Passengers : comment la romance SF a failli se transformer en film d'horreur

Alexandre Janowiak | 6 avril 2023 - MAJ : 07/04/2023 09:42
Alexandre Janowiak | 6 avril 2023 - MAJ : 07/04/2023 09:42

Sorti fin 2016 au cinéma, Passengers avec Chris Pratt et Jennifer Lawrence a été présenté comme le grand film de science-fiction spatiale et futuriste de l'année, pressenti pour mener la course aux Oscars et succéder au prestige de Interstellar. Le long-métrage a finalement déçu.

Largement critiqué par la presse (41/100 sur Metacritic), il n'a pas franchement explosé au box-office avec 303 millions de dollars de recettes dans le monde (soit tout juste le double de son budget hors marketing : 120 millions minimum). Une déception notamment causée par le grand final du long-métrage sorti au cinéma, ses rebondissements et sa précipitation.

Pourtant, le film réalisé par Morten Tyldum avait, à l'origine, une intrigue beaucoup plus noire notamment pour son dernier acte. Retour sur cette version originale abandonnée pour celle découverte au cinéma. Et attention, spoilers évidemment !

 

Photo Jennifer Lawrence, Chris PrattAttention, ils observent

 

GENÈSE COMPLIQUÉE

Si Passengers est sorti en 2016, son scénario faisait déjà partie de la Black List (une liste de scénarios appréciés par l'industrie hollywoodienne, mais pas encore produits) dès 2007 et à la troisième position du classement. Concrètement, le scénario de Jon Spaihts plaisait donc à beaucoup de producteurs et était plutôt très convoité.

En 2010, le réalisateur Gabriele Muccino (À la recherche du bonheur) avec Keanu Reeves pour incarner le personnage principal. Cependant, le projet est mis de côté, Spaihts étant repéré par Ridley Scott et lui demandant donc d'écrire un prequel à la saga Aliens, ce qui deviendra Prometheus. Une version du scénario très largement différente du film sorti au cinéma au final d'ailleurs comme l'a récemment dévoilé Damon Lindelof.

Le scénario de Passengers revient donc sur le devant de la scène seulement en 2013, lorsque The Weinstein Company achète les droits lors du marché du film de Cannes. Brian Kirk (passé par Game of Thrones) est alors embauché pour le réaliser. Keanu Reeves est toujours annoncé comme personnage principal et Reese Witherspoon est un temps attachée au projet. Un peu plus tard dans l'année, elle quitte finalement le projet et Rachel McAdams est castée pour la remplacer. Le film est sur la bonne voie avec 35 millions de dollars de budget prévu, mais finalement McAdams abandonne à son tour. Weinstein Company laisse alors le projet à l'abandon.

 

Photo Chris Pratt"Excusez-moi, vous pouvez reprendre je n’ai pas suivi"

 

Jon Spaihts expliquera à Indiewire que ces nombreux faux départs ont largement été causés par la difficulté des producteurs à catégoriser son scénario :

« C'est un drame philosophique, une comédie existentielle, une histoire d'amour, un survival, une épopée spatiale, et ça passe d'un genre à l'autre entre chaque séquence. Les studios résistent à ce genre de fluidité. Ils aiment savoir exactement dans quelle case catégoriser un film, comme ça ils savent le vendre. »

Heureusement, les succès retentissants de Gravity fin 2013 puis de Interstellar fin 2014 relancent les envies des studios. En décembre 2014, c'est finalement Sony Pictures qui remporte les droits aux enchères. Si Keanu Reeves se retire du projet après y avoir été lié pendant sept ans, le studio ne s'inquiète pas. Quelques semaines plus tard, début 2015, Sony embauche Morten Tyldum, frais réalisateur de Imitation Game, pour réaliser le film. Les mois suivants, le casting officiel est révélé : Chris Pratt, Jennifer Lawrence et Laurence Fishburne.

Et vu le succès de Prometheus en salles, le potentiel du scénario de Spaihts explose aux yeux de Sony. Le studio lui accorde donc un budget autrement plus impressionnant que celui de Weinstein avec 120 millions de dollars. Cette fois c'est bon, le film est lancé, mais le scénario va être très largement modifié, notamment son dernier acte.

 

Photo Chris PrattReconfiguration du scénario dans...

