Pourquoi I Feel Good est le premier missile anti-Macron du cinéma français

Simon Riaux | 27 septembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 27 septembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Connus pour leur univers descendant aussi bien de Buñuel que de Terry Gilliam, Benoît Delépine et Gustave Kervern viennent de réaliser I Feel Good et sont souvent perçus comme de doux rêveurs un brin anar. Et si cette étiquette leur va à ravir, elle a tendance à faire un peu oublier que leur cinéma constitue peut-être aujourd’hui le plus éminemment politique du paysage créatif français.

À mille lieues d’un naturalisme parfois stérile, ou d’une pensée strictement militante, transformant la dramaturgie en tract fonctionnel et la narration en déroulé programmatique, les deux metteurs en scène proposent un monde imprégné de style et de folie douce, qui n’oublie jamais de penser le réel, et le cas échéant de lui présenter l’addition.

 

photo, Jean Dujardin Quand un sous Jeff Bezos croise la route de l'Abbé Pierre...

 

Avant toute chose : faut-il nécessairement être d’accord avec les deux artistes pour apprécier leur travail ? Il nous semble que non. Que leur talent de conteur, leur amour de leur semblable, la tendresse et la malice de leur regard sont leurs premières qualités. Donc, avant que quiconque ne s’agace dans les commentaires, ce qui suit n’est pas tant une tirade anti-Macroniste, qu’une tentative de comprendre pourquoi celle de Delépine et Kervern est aussi pertinente et réussie.

 

RÉUSSIR QUOI ?

C’est un des principaux thèmes de leur dernière proposition : I Feel GoodJean Dujardin y campe un homme entre dinguerie et semi-débilité, totalement obsédé par le concept de réussite, ou comment trouver l’idée géniale qui fera de lui un grand patron à l’image de Bill Gates ou Jeff Bezos.

 

photo, Yolande Moreau, Jean Dujardin Tout est dans le peignoir...

 

Pour souligner l’absurdité de sa marotte et la confronter à d’autres raisonnements, le scénario place ce mélange de Bernard Tapie et Pierre Richard au milieu d’un centre Emmaüs, dédié à la solidarité et la réinsertion. Soit deux conceptions de l’existence et de la valeur des choses parfaitement incompatibles.

Mais là où I Feel Good a mieux à faire que de proposer un réquisitoire contre le libéralisme et sa glorification de l’entreprise, c’est que le film ne se contente pas d’interroger la forme que prend la réussite dans la France d’Emmanuel Macron. Il va directement au cœur de ce concept pour se demander s’il existe même une forme de réussite.

C’est ce qui apparaît dans la conclusion du film où un Dujardin littéralement transformé, au corps délirant, semble indiquer littéralement qu’une autre anatomie du monde est possible, au-delà même de l’affrontement stérile entre capitalisme et socialisme. Dans un sursaut dément qui n'est pas sans évoquer une version goguenarde et absurde de la body horror de David Cronenberg qui ferait de l'humain un patchwork bouleversant de ses propres contradictions et de ses futures aspirations.

 

photo, Jean Dujardin Emmaüs sera son premier gibier...

 

PSYCHO-MILLIARDAIRE

Dans une phrase devenue emblématique, l’actuel président français expliquait que l’Hexagone avait besoin « de jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires ». Gageons que Gustave Kervern et Benoît Delépine ne sont pas exactement du même avis.

Rarement aura-t-on vu un film tourner à ce point en dérision la figure du « winner », du gagnant, de l’individu qui « réussit sa vie ». A tel point que derrière les rires et les sketchs absurdes, progresse une idée bien moins comique et délirante, que peuvent laisser entendre les nombreux gags qui parsèment du film.

Le grand patron n’est pas ici seulement un ogre, mais bien un psychopathe. Louise-Michel et Le Grand soir théorisaient déjà comment accepter la logique interne à nos sociétés occidentales modernes menait à une forme de folie entropique, mais I Feel Good va plus loin. Dans cet opus, c’est clairement le capitaine du navire en personne, plus que son cap, qui pose problème.

