La Ligue des Gentlemen Extraordinaires : le désastre qui dégoûta Sean Connery du cinéma

Simon Riaux | 9 octobre 2022 - MAJ : 17/10/2022 18:09
Simon Riaux | 9 octobre 2022 - MAJ : 17/10/2022 18:09

La Ligue des Gentlemen Extraordinaires de Stephen Norrington avec Sean Connery se voulait un blockbuster tonitruant. Mais seul son échec retentit avec fracas.

Comme souvent à Hollywood, tout commence avec un comics d'Alan Moore. Jeu habile sur les mythologies victoriennes et les grands mythes populaires, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires est autant un hommage à la figure des super-héros qui ont longtemps occupé l’auteur, qu’une volonté de les dépasser et de leur offrir des substituts de premier choix. Et comme souvent à Hollywood, qui dit adaptation, dit trahison. 

 

photo, Peta Wilson, Naseeruddin Shah, Sean ConneryLa Ligue des Gentlemen souriants

 

LE CLUB DES LOSERS  

Une des grandes réussites du roman graphique originel était l’équilibre entre ses nombreux personnages, à savoir une troupe d’aventuriers issus de l’imagination de Conan Doyle, Robert Louis Stevenson, Bram Stoker, H.G. Wells ou encore Jules Verne. Réunis pour stopper un complot visant à engendrer un conflit mondial, Mina Harker, le Capitaine Nemo, Alan Quatermain, le Dr Jekyll et L’Homme Invisible forment une détonnante équipe unie contre James Moriarty et Fu Manchu. 

 

photo, Peta WilsonMina, de femme de tête à vampirette

 

Voilà pour le point de départ, que la Fox va passablement maltraiter. Tous les personnages ne sont pas encore tombés dans le domaine public et le studio ne parvient pas à acquérir les droits de Fu Manchu, ni de L’Homme Invisible, son personnage devenant alors “un homme invisible”. Mais le studio n’en reste pas là. Impossible d’avoir une si belle ligue dirigée par une femme, comme chez Moore. Mina Harker passe donc de cheffe à vampire sexy, pour laisser toute la place au Alan Quatermain de Sean Connery. 

Un déséquilibre initial qui modifie l’oeuvre en profondeur, mais sera loin d’être la seule mutilation infligée au récit de base. La production craint que le public américain ne parvienne pas à s’identifier à des héros non-américains, et décide de greffer à cette mauvaise troupe Tom Sawyer, sorte de bourrin poupon surarmé, qui tranche radicalement avec l’esprit de la mythologie de Moore. 

Qu'à cela ne tienne, Sean Connery, qui a refusé coup sur coup Matrix et Le Seigneur des Anneaux, a donné son accord, ce qui fait en soi fait figure d’évènement, et la Fox a sous la main un réalisateur qui pourrait bien faire des étincelles. Quand le tournage démarre à Prague courant 2002, tous les voyants sont encore au vert, et rien ne peut laisser entrevoir la catastrophe qui s’annonce. 

 

photo, Naseeruddin ShahLe Capitaine Nemo dans ses oeuvres

 

MORT À VENISE 

Le nom de Stephen Norrington est presque tombé dans l’oubli aujourd’hui, mais le réalisateur fut perçu comme un des plus prometteurs de sa génération quand il fracassa le cerveau du public avec Blade. Film de super-héros extrêmement violent qui réussissait pourtant à attirer à lui ungrand nombre de spectateurs, son succès fut instantané. Norrington était parvenu à sortir de l’ombre un personnage alors relativement peu connu du grand public, tout en proposant un traitement résolument adulte, foncièrement classieux et techniquement impressionnant. 

Le cinéaste y parvenait à transcender son modeste budget, proposant un métrage intensément spectaculaire, aux effets spéciaux quasiment jamais pris en défaut, grâce à un sens de l’espace, un timing et un montage lui assurant un dynamisme à toute épreuve. Autant dire que ce bon Stephen Norrington venait de décrocher un laisser-passer pour l’autoroute du blockbuster rutilant.  

Malheureusement, il n’a jamais eu à gérer une équipe aussi importante, ni des stars de la carrure de Sean Connery. Et comme le révéleront le Daily Mirror puis Entertainment Weekly des mois plus tard, le réalisateur a bien du mal à trouver sa place sur le massif plateau de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, et ne parvient à manœuvrer ce paquebot qu’au prix de conflits permanents, notamment avec le studio. Les interventions de la Fox le déconcertent, et il perd une énergie précieuse en ferraillant avec les exécutifs. 

