A l'heure des habituels bilans de fin d'année, entre les coups de coeur et les coups de gueule, Ecran Large revient sur quelques films qui méritaient plus d'amour.
The Lost City of Z, l'un des films préférés de la rédaction cette année
On ne peut pas dire que le cinéma français soit franchement à l'aise avec les grandes fresques politiques, très accompli dans le cinéma de genre, ou très doué quand il s'agit de mettre en scène et interroger son actualité contemporaine. En retraçant les circonvolutions parfois sanglantes de la lutte indépendantiste au sein de l'Île de Beauté, Une vie violente de Thierry de Peretti vient défaire cette malédiction et nous propose une des plus belles (seules ?) fresque consacrée à la Corse et aux hommes qui font circuler en son coeur l'énergie vitale qui la caractérise.
Film politique, film de gangster, réflexion sur le sens de l'action, Une vie violenteest un splendide geste de cinéma. Tout comme 120 battements par minute cette année, il donne à voir comment le verbe et la parole structurent la pensée, modèlent l'action et peuvent parfois détruire des vies avec la vélocité d'une balle. Reçu poliment à Cannes et gentiment ignoré lors de sa sortie, Une vie violente rappelle le sort fait il y a quelques années à L'Exercice de l'État, autre brillante tentative de capter la réalité hexagonale pour la transformer en récit mythologique.
Un homme fond en larmes devant une tombe d'enfant anonyme, ne comprenant ni pourquoi ni comment. Cet homme, c'est Eric Caravaca, qui comprend soudain qu'un secret, une idée sourde, mine depuis ses origines une famille dont il ne connaît finalement que les grandes lignes. Avec une pudeur paradoxale et un sens de la mise en scène d'une acuité admirable, le cinéaste prend sa caméra et s'en va interroger sa famille, découvrant et exhumant l'existence d'une petite soeur qu'il n'a jamais connu.
Toutes les familles ont leur secret, tous les récits ont leurs angles morts, toutes les névroses nous sont offertes par ceux qui n'ont pas osé les affronter. De ces lieux communs, Caravaca tire une œuvre poignante, à l'humanité singulière, un film qui aide et soigne, permet à chacun d'affronter avec une dignité nouvelle ses propres démons. Porté par un sens du cinéma qui sidère souvent, Carré 35 est probablement une des propositions les plus hybrides, les plus fortes, de l'année 2017.
Ils sont les meilleurs amis du monde, ils sont flics, ils sont toxicomanes, ils sont ultra-violent, ils sont drôles, et vachement sensibles. Voilà qui décrit à peu près correctement les personnages campés par Alexander Skarsgård et Michael Pena, formidables protagonistes du nouveau film de John Michael McDonagh, réalisateur de L'Irlandais et Calvary, deux autres petites bombes déjà passées sous les radars.
Toujours aussi à l'aise avec les univers inclassables, tordus, mais profondément chaleureux, il s'attaque ici au buddy movie, dont il tord à peu près tous les principes, subverti l'idée et le rythme, pour proposer un récit incroyablement attachant, où deux asociaux assumant parfaitement leur folie douce tentent de s'adapter à un monde où culbuter la femme d'un suspect qu'on vient de torturer après avoir pris un énorme raton de cocaïne est parfois problématique. Sorti en VOD le 24 mars.
Les récits de l'aliénation vécue par les femmes au Maghreb et au Moyen-Orient sont pratiquement devenus un genre en soi, synonyme de place en vue dans les festivals et d'indulgence critique, pour cause de politiquement correct et de propos édifiants. Par conséquent, quand un long-métrage offre une puissante proposition de cinéma et s'éloigne des clichés, on ne peut qu'applaudir.
