Leprechaun Returns sur Netflix : retour sur une saga très bête et très méchante

Mathieu Jaborska | 28 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Mathieu Jaborska | 28 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

De toutes les franchises de vidéo-club qui ont persisté jusqu'aujourd'hui, Leprechaun est probablement une des plus bêtes.

Entre deux productions young adult aseptisées, Netflix laisse parfois carte blanche à un de ses programmateurs. C'est la seule explication possible à la mise en ligne du dernier opus de la saga débilo-horrifique Leprechaun Leprechaun Returns. Heureux d'attraper cette excuse au vol, Ecran Large se met au vert. On revient sur 15 ans et 8 films d'une franchise nécessitant une dose industrielle de binouze, aussi bien lors de sa création que lors de sa consommation.

 

photo Leprechaun ReturnsLeprechaun in da house

 

Agonie et vidéo-clubs

Sombres sont les années 1990 pour le cinéma d’horreur grand public américain. Après le renouveau artistique des années 1970, le slasher s’installe dans la première moitié des années 1980, avant de ployer sous le poids de ses propres codes. Entre la fin des années 1980 et l’émergence du néo-slasher lancé par Scream, le genre est en complète perdition, condamné à recycler à la sauce n’importe nawak des tropes éculés, à ré-imaginer par l’absurde les dernières grosses franchises encore lucratives, à se parodier sans pour autant trop abîmer les boogey-men qui ont fait leurs grandes heures.

En général, les connaisseurs se reportent à l’échelle de la descente aux enfers, aka la saga Vendredi 13, si représentative de l’évolution du slasher qu’elle incarne aussi bien son apogée que sa surenchère crétine. Dès Jason le mort-vivant en 1986, qui ironise déjà sur le statut d’icône du grand bêta au masque de hockey, les films commencent à sombrer dans les tentatives d’appel du pied aux spectateurs, à la promesse plus ou moins tenue de s’échapper de la formule classique, testée, approuvée, lucrative.

 

photo, C.J. GrahamJason, version mort-vivant

 

Ou un retour à une des ficelles originelles du cinoche d’exploitation : le concept pur. Accrochez-vous, Jason se bat contre Carrie, contre Freddy, le Bigfoot ou Simon Riaux. Il débarque à New York, en enfer (non) ou dans l’espace. Bref, c’est à qui sera le plus délirant, histoire de faire de l’oeil aux habitués des vidéo-clubs, prompts à louer tout ce qui promet tripaille, poitrines dénudées et second degré.

Alors que les suites du genre s’accumulent dans les rayons, et que les profits diminuent, d’autres franchises émergent et sautent les préliminaires pour se vautrer dès le premier opus dans la série B voire Z fauchée. Des sagas interminables, qui hantent cette décennie maudite, pour le plus grand plaisir d’une communauté avide de nanars semi-assumés, dernières incartades bis méprisées par les puristes du 7e art. En 1989, Puppet master et ses marionnettes mortes-vivantes saute la case cinéma pour débarquer directement dans votre Vidéo Futur local. Il sera suivi par 12 suites, dont la dernière a raflé toutes les récompenses au festival de Gérardmer 2019.

Peut-être pas aussi productive, la saga Leprechaun, qui débute en 1993 avec le film écrit et réalisé par Mark Jones, peut tout de même se targuer d’avoir engendré 8 avortons mal dégrossis, dont deux reboots. Une véritable plongée en apnée dans le B/Z demi-parodique de l’époque, après l’âge d’or et avant l’ère de l’introspection réflexive.

 

photo, Warwick DavisUne gueule de porte-bonheur

 

Chaussures et trèfles

Dès le premier film, Leprechaun se veut une comédie d’horreur plus qu’un slasher pur et dur. À l’origine, le scénario en faisait une déclinaison monstrueuse du mythe irlandais, avant qu’un travail de réécriture et la présence de Warwick Davis, tout juste échappé de Willow, sorti en 1988, ne dirige le projet vers la fable humoristique noire.

Le long-métrage carbure directement au concept, empruntant un exotisme de supermarché pour le pervertir dans une recette non-sensique. Comme dans les pires opus de la saga Vendredi 13, Leprechaun premier du nom ne s’embarrasse pas de laisser son boogeyman dans l’ombre, pour le rendre menaçant. Celui-ci avance, exhibe sa perversité en plein dans le cadre. Tout y est évident, grossier, et allergique à la moindre forme de subtilité. Et bien que les suites poussent le délire dans des retranchements insoupçonnés, cette introduction ne manque pas de sel.

 

photo, Jennifer AnistonQu'est-ce qui est petit, vert, et qui monte et qui descend ?

 

Le principe motivant son existence est donc simple : l’exploitation jusqu’à l’absurde des légendes irlandaises, en particulier celle de ce Leprechaun inexplicablement sadique (quoique son histoire est contée dans l'ouverture du 6e épisode, alors patience), obéissant à tous les clichés folkloriques possibles et imaginables. Dans le cas de ce premier film, à la limite de l’indigence esthétique si on remplace le petit psychopathe par n’importe quoi d’autre, c’est la première source d’amusement.