 

photo, Peta Wilson, Naseeruddin Shah, Sean Connery"Et il est où le chauffeur ?"

 

Autre problème de taille : le cinéaste est en conflit ouvert avec Sean Connery, lequel ne se cache pas de ne pas comprendre grand-chose à l’univers du film et assume d’être souvent en désaccord avec le réalisateur. Interviewé par Empire, l’acteur Jason Flemyng en parlera ouvertement, se remémorant de très violentes prises de bec. 

« À la fin de la prise, Sean a hurlé sur Norrington “Quoi ? Tu veux qu’on la refasse ?!?” L’autre a répliqué “T’es payé 18 millions de dollars, je crois que c’est pas trop demander”. Mais je ne crois pas que vous puissiez publier ce que lui a sorti Sean après ça. »

Les choses n’en resteront pas là, puisque le metteur en scène et l’interprète de 007 manqueront d’en venir aux mains, après quoi Norrington refusa d’assister à l’avant-première du film et à la soirée qui suivit. À cette occasion, quand la presse demandera à Sean Connery où peut bien se trouver le réalisateur, le comédien répondra : “probablement enfermé dans l’asile le plus proche”

En parallèle, la première société embauchée pour gérer les effets spéciaux donne si peu satisfaction que le métrage doit changer de prestataire en milieu de tournage. Une bérézina qui n’est pas pour rien dans la dimension hideuse de plusieurs scènes, la conception approximative de séquences spectaculaires telle la poursuite au cœur de Venise.

 

photoDr Jekyll et Mr. Playstation 2

 

THIS IS THE END 

Les relations houleuses entre metteur en scène et acteurs font partie intégrante de la mythologie de nombreux films. Mais pour bien comprendre l’ampleur des tensions et du chaos qui régnaient sur La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, il suffit de constater ses conséquences sur la carrière de ses deux principaux artisans. Âgé de 72 ans, Connery sort lessivé de l’épreuve, et ne veut plus entendre parler de cinéma, comme il l’a expliqué à Times

“C’était un cauchemar. Cette expérience a eu un terrible effet sur moi et m’a fait réévaluer le show-business. Je n’en peux plus de travailler avec des idiots.” 

Stephen Norrington est lui aussi traumatisé. Le réalisateur n’a que 38 ans et toujours le souvenir de Blade dans sa besace, mais jure ses grands dieux qu’il en a fini avec la mise en scène. Il tiendra sa parole et ne réalisera plus de film après la sortie du blockbuster en 2003. Une sortie pas déshonorante, le film amassant 180 millions de dollars dans le monde pour un budget hors marketing de 78 millions. Elle sera néanmoins en deçà des attentes et se fera coiffer au poteau par Pirates des Caraïbes

 

photo, Peta WilsonNon mais après, la voiture est jolie hein

 

La réception critique, elle, sera d’autant plus impitoyable que les rumeurs de tournage apocalyptiques vont bon train. Il faut dire que La Ligue des Gentlemen Extraordinaires n’a rien pour lui. Effets spéciaux plus qu’inégaux, une tripotée de séquences qui tentent de maquiller leurs insuffisances techniques via un montage inconsistant, quand des accélérés grossiers ne gâchent pas les rares réussites de l’ensemble. 

La course-poursuite à bord de la Nemomobile en est un exemple funeste. Malgré un décor vénitien grandiose, un véritable véhicule d’une vingtaine de mètre de long capable de réaliser de vraies cascades, la gestion catastrophique de ce grand ensemble aboutit à une séquence aussi laide qu’illisible, parsemée d’inserts numériques absurdes.

 

photo, Jason Flemyng"Le blanc, c'est salissant"

 

Quant au récit, en n’essayant même pas de digérer le formidable héritage mythologique pensé par Moore, en abandonnant quantité de ses concepts steampunk et finalement tout ce qui faisait le sel de l’Europe alternative dans laquelle se déroule l’action, il ne peut offrir au spectateur qu’une intrigue réchauffée et terriblement convenue.

Décrié et moqué, le film, qui se voulait une pétaradante aventure, restera comme celui qui a éloigné du grand écran Sean Connery, déchu un réalisateur des plus prometteurs, et parfait la défiance de l’immense Alan Moore à l’égard d’Hollywood. Un échec parfait en somme.