 

UNE VERSION CINÉMA FADE

Afin de bien comprendre les différences, revenons d'abord sur la version cinéma. Passengers raconte l'histoire du vaisseau spatial Avalon qui se dirige vers la planète Homestead II. À son bord se trouvent 5000 passagers en hibernation, le voyage devant durer 120 ans. Cependant, au bout de trente ans de voyage, une avarie déclenche le processus de réveil d'un passager : Jim Preston (Chris Pratt).

Il se rend évidemment compte qu'il est le seul à avoir été réveillé, et qu'il ne reste pas quatre mois de voyage, mais 90 ans. Après avoir passé le temps comme il pouvait, désespéré de finir seul il finit par réveiller une autre des passagères dont il est tombé amoureux en lisant ses données : Aurora Lane (Jennifer Lawrence). Conscient de ce que cela implique, il ne dit pas à Aurora que c'est lui qui l'a réveillée et lui ment en expliquant son histoire. Après plusieurs mois à vivre dans le même vaisseau chacun de leurs côtés, les deux se rapprochent et finissent par tomber amoureux.

 

Photo Chris Pratt, Michael SheenLe robot-barman n'a pas suffi à Chris Pratt

 

Maladroitement, Jim avoue que c'est à cause de lui qu'elle n'est plus en hibernation. Horrifiée, elle le hait au point de vouloir le tuer, mais n'arrive pas à aller jusqu'au bout. Elle refuse alors de l'écouter et décide de l'éviter. Sauf qu'au même moment, le vaisseau connaît de plus en plus de pannes et le chef de quart Gus (Laurence Fishburne) est lui aussi sorti de son hibernation à cause d'une avarie, comme Jim.

Le trio investigue alors pour régler le problème. Pas de chance, le corps de Gus n'a pas supporté l'hibernation et se nécrose. Avant de mourir, il confie donc à Jim et Aurora le sauvetage du vaisseau et leur donne son bracelet d'accès spécial équipage pour réussir. Ils découvrent d'où vient le problème et Jim se sacrifie lors d'une sortie en extérieur pour empêcher la destruction de l’Avalon. Alors qu'il est largué dans l'espace à cause des dégradations et manipulations pour protéger le vaisseau, il est sauvé par Aurora in extremis, venue le chercher dans l'espace et l'ayant placé dans la capsule de l'infirmerie pour le soigner.

Le couple se réconcilie, mais Jim découvre que la capsule de l'infirmerie est le moyen de se remettre en hibernation. Comme il n'y a qu'une place, il demande à Aurora de la prendre afin qu'elle puisse vivre jusqu'à l'arrivée du vaisseau à Homestead II et lui redonner une chance de vivre après qu'il l'ait réveillée contre son gré. Elle refuse, et les deux décident de vivre à bord du vaisseau jusqu'à leur mort. 88 ans plus tard, le reste des passagers se réveillent à quelques semaines de leur arrivée sur la planète Homestead II et découvrent leur histoire. Fin.

 

Photo Jennifer Lawrence, Chris PrattLa découverte du réacteur en surchauffe, un suspense bof

 

UN SCÉNARIO ORIGINAL SOMBRE ET TRAGIQUE

À dire vrai, le scénario original ressemble à 75% à cette version cinéma. Toute la partie jusqu'au réveil de Gus comptait peut-être un peu plus d'humour et développait plus profondément ses personnages, mais était très similaire. En revanche, elle traitait la question de la moralité du choix de Jim de réveiller Aurora de manière plus complète et habile, ce qui n'aurait pas fait de mal à la version cinéma.

Par contre, tout le dernier acte a été totalement modifié pour offrir une version beaucoup moins dramatique et moins originale. En effet, dans l'acte final du scénario original de Spaihts, le destin des personnages et du vaisseau était bien plus sombre, noir et tragique.

 

Photo Jennifer Lawrence, Chris PrattUn nouveau départ

 

Le premier gros changement provient du personnage de Gus. Dans la version originale, le personnage était beaucoup plus développé. On apprenait notamment qu'il transportait des colons depuis plus de 600 ans, expliquant également sa maladie/nécrose post-hibernation. Pire, il ne mourrait pas en donnant toutes les informations nécessaires à Jim et Aurora pour sauver le vaisseau, mais se suicidait en se laissant tomber dans le vide de l'espace. Les deux héros devaient donc se débrouiller seuls.