 

photo, Jean Dujardin Pas peur du contresens

 

Grand malade prêt à – littéralement – découper ses semblables, Dujardin est un simili-patron capable de tout pour s’accomplir à commencer par broyer le corps d’autrui. On le savait depuis Mammuth, mais pour les deux cinéastes, le travail, son aliénation c’est d’abord et avant tout quand la folie des puissants écrase les corps humains.

 

LA MARGE AU CENTRE

On fait souvent, et à raison, remarquer l’amour du duo pour les marginaux, les hommes et femmes surprenants, en dehors des codes ou des normes. Mais plutôt que de changer de focale afin de traiter ces personnages, on serait tenté de dire qu’il y a quelque chose d’un poil plus révolutionnaire dans leur cinéma.

 

photo Un frère, une soeur, deux fous de cinéma instantanément attachants

 

L’idée n’y est pas de sortir le 7e art de ses studios pour se concentrer sur un sujet rarement traité, mais plutôt d’affirmer haut et fort que le sujet en question est le seul sujet valable. Que le centre du monde, c’est finalement sa marge, le cœur de sa créativité, sa première source de chaleur humaine. Et c’est peut-être le plus touchant dans le métrage, ainsi que la raison qui lui confère un équilibre si merveilleusement tenu, malgré un concept particulièrement casse-gueule.

Et l'humanisme des auteurs va jusqu'à englober le personnage problématique joué par Jean Dujardin. Il n'est pas seulement un sociopathe capable de pulvériser tout ce qui l'entoure pour nourrir son délire toxique. C'est aussi un individu essoré par la mystique d'un entreprenariat auquel il n'accédera jamais, la première victime du système qu'il veut voir advenir totalement.

Mélanger acteurs professionnels et non-professionnels, alterner décors et tournage en lieux réels sont autant de challenges dont le film s’affranchit avec brio. La gageure est relevée parce qu’elle n’a rien d’un choix cosmétique, c’est là que se trouve l’idée centrale. Rappeler que nous, le peuple, sommes avant tout un amas de bizarreries, de singularités, qui ne peut trouver son salut que dans une transcendance collective.

 

Affiche

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commentaires
Alyon
01/10/2018 à 16:20

@fumiste vous êtes sur de vos chiffres ?? Ravi de voir vos brillantes idées s'exprimer avec courage sur un site où on essaye de parler cinéma. On attends votre avis de cinéphile donc.

Simon Riaux
01/10/2018 à 12:38

@MoiJe

Sans vouloir vous manquer de respect... Votre post est un peu ignorant des réalités du métier de critique.

Qu'un film qui plaît provoque l'inspiration immédiatement... Oui. Et encore, c'est très relatif, toutes les plumes ne fonctionnent pas de la même façon. Sans compter qu'on écrit toujours mieux, avec plus de recul, quand on a le temps de repasser sur un papier de constater si une première impression grandit, se confirme, ou au contraire décline.

Et surtout, votre logique fonctionnerait si nous n'avions qu'un ou deux textes à écrire ponctuellement. Mais il y a une quinzaine de films en salles toutes les semaines, des séries, des plateformes émergentes comme Netflix, les news et dossiers...
Bref, imaginer que bosser sur tous ses supports exclusivement dans l'urgence et "à chaud" soit une bonne chose, c'est ignorer la réalité de ce qu'on fait.

Ensuite, les films ont déjà du mal à être distribués, alors imaginer une "redistribution" qui existerait grâce à un dénichage critique post-critique, là encore, cela existe peut-être dans un univers parallèle, mais c'est très littéralement inapplicable dans le modèle qui est le nôtre actuellement.

STEVE
01/10/2018 à 11:26

D'accord avec Moije

Dhu
01/10/2018 à 08:23

Beaucoup de phrases qui ne veulent rien dire dans ce commentaire. Style pompeux et creux.

MoiJe
30/09/2018 à 15:44

Désolé pour la non-relecture de mon post, la flemme du dimanche !