Les références sont parfois bien trouvées, à l’instar de la recherche du trèfle à 4 feuilles, dont les suites feront un usage parfois improbable, l’arc-en-ciel au pied duquel sommeille l’or, ou surtout l’inclinaison de l’odieux personnage pour le cirage de chaussure, au sens propre. La scène la plus drôle du film voit les survivants lui balancer leurs pompes pour s’enfuir, profitant de son obligation de toutes les nettoyer. C’est bête, et ça ne cherche pas à élever sa bêtise, avec une mise en scène toute au service des rires de Warwick Davis. Un manque d’inventivité esthétique qui sera la marque de fabrique de la franchise, à quelques exceptions près.

 

photoSurprise inside

 

« Well, that esqualated quickly ». Ce meme préhistorique ne pourrait mieux décrire l’escalade de stupidité à laquelle a cédé la licence passé un premier opus qui n’avait pour lui que la perversion d’une figure mythologique. Le deuxième, qui vomit métaphoriquement sur la tombe de James Whale en accaparant le titre La Fiancée de Leprechaun (4 ans après La Fiancée de Chucky) reste encore dans le raisonnable. Dans un cadre bien plus urbain, il ajoute ce qui manquait à son prédécesseur pour se revendiquer du bon gros Z qui tâche : du cul et du gore.

Si Leprechaun minimisait la perversité lubrique de l’antagoniste, sa suite fonce à fond dedans, autorisant le traditionnel plan-nichons et des mises à mort bien plus saugrenues. Le personnage éponyme gagne ses dernières lettres de noblesse, c’est-à-dire un sadisme, un sexisme et un racisme à toute épreuve. Une générosité certaine, qui en fait peut-être le plus divertissant des premiers films de la saga, très à l’aise dans son époque.

 

photoLa belle (à gauche) et la bête

 

Cosmos et gangsta rap

Les suites capitaliseront bien moins sur les motivations du bestiau que sur ses lieux de vacances. Après Las Vegas, la saga débarque, dès le quatrième film, direct dans le cosmos, quatre ans avant Jason X. Si on vous avait dit que vous alliez reconnaître l’avant-garde de la franchise dans cet article avant de l’ouvrir, nous auriez-vous crus ? Il est de bon ton de prédire la mort d’une franchise aussi stupide après son passage dans l’espace, comme risquent de le prouver les Fast & Furious dans quelques années. Mais Leprechaun a sa propre échelle de la surenchère, puisque les deux derniers longs-métrages se déroulent dans un horizon plus lointain encore… la banlieue.

Un beau panorama de la franchise, qui bouffe à tous les râteliers, entre la morale anti-jeu de l’épisode de Las Vegas, difficile à prendre au sérieux quand un des personnages déballe le poème « Si tu veux de la magie, penche toi, je sortirai un lapin de ton cul », et la parodie de La Mouche de son embardée spatiale, curieusement la partie la plus réussie du film.

 

photoLe rinçage d'oeil le plus gratuit de l'histoire du cinéma

 

Le sommet est atteint avec les épisodes 5 et 6, qui déroulent les pires clichés de la blacksploitation. La première partie de ce diptyque surréaliste lorgne la comédie musicale hip-hop, embarquant même Ice-T, toujours là pour honorer les pires rejetons des années 2000 de sa présence. La deuxième se la joue carrément commentaire social à la Candyman, l’intelligence en moins, pour se démarquer de son aîné. Nul doute qu’Eminem, Curtis Hanson, Scott Silver et Jesse Wigutow s’en sont inspirés pour 8 Mile (en fait non). À noter que ce dernier opus devait se dérouler à l’origine en plein Spring Break. On aurait payé cher pour voir ça.

Nouvelles règles, nouveau lieu, nouvelle chair à canon à déshabiller puis à trucider. Une recette qui persiste bon an mal an, malgré des budgets toujours anémiques et un casting rarement impliqué. Passé le premier film, chaque itération s’impose deux ou trois meurtres particulièrement graphiques, ou quelques bonnes répliques du Leprechaun, qui n’a jamais été rien d’autre qu’un vieux crouton salace. Et c’était déjà bien.

 

photo, Warwick DavisStreet cred' au max 

 

Générosité et épilepsie

Car si la saga, dans toute sa décadence, incarne parfaitement l’instant de flottement un peu gras qui caractérise les années 1990, son passage aux années 2000 va se faire dans la douleur, comme souvent pour les produits du genre. L’objet du crime est Leprechaun: Origins, produit par WWE studios, qui en a profité pour remplacer dans le rôle titre Davis par Hornswoggle, une de ses stars. Et pourtant, on ne le voit pas beaucoup dans cette douloureuse adaptation aux standards esthétiques de l’époque. Le leprechaun, ici, est réduit à une version Aliexpress du monstre de The Descent, flou quand il n’est pas violemment éjecté hors champ par une mise en scène qui se contente du pire de la caméra portée post-28 jours plus tard et une photographie digne d’un spot de prévention anti-drogue.

