculation catastrophique sur le cours du soja. Le gouvernement chinois engage l’un de ses principaux experts en informatique, le capitaine Dawai Chen.

Ce dernier souhaite s’unir avec le FBI pour sortir de prison son compagnon de chambrée au MIT, Nicholas Hathaway, responsable du code utilisé par l'auteur des attentats informatiques. Promis à être libéré s'il réussit sa mission, Hathaway sera également accompagné de la soeur de Dawai, Lien. Ces trois personnages et le FBI vont ensemble suivre à la trace l'organisation cyber-criminelle.

Hathaway s'éprend de Lien tout en essayant de ne plus être suivi à la trace par le FBI (qui le repère grâce à la géolocalisation). Néanmoins, une embuscade préparée par le mystérieux ennemi conduit les principaux membres de l'équipe à être tués.

Survivants de la fusillade, Hathaway et Lien vont mettre tout en oeuvre pour finaliser la mission, alors qu'Hathaway est recherché. Après plusieurs péripéties, Hathaway affronte en plein coeur d'une cérémonie à Jakarta, l'auteur des attentats. Il le tue et le couple de héros prend la fuite à l'aéroport de la ville. 

FIN

 

PhotoJe vais me balader aux Champs-Élysées

 

Les coulisses

Au départ, Hacker est d’abord un script écrit par le scénariste Morgan Davis Foehl, qui a puisé des éléments du livre du hacker Kevin Poulsen, Kingpin : How One Hacker Took Over The Billion-Dollar Cybercrime UndergroundUn scénario que Michael Mann a passé deux ans à peaufiner en faisant des recherches sur la cybercriminalité. Connu dans le milieu du cinéma pour être un perfectionniste, le réalisateur et producteur du film a vraiment pris à bras le corps son nouveau projet.

Un événement a précédemment changé la perception du réalisateur. Il s’agit de l’épisode du Stuxnet, un ver informatique découvert en 2010, à l’origine d’une dégradation au sein d’une usine d’enrichissement en uranium en Iran. Le cinéaste mentionne dans une interview pour Premiere, l’importance de ce choc :

 

photo, Tang Wei, Chris Hemsworth, Holt McCallanyIls ont pris le temps de tout regarder

 

« J’ai eu une grande révélation : si le logiciel malveillant était une personne, ce serait un drame. C’est complètement dramatique : ça s’insinue, en prétendant être autre chose, et ça prend contrôle de la surveillance et s’arrange pour que les indicateurs disent "tout va bien". Puis ça se déplace pour dérégler le système, puis ça se déplace encore ailleurs pour détruire tout système qui signalerait le dysfonctionnement. Ça ressemble à un jeu d’échecs en trois dimensions. Je me suis rendu compte que le code (cryptage) était devenu la première arme numérique, comme un drone furtif. Il frappe, mais on ne prend conscience de l’impact qu’un an et demi plus tard. Ça m’a fasciné. »

Pour la cohérence de son long-métrage, le réalisateur s’est donc entouré de Kevin Poulsen et Christopher McKinlay, qui a notamment hacké le site de rencontre OkCupid pour rendre son profil attractif. Consultants sur le film, ils ont aidé le cinéaste à façonner le personnage d’Hathaway et à comprendre les motivations d’un hacker. En revanche, Mann s’est aussi globalement inspiré du célèbre hacker Stephen Watt pour son personnage principal, connu pour son implication dans la violation des données de la multinationale américaine TJX, au milieu des années 2000.

 

photo, Ritchie CosterAppelez la police svp

 

Le box-Office

On pouvait se dire début 2015 que Michael Mann, le réalisateur du chef-d’œuvre Heat, et Chris Hemsworth, en pleine bourre des succès du MCU, allaient faire des étincelles. Un grand réalisateur avec un acteur à la mode, Universal avait toutes les cartes en main pour une pleine réussite au box-office.

Il n’en fut rien puisque le premier week-end du film aux États-Unis a été une catastrophe avec seulement 4 millions de dollars récoltés. L’échec en salles du long-métrage s’explique en grande partie par la bombe American Sniper. Le film de guerre réalisé par Clint Eastwood a été une véritable vague déferlante, récoltant sur le sol américain environ 350 millions de dollars pour un budget de 58 millions de dollars.