MoiJe
30/09/2018 à 14:11

@Simon
Je n'oserais jamais m'infliger le visionnage du dernier Max Boublil ou Kev Adams, donc en rédiger la critique... Je compatis. Selon moi, une oeuvre qui suscite l'inspiration la suscite tout de suite, pas besoin d'être invité à une avant-première des mois à l'avance pour rédiger un papier. Surtout la démarche de bonne intelligence dont vous parlez, ne va-t-elle pas truquer la promotion d'un film qui ne mérite pas qu'un Français paye une place quasiment 20 euros pour aller le voir. Car c'est ça la question finale, est-ce que je préfère mettre ces 20 euros pour aller voir Drive, Joy, Nightcall ou alors même Iron Man dans un cas extrême ou je vais voir Delépine et Kervern ? Moi je suis découragé d'avance d'aller voir Kerverne et Delépine, ou bien même Kechiche, non pas que je n'aime pas les fables colorées, j'adore Wes Anderson. Je suis découragé parce qu’on m'a déjà fait le coup en me mentant sur le supposé intérêt d'un film de ce type, simplement car le critique avait une complaisance quelque peu patriotique qui fait qu'on parle du cinéma français en oubliant qu'il fait face à une concurrence mondiale dans les salles, à la télé et en VOD.

En parler autant dans la presse ça justifie la démarche artistique, donc on continue dans un cercle vicieux qui tue, - selon moi encore - le cinéma français toujours un peu plus, du moins si je me place d'un point de vue perso, de l'amour que je lui porte.

Et pendant ce temps-là, des carrières se font.

Attention cependant, je ne dis pas que tout est à jeter dans le cinéma français, il y a quelques bonnes surprises récentes que j'ai eu plaisir à regarder, comédies ou non et que j'ai eu plaisir à conseiller à des amis étrangers.

Je reste certain qu'il y a des pépites récentes qui n'ont pas été assez vues et qui mériteraient une reprogrammation en salle, là le travail du critique serait de les dénicher, ou bien le travail de distributeur de tenter de les redistribuer. Mais je dévie du sujet, on pourrait parler des problèmes du cinéma français des jours durant, j'arrête avant que mon post ne devienne trop brouillon.

Bon dimanche

MoiJe
30/09/2018 à 14:09

@ol
Votre ressenti me rend sceptique... Et je m'en excuse. Avez-vous un ou plusieurs autres exemples de films (français ou non) auxquels un culte a été voué ? Simplement pour savoir si ce film est vraiment à ranger dans cette catégorie ?

Decoy
30/09/2018 à 11:12

Dujardin ne devrait-il pas se débarrasser de son peignoir ?
Il a probablement été fabriqué dans une usine dont le patron rêve de devenir milliardaire.

Fumiste
30/09/2018 à 08:14

@requin

ça fais 25 ans que l'on est en guerre civile , chaque zone de non droit (...) ou etre blanc equivaut a ce faire massacré ou au mieux baissé la tete pour ne pas offencé vos amies du regard , ou etre policier , pompier , médecin et imfirmiere (peu importe les origines du professionnelle ) a 4 chances sur 5 de se faire casser la gueule !

Alors , voila moi je viens de ses quartier , je suis pas blond aux yeux bleu mais je ne peut pas les fermé pour autant au non de la bien penssance ou la peur d'etre jugé fasciste ,

je regrette que le FN ne soit pas passé , parce que le nombre de massacre augmente de jour en jour , rien que dans nos commune sarcelles , gonesses il y a eu plusieur tentative de meurte sur des ados (14ans) papy 62 ans , gendarme , femme , jeune adulte en mois de 2 semaines .

vous etes des laches .

ol
30/09/2018 à 08:13

je n'ai jamais vu mamuth mais hier soir j'ai passé un super moment avec ce film. un peu de fraicheur, les moqueries du systeme macron a travers le heros sont reussies. a l'inverse de bcp ici je pense que çest une parfaite reussite... on en reparlera, je ne serais pas surpris quil devienne un film culte'.....

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