Leprechaun : Origins est de loin le pire opus de la saga, tant il lui retire son seul intérêt, c’est-à-dire l’absurdité de son postulat, pour le remplacer par un point de vue pseudo-horrifique d'une pauvreté aberrante. Le visionnage est éprouvant, et prouve que tout bancals que soient les slashers stupides des années 1990, leur sens de l’escalade vaut bien mieux que l’opportunisme pur. Le film n’aura que deux qualités : être le seul à se dérouler intégralement en Irlande, et faire partie de la carrière du réalisateur Zach Lipovsky, qui enchaînera sur la soporifique adaptation de Dead Rising mais ensuite, aux côtés d’Adam Stein, sur le génial Freaks.

 

photoHeureusement qu'il reste une microscopique part de gore

 

Une catastrophe absolue, contre laquelle s’est insurgé un autre cinéaste en pleine ascension, Steven Kostanski. Après le sympathique The Void et avant le très cool Psycho Goreman, vu cette année à Gérardmer, il propose une nouvelle version bien plus respectueuse du matériau original, une suite directe du premier opus. Abonnés à Netflix, réjouissez-vous, c’est probablement à ce jour le meilleur épisode de la licence. Comme à son habitude, le metteur en scène joue du statut de série B, et pousse son essai dans des extrêmes de ridicule.

Bien sûr, le résultat n’échappe pas au cynisme un peu lourd du moment, à grands coups de remarques très « OK boomer », mais sa générosité l'honore, puisqu'il comporte quelques-unes des morts les plus marquantes de la saga, lesquelles sont toujours accompagnées d’une réplique cinglante, drôle une fois sur 18. On retient notamment une séparation plutôt nette et un arrosage de pelouse corsé, pour ne pas trop en révéler. Le strict nécessaire pour une bonne soirée, en somme. Il ne manquait plus que Warwick Davis, absent une fois de plus (même si Linden Porco s'en sort plutôt bien), pour en faire le film Leprechaun parfait, si tant soi peu que telle chose existe.

 

photo Leprechaun ReturnsLe retour du roi

 

Folklore et mauvais goût

Mais si le dernier opus est le plus fun, pourquoi s’infliger les six autres ? Déjà parce que le visionnage de Romaque vous repoussez depuis trois ans maintenant, peut encore attendre un peu. Et ensuite, tout simplement pour voir le Leprechaun du titre en action. Comme tout slasher qui se respecte, les Leprechaun n’admettent comme personnage principal que le boogeyman, qu’on prend plaisir à voir décimer une fraction de la population avec une force surhumaine aléatoire et des pouvoirs improbables.

Et la saga doit beaucoup au talent de Warwick Davis, qui, après la méga-production Willow, s’amuse comme un petit fou dans les bottes de la créature libidineuse. Son rire reconnaissable entre tous et son accent à couper à la tronçonneuse (« Mi goooold ») l’emportent généralement, et donnent instantanément envie de ne rater aucune de ses péripéties.

Contrairement à Jennifer Aniston, qui aime se moquer régulièrement de ses débuts devant la caméra, l’acteur a rempilé six fois, malgré la débilité progressive de la franchise. Certes, il n’avait pas de Friends qui l’attendait à peine un an après la sortie du premier volet, prêt à faire éclater sa carrière et en faire une vedette. Mais sa bonne humeur est contagieuse, et motive à elle seule le visionnage du marathon. Mais pas tout d’un coup. La santé mentale, c’est important en ce moment.

 

photo, Warwick DavisWarwicked

 

L’attachement envers le facétieux petit être est tel qu’il dépasse largement les prémisses de ses actions, se contredisant entre elles de film en film. Dans l’épisode 3, on apprend que les pièces d’or donnent droit à un voeu. Dans l’épisode 6, on apprend que sa réserve d’or se régénère toute seule.

Autant de particularités qui ne sont exploitées dans aucune autre itération. Complètement anarchique, l’histoire du personnage n’a proprement aucun sens, si bien qu’on pourrait le caractériser par ces quelques mots : « un monstre qui fait des trucs irlandais ». Parfois, il parle en vers, parfois pas. Parfois, il se contente de récupérer son magot, parfois pas. Bref, que les experts de la mythologie ne s’y penchent pas trop.

Leprechaun n’a pour lui que deux qualités : une méchanceté qui tient du mauvais goût pur et un bodycount plutôt élevé. Et mine de rien, ce genre de personnages appartient bien à son époque. Il suffit de voir le carnage de la version de 2014 pour le comprendre. Les figures horrifiques à la fois bêtes et méchantes sont en voie de disparition. Et c’est pour ça que les péloches comme Leprechaun Returns sont précieuses.

Tout savoir sur Leprechaun Returns

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commentaires
nimbari
01/03/2021 à 14:37

prof west Libre à vous de ne pas l'inclure, mais c'est bien une tentative malheureuse de reboot, qui d'ailleurs fait partie du coffret blu-ray regroupant la saga; Mais peu importe, mieux vaut l'oublier.

prof west
01/03/2021 à 07:45

Leprechaun: Origins ne fait pas partie de la saga leprechaun c'est un film a part rien a voir Nimbari

nimbari
28/02/2021 à 14:09

Les Leprechaun sont des films sympatoche (sauf Origins), merci pour cette article.