 

photo, Michael MannMichael Mann apprend le cinéma à Chris Hemsworth

 

Ce dernier a entraîné la chute de certains de ses concurrents, dont Hacker. Au total, le dernier film de Michael Mann n’a récolté que la modique somme de 19,7 millions de dollars contre un budget de 70 millions de dollars (hors promotion). Un échec monumental que l’on peut supposer logique puisqu’Universal Pictures l’a vendu comme un film d’action bourrin avec Thor qui sait se servir d’un ordinateur.

La campagne marketing mal pensée a principalement misé sur les facultés athlétiques du colosse Chris Hemsworth au détriment de l’aspect plus psychologique des personnages et de l’intrigue. Finalement, l’acteur n’attirera pas grand monde, notamment en France avec seulement 145 000 entrées. Le plus mauvais score du cinéaste depuis son film sur l’industrie du tabac, Révélations.

Pour certainement pallier l’échec de son long-métrage, Michael Mann a élaboré une director’s cut de 136 minutes. Elle avait pour particularité de placer la séquence d’ouverture de la version cinéma au milieu du film. Après avoir été diffusée sur FX le 9 mai 2017 et disponible sur Direct TV, cette version a été finalement retirée de la circulation.

 

photo, Chris Hemsworth, Tang WeiVoilà comment Hacker a fui le box-office

 

Le meilleur

Tout d’abord, Hacker peut être vu comme le prolongement de Collatéral et de Miami Vice. Un peu comme une trilogie, Hacker y figure comme une synthèse des deux précédents longs-métrages. Au niveau des thèmes explorés, on retrouve un individu perdu dans un monde en pleine transformation qu’il essaie tant bien que mal d’habiter.

La qualité indéniable du long-métrage est sans contexte la virtuosité de la mise en scène. Michael Mann nous étonne à nouveau par la beauté de ses plans. On peut mettre en avant les séquences d’étreintes filmées avec douceur entre Hathaway et Lien Chien. Éclairées en vert et bleu, les séquences rendent l'univers coloré du monde urbain. Une fascination pour cet univers que Mann parvient à parfaitement mettre en forme.

Oui, Hacker a une particularité commune avec les précédentes productions du cinéaste américain : il nous procure des sensations à partir de la mélancolie de notre monde. Par ailleurs, l'utilisation du numérique participe grandement à notre perception. La maîtrise de l’outil numérique est flagrante et fait de Hacker, un film très important de l’histoire du cinéma numérique. 

 

photo, Chris HemsworthJ'ai un double appel sorry

 

La forme n’est pas simplement là pour faire jolie, elle est porteuse d’une ambition sincère de la part du réalisateur. Le film matérialise en effet par sa réalisation, une vision très politique du monde. Hacker est une véritable exploration des nouveaux enjeux de l’informatique et de la cybercriminalité. Certes, cette perspective est plus difficile à appréhender pour le spectateur, mais rend l’objet cinématographique tout à fait passionnant.

Il est à noter également que la principale force du long-métrage vient de son casting féminin. Les actrices du film Tang Wei (Lien Chien) et Viola Davis (Carol Barrett) livrent chacune une performance remarquable. Elles arrivent parfaitement à nous capter par leur interprétation à différents moments du film notamment des traumatismes liés à la perte d’un être cher (le mari de Caroll Barrett est mort le 11 septembre et la mort du frère de Lien Chen dans le film). La comédienne chinoise Tang Wei est une véritable révélation que l’on retrouve d’ailleurs dans la révolution 3D Un grand voyage vers la nuit.

 

Photo Tang WeiUne vraie actrice est née

 

Le Pire

Même si le long-métrage de Michael Mann présente des qualités qui font de lui un des films les plus importants de ces dernières années, la mécanique globale déraille par moment. Le principal problème du film est son interprète principal. Chris Hemsworth n’est certainement pas le pire des acteurs au monde, loin de là, mais ici, l’acteur ne brille pas par un jeu expressif.