Logiquement, le problème du vaisseau était plus qu'une simple surchauffe du réacteur et se révélait être un bug dans le système. Ils trouvaient alors une solution : redémarrer le vaisseau pour que son ordinateur répare les bugs. Une réussite dans un premier temps qui se transformait en véritable cauchemar. En effet, de manière inattendue, les pods d'hibernation s'éjectaient un à un, le vaisseau rebooté pensant être en phase d'approche. Le duo faisait donc tout pour stopper l'éjection des 5000 pods.

Incapables de stopper le processus dans la salle de contrôle, Jim et Aurora se rendaient dans la nacelle d'hibernation de l'équipage pour activer la procédure d'urgence du réveil du capitaine (Andy Garcia) avant qu'il ne soit éjecté et pour qu'il stoppe ce cauchemar. Au moment même où ses yeux s'ouvraient dans son pod, sa capsule était éjectée dans l'espace.

 

Photo Chris PrattImaginez tous ces pods s'éjecter dans l'espace un à un

 

Impuissants, les deux héros regardaient alors les 5000 pods flottés dans l'espace et leurs passagers disparaître pour toujours dans l'obscurité de l'espace. Jim et Aurora finissaient pas se remettre ensemble, Aurora réalisant que si Jim ne l'avait pas réveillée, elle serait morte dans l'espace. Seuls dans le navire spatial, ils vivaient heureux et décidaient de faire une dernière sortie dans l'espace pour clore leur aventure.

Leur présence se terminait ici dans le film, mais l'intrigue continuait. Quatre-vingts plus tard, le vaisseau arrivait à bon port, et les colons de la planète Homestead II attendaient de découvrir les nouveaux arrivants du vaisseau Avalon. Les portes s'ouvraient... et c'étaient finalement des personnes beaucoup plus jeunes et de nombreux enfants qui débarquaient sur la planète. Fin.

En effet, au début du scénario, Aurora trouvait les milliers d'échantillons de sperme et d'ovules présents à bord du vaisseau. Elle avait donc, sûrement avec Jim, repeuplé le navire avec ces échantillons et des fécondations in vitro. Un plan non explicité dans le scénario original et seulement suggéré (ce qui a d'ailleurs provoqué des confusions dans la compréhension des producteurs lors des premières lectures).

 

Photo Chris Pratt, Jennifer LawrenceUn final plus tragique et plus logique aussi

 

ÇA CHANGEAIT QUOI ?

Globalement, le film aurait donc été beaucoup plus froid, tragique et cauchemardesque autour de la séquence de l'incident que celui sorti au cinéma. Durant toute la séquence de l'éjection des pods, le long-métrage aurait littéralement basculé du film de SF dans l'espace sur fond de romance et crise existentielle en tableau horrifique terrifiant. Cela aurait d'ailleurs permis à Passengers d'étudier plus finement la psychologie de son duo principal et surtout les thématiques de l'isolement et de la solitude.

Difficile cependant de penser que les problèmes éthiques de la version cinéma, très mal traités et largement expédiés notamment dans le grand final spectaculaire, auraient trouvé une plus belle résonnance ici. Évidemment, dans le scénario original, Aurora restait en vie grâce au choix amoral de Jim de la réveiller, mais dans le même temps, la raison pour laquelle il l'avait réveillée n'avait rien à voir avec l'idée de la sauver plus tard. Le scénario original faisait le choix d'estimer que ce réveil avait été finalement un mal pour un bien.

Pas sûr que cela ait été réellement une bonne manière d'excuser le comportement douteux et éthiquement atroce du personnage de Jim dans la première partie du film.

 

Photo Jennifer Lawrence, Chris Pratt"- Ça, tu vois, c'est la version originale, c'était mieux non ? - Ouais, mais tu restes un gros pervers quand même"

 

Bref, chacun se fera son avis sur cette version abandonnée et celle remastérisée pour le cinéma par Sony. On ne peut pas dire que ce scénario original n'avait pas de défauts au contraire. D'un côté, le traitement éthique n'est pas bien plus fin que celui de la version cinéma. De l'autre, la révélation finale avec les nouveaux habitants du vaisseau créés avec les échantillons de spermes et d'ovules aurait également pu être mal comprise par les spectateurs les moins attentifs (sans doute la raison pour laquelle, les producteurs ont supprimé cette idée).