Tout savoir sur La Ligue des Gentlemen Extraordinaires

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Leo MT
07/12/2023 à 19:59

Donc le vieux Sean 007 avait snobé "Matrix" et "Le Seigneur des Anneaux" pour aller pourrir la vie au jeune Norrington ?! Eh ben, Les Sœurs (Frères) Worchovski et Peter Jackson l'avaient vraiment échappé belle !!…
C'est tout le problème des comédiens qui ont fait leur carrière en restant coincés dans un seul univers bloqué (l'Agent 007 en l'occurrence pour Sean Connery) et une fois sorti de là, perdent leurs repères. Et pour ce qui est du bêtisier des Exécutifs de la Fox et de leurs clones à Hollywood, on se demande souvent pourquoi ils ne se muent tout simplement pas en Réalisateurs pour que tout roule selon leurs délires de producteurs...
Ce coup de gueule exécuté, j'ai beaucoup aimé "La Ligue des Gentlemen Extraordinaires" que j'avait à l'époque regardé juste à cause de... Sean Connery !! Tout le symbole de la dystopie de cet univers étendu qu'est le cinéma.

K.lou
15/10/2022 à 13:07

Si la production chaotique est connue, je ne partage pas la déception sur le résultat final. Le film souffre même d'être trop court... la filiation Quatermann/Sawyer est dispensable certes, mais Dorian Gray et Jekyll sont excellents. Et que dire de Némo et du Nautilus ! Moriarty alias M est un bon twist. Y'a le côté Steampunk avec les armes menant à la 1ère Guerre Mondiale. Très bon rythme, super direction artistique, grosses scènes d'action... 8 sur 10

CtheCrow
14/10/2022 à 20:50

Bien qu'il soit un très grand acteur,Mr a joué aussi sa diva,et celà avait été relié par beaucoup de journalistes àl'époque,, jouant de son statut à l'époque auprès des producteurs, c'était limite Allan Quaternain et les gentlemans extraordinaires,Il se dit dégoûté,il est pas le seul,avec la pression des 2 et au montage des multiples" cut"demandés, Stephen Norrington, également,au point qu'il n'a pas plus rien fait après,tant son travail a été dénaturé.Sans parlé de la pression également sur les studios FX pour rentabiliser le film au plus vite.Celà reste un film très regardable,mais sachant celâ,tu comprends pourquoi certaines choses à l'écran

Simon Riaux
10/10/2022 à 14:58

@Florian

Et bien le film étant considéré par beaucoup comme catastrophique, en plus d'avoir accéléré la fin de carrière d'une légende et pulvérisé en vol celle d'un metteur en scène prometteur, il nous semblait pertinent de revenir tant sur le projet que sa genèse.


10/10/2022 à 14:54

Le tournage c'est peut-être mal passer mais le film est plutôt bien. Si cette article n'étais jamais sortis, je n'aurais jamais su que sean etais dégoûté du tournage. Il ne faut pas mélanger le résultat final du film avec l'expérience des acteurs et leurs ressentis. Le film est loin d'être une catastrophe. Je comprend pas vraiment cette article désolé

redwan78
10/10/2022 à 13:26

J'ai revu ce film récemment. Le 1er Avenger l'a copié intégralement. On retrouve Hulk/Doctor Jekill, Iron Man/Alan Quaterman. La trame est la même entre les 2 films et ils utilisent un vaisseau dans les 2 films. Il y'a énormément de points communs.

Miss M
10/10/2022 à 12:26

Une purge hollywoodienne dans toute sa splendeur. Des personnages comme Dorian Gray ou Tom Sawyer ne sont pas une mauvaise idée, loin de lâ. Mais leur écriture est totalement bâclée. Ce type de panthéon reconstitué est tout ce que j'affectionne mais là... il s'agissait juste de cases cochées en bavant avec le stylo. Pour le coup ce film (et peut-être même son réal) mériteraient une seconde écriture et une nouvelle réalisation...

Millg
10/10/2022 à 12:04

Un film si correctement démonté, ça m'a donné envie de le voir !

une Connerie en passant
10/10/2022 à 11:59

ils lui avaient proposé un mega rôle dans Matrix, mais Sean Connery avait expliqué n'avoir ien compris au scenar..;

Kyle Reese
10/10/2022 à 11:08

Un potentiel énorme complètement gâché, ça fait mal au cœur quand même vu le budget alloué.

Plus