 

Hacker, HackerIl ne faut vraiment pas le rater sur Netflix

 

Paradoxalement, cette performance en demi-teinte est cohérente avec son rôle. Ce personnage fantomatique et nihiliste doit être en toute logique désincarné et même si on n'est pas très fan, le choix d'Hemsworth paraît logique. D'ailleurs, Hathaway est similaire en tout point au personnage mannien développé depuis Le Solitaire avec James Caan, avec une vision pessimiste du monde qui l’entoure.

On peut également reprocher à Michael Mann le traitement des antagonistes, pas souvent présents à l’image. Mais encore une fois, ça reste dans l’esprit du film qui pose de nouvelles bases de la cybercriminalité, plus discrète et souvent anonyme.

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commentaires
Birdy en noir
14/04/2021 à 08:56

@ Benn : bien vu l'artiste.
Tu as complètement raison. Je l'ai revu il y a qqes jours suite à l'article, et tout de même des moments étranges de spleen qui s'enchainent moins bien qu'avant. Comme si une scène entre chaque manquait au montage. Mais ça reste un film sensoriel, à la Mann, qui plonge ses héros dans l'intrigue, certes, mais surtout dans un contexte qui les bouffera, parce qu'au final, les soucis qu'ils affrontent dans le film sont le résultat d'un constat plus général : notre monde est foutu, il s'est tiré une balle dans la tête et les héros ne peuvent que gagner un peu de temps.

Boddicker
12/04/2021 à 14:28

Hemsworth, grosse erreur de casting : Van Damme aurait sauvé le film dans le même rôle.

Moixavier58
11/04/2021 à 17:02

Le director'cut, je l'ai vu car c'est le seul dispo en telechargement illegal. Le gus c'est dit j'ai une copie demat du cut, autant profiter le "monde"

Cat24
11/04/2021 à 10:57

Belle esthétique c'est vrai, mais film totalement ennuyeux. Chris Hemsworth est beau ok mais il est bon seulement dans le registre comique. Bref rien à voir avec Heat, Pacino et De Niro, ou même Miami Vice

Benn
11/04/2021 à 07:35

Pour ceux qui n'apprécient plus les personnages de Mann. Il faut les aborder via le prisme de l'image. Depuis son utilisation du numérique Mann épouse la psyché de ces personnages via l'image de manière jusqu'aubourtiste. Sa reprise de ses codes est présente mais subtilement différentes. Mann ayant créé ses codes ils les convoquent pour présenter des variations. Son plan Mannien habituellement sur l'eau est ici un tarmac bétonné avec aucune autre horizon que des bâtiments bétonné. Le personnage sort donc de prison mais reste prisonnier d'un monde gris et déprimant. Comme pour tout personnage Mannien, ils sont tous très développé dans la phase d'écriture et Mann garde dans le film le minimum nécessaire au niveau des dialogues pour expliciter ses personnages mais nous dit beaucoup par sa mise en scène et par leur comportement dans l'action. Comme tout Michael Mann, la répétions des visionnages permet de percevoir de plus en plus d'élément qui présentent un tout cohérent quant à la vision de Mann sur ce que le monde et système moderne est et comme il façonne et créé une emprise totale sur l'individu. Il sous entend ici par son final que l'on ne peut plus y échapper quelque soit notre niveau de compétence. Condamné à cavaler jusqu'à la capture