En revanche, une chose est sûre, ce scénario original était plus cohérent, plus palpitant et plus novateur dans sa manière de traiter les questions existentielles au coeur du long-métrage. Enfin, en plaçant une telle noirceur dans un film de cette ampleur et destiné au grand public, il aurait été difficile de ne pas saluer l'audace et le courage du scénario.

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commentaires
Ari G.
07/04/2023 à 19:20

@ Passager clandestin.
Elle est bonne ? Cultivée avec soin probablement. Et cette puissance...

Tom’s
07/04/2023 à 10:41

@ Passager clandestin lol pas d’espace, un dôme , la N@sa Franc-maçonne. Alors dis nous tout il y’ as quoi ? On serais Under the Dome ?

Dutch
07/04/2023 à 01:10

La première partie du film est captivante c'est dommage, sur youtube il y as des scènes coupées qui sont bien flippantes : Aurora découvre les photos de Jim barbu, hirsute et bourré dans le photomaton, loin de l'histoire de héro qui as tenu un an sans craquer, et aussi les outils qui ont servi à ouvrir son pod planqués dans les affaires de Jim.

Mimiuser
30/10/2020 à 00:56

Un seul autodoc pour 5000 passager ça fait léger .... Et .. j'aurais aussi aimer voir pleins de petits bout t'chou à la fin ... Mais bon les ricains auraient crié à l'inceste ... Même après Adam et Ève

Mimiuser
30/10/2020 à 00:55

Un seul auto foc pour 5000 passager ça fait léger .... Et .. j'aurais aussi aimer voir pleins de petits bout t'chou à la fin ... Mais bon les ricains auraient crié a l'inceste ... Même après Adam et Ève

Cricri
27/10/2020 à 14:07

De très bons acteurs flottants dans
l espace...Heu... NON dans leur RÔLE...Personnages et histoire fades...

pjport
27/10/2020 à 13:15

sans spoiler, j'aurais préféré voir des petits bourgeons a la fin !

Chocopuree
27/10/2020 à 11:09

Ce film est pas terrible, et surtout le comportement du personnage de Chris Pratt est atroce.
Il décide , en toute conscience, de la réveiller, la priver de sa vie.
Comme métaphore de meurtre j'ai pas mieux
Je sais pas, juste cette scène, ça vous choque pas ? Après ça tout le reste donne un arrière gout amer de post traumatisme...

Étonnée
27/10/2020 à 10:37

Je suis vraiment très étonnée de lire dans cet article qu'il aurait mieux valu d'un point de vue éthique pour certaines personnes que 5000 passagers soient éjectés dans l'espace et meurent plutôt qu'une seule personne soit réveillée par un mec qui avait déjà tenu 1 an seul et qui devenait fou dans la plus complète solitude en dehors du fait de pouvoir parler à un robot barman. .. Je ne vois pas en quoi son comportement est à gerber, le mec n'avait que les choix de se suicider ou de devenir fou. .. Vous condamnez 1 acte égoïste justifié par le besoin de survivre alors que dans le vie réelle tous les jours chaque personne quasiment fait des actes égoïstes qui ne sont pas justifiés par le besoin de survivre mais juste par manque d'empathie pour les autres et pour les animaux ainsi que pour la planète. Vu la façon dont les industries actuelles foutent en l'air la planète depuis 50 ans en accélérant des processus qui mettraient 50 000 ans dans "un cycle normal" d'évolution de la planète, je trouve qu'on est mal placé pour critiquer un acte comme celui du mec condamné à vivre seul avec un robot barman. Perso j'ai trouvé le film super et j'étais bien contente que ça se termine bien pour les 2 après avoir eu assez de suspense avec les problèmes de réacteurs. Que 5000 personnes soient éjectées dans l'espace et meurent sans jamais arriver à destination n'aurait pas été plus joli moralement ! Dingue ce qu'on peut concevoir les choses différemment... Et puis les fins dramatiques et horribles c'est bon ça fait des années qu'on a que ça, faut arrêter d'avoir un problème avec les fins heureuses !!

Passager clandestin
27/10/2020 à 10:35

ce qui est tres deconnant c'est qu'il y ait pas d'Espace,
du coup, moi ces histoires de Space Odyseee me font rigoler
il ya cette histoire de Dôme in ranchissable, recarossé en ceinture de Van Allen qu'ils peuvent pas franchir, c'est ce que disent les types de la Nasa en 2016 sur youtube lol!
la seul limite de la Nasa Franc Maconne est son imagination et votre credulité mdr

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