Tnecniv
11/04/2021 à 05:33

Les seuls films que j'apprécie toujours de ce réalisateur sont Heat et Manhunter , pour le reste je continu d’apprécier son taf sur la réalisation, mais en ce qui concerne les personnages ... j'ai l'impression qu'il sombre un peu plus à chaque films, je jugerai pas sur Public ennemi que je n'ai pas vu, mais par exemple il m'est impossible de ne pas penser à une pâle copie de Neil McCauley en regardant Collatéral, certes le personnage a l'air plus compétent/dangereux, le rythme est très bon, l'ambiance et la réal nickel, mais j'arrive pas à trouver le personnage crédible. Miami Vice c'est un peu pareil, ça fait un moment que je ne l'ai pas revu mais je me demande si Colin Farrell ( que je peux apprécier grandement ) était un choix pertinent, sans parler de son aspect certes, moins kitsch que la série mais paradoxalement plus foireux . Et alors sur Hacker ... Je me suis ennuyé des le début, là aussi c'est pas le souci de la réal ni même du scénario sur le papier ( à part ce plan dans les composants qui est resservi 2 fois ... et dont je n'arrive pas à savoir si c'est bon ou mauvais ), mais l'enchainement resto/baston/plumard à eu raison de moi ... Les personnages sont tellement antipathiques, la leçon de moral à deux balles de la meuf au resto, le mec qui raconte sa life en disant que son père était métallo pendant que la caméra se pose sur les muscles du gonze après la partie sous les draps... c'est bien beau l’aspect bleutée, mais là où ça marche avec un Mccauley de dos dans son appart qui regarde la mer, bah là ça fonctionne beaucoup moins pour moi tellement c'est sur-appuyé dans le cliché, seul la scène de baston m'a plus dans son côté sec, mais sur le reste j'ai pas réussi à aller plus loin malheureusement, et ça m'emmerde de le dire .

Benn
10/04/2021 à 20:08

Un Michael Mann reste toujours au dessus du lot. Il n'a pas d'équivalent pour retranscrire visuellement les sensations et émotions de ces personnages. Prolongement total de Miami Vice et de son exploration de ce qui fait notre société moderne. Le plan final étant l'un des plus pessimiste et déprimant de sa filmographie sur ce qu'il dit de l'individu coincé dans les flux constants d'un système dont il n'y a pas de réel échappatoire. Un grand film sur notre époque. Comme souvent ce sens passe par la mise en scène de personnages en constant mouvement détruisant la notion de temps, les points de références étant toujours en mouvement et différents. Des éléments qui peuvent sembler être des facilités ("la romance", "l'antagoniste") font en réalité totalement sens au vu du propos du film. La version director's cut est supérieure à la version cinémas et règle les pbs de structure du film sorti en salle tout en ajoutant une notion de suspense supérieur à l'arrivée de de la séquence d'attaque de la centrale. Tout comme Miami Vice, un grand film sur notre époque.

Ghob_
10/04/2021 à 19:32

Pour ma part, un de mes Mann préférés, autant par sa mise en scène virtuose (et son utilisation, encore une fois bluffante du médium HD) que par le caractère désincarné de la menace qui plane tout du long au-dessus du métrage. Et pour faire écho au dernier paragraphe sur Hemsworth, je le trouve parfait dans son rôle : inexpressif, certes, mais complètement raccord avec le caractère du personnage, constamment sur le fil et ayant forgé une carapace impénétrable durant son séjour pénitencier, le rendant apte à affronter cette menace.
Et puis, bordel, encore une fois, ces gunfights de dingue (notamment la longue scène à Macao, qui envoie clairement du bois et se pose comme l'un des plus grands moments d'anthologie de sa carrière). Heat n'est pas loin.

Bref, je comprends la froideur du public pour ce film pas franchement des plus attractifs pour qui cherche un thriller haletant, mais dans la filmo' de M.Mann, pour moi c'est un sans-faute et même l'un de ses tous meilleurs. Je le revois toujours avec un immense plaisir.
Grand film, en ce qui me concerne !

P.S: Et la scène finale à Jakarta est également un moment de haute volée, entre procession quasi fantomatique et jeu du chat et de la souris sur tapis de couleurs hallucinées. Encore une fois, du grand art.
Merci d'avoir réhabilité ce film, qui pour moi reste un grand moment de cinéma.

Flash
10/04/2021 à 18:59

Mes trois Mann favoris : Le sixième sens
Heat
Le dernier des mohicans

Hunter Arrow
10/04/2021 à 18:29

Honnêtement cest un Mann oubliable et ça me coûte tellement de le dire. Je l'avais globalement apprécié à sa sortir mais peu de souvenirs me sont restés et en tentant de le revoir, je n'ai pas été transcendé. Malheureusement, le bonhomme semble sur la pente descendante depuis Collatéral (Miami Vice, bien que plastiquement irréprochable était fade dans le fond, Public Ennemies quant à lui est un raté). Pour moi le top de Mann reste Heat, Révélations, Collatéral et son moins connu Manhunter.

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