Il est ici question d'un quasi unité de temps et de lieu, alors qu'une jeune étudiante voit sa vie voler en éclat le temps d'une nuit, où après avoir été violée par des policiers, elle décide de porter plainte, malgré le machisme, l'omerta et le corporatisme qui minent la Tunisie actuelle. Tourné presque exclusivement en plan séquence, ciselé avec un sens de la composition des cadres ahurissant et magnifié par une photographie à la fois stylisée et naturaliste, La Belle et la Meuteest un bon gros coup de poing comme on les aime, d'autant plus qu'on ne l'avait pas vu venir. Loin de se limiter à une tranche de vie amère, pathétique ou glauque, le film développe progressivement une éthique du courage, une force admirable, qui en fait beaucoup plus qu'un énième pensum adressé à un public gavé de petits fours.
Barbet Schroeder a brillamment conclut sa trilogie du mal cette année avec Le Vénérable W. Celui-ci s’intéresse au très influent moine birman Wirathu, « le Hitler Birman » d’après le Times. S’il n’est pas un dirigeant politique, ses prêches extrêmes (pour ne pas dire carrément hardcores) contre les Rohingyas sont suivies et appliquées par des millions de gens en Birmanie, actuellement accusée de nettoyage ethnique.
Le réalisateur étonne et terrifie en filmant doucement et longuement le visage si avenant et serein d’un homme si rempli de haine, comme s’il y avait là une contradiction impossible à admettre. Dans la lignée de The Act of Killing en 2013, sans complaisance ni commentaire inutile, Barbet Schroeder sonde calmement les effroyables abysses de l’humanité derrière le masque sympathique de Wirathu et en fait ressortir les turpitudes avec d’autant plus de puissance. Un documentaire saisissant.
Il y a des films qui sortent de nulle part et que l’on se prend en plein visage tel un bon vieil uppercut des familles. Et lorsqu’en plus il s’agit d’un premier film, on a le tournis pendant des jours. Compte tes blessures fait partie de cette catégorie et nous montre que le cinéma français, sorti de ses grosses comédies pourries qui infestent nos écrans, se porte très bien et qu’il a encore beaucoup de choses à dire.
Bien sûr, le sujet est classique et l’histoire cousue de fil blanc, mais la mise en scène parfaitement gérée de Morgan Simon et sa distribution incroyable (Kévin Azaïs parfait, Nathan Willcocks incroyable et Monia Chokri, envoûtante) font de ce film une expérience sensorielle de tous les instants qui n’a pas peur d’aller au bout de son discours, quitte à en choquer quelques uns au passage. Et ça fait le plus grand bien. C’est même indispensable en ce moment.
Monia Chokri et Kévin Azaïs dans Compte tes blessures
Si on devait vous faire la tête pour une seule chose cette année, ce serait parce que vous n’êtes pas allés voir le premier film de Fabien Gorgeart, Diane a les épaules (à peine 33 000 entrées).Alors que tout le monde se plaint des comédies médiocres qui pullulent, lorsqu’un vrai film, drôle, tendre, émouvant et intelligent sort sur nos écrans, bizarrement il n’y a plus personne. On ne vous félicite pas.
Et pourtant, Diane a les épaules est probablement ce qui est arrivé de mieux à la comédie française depuis fort longtemps. Porté par une Clotilde Hesme en état de grâce et totalement investie dans son rôle, le film aurait pu virer dans le pensum moral et bienpensant très rapidement s’il avait été fait par quelqu’un d’autre. Mais non, Diane a les épaulesest une excellente comédie, qui fait rire, qui fait pleurer, qui nous rappelle à notre humanité. Ne le ratez pas en vidéo, sinon on va vraiment vous en vouloir cette fois.
Kim Ki-duk ne s’arrête jamais, et pourtant son inspiration est toujours au rendez-vous. Entre deux rives est passé sous les radars cette année et c’est bien dommage, tant le film est un magnifique plaidoyer de réconciliation entre deux nations-soeurs déchirées. L’oeuvre raconte l’histoire d’un heureux et simple pêcheur nord-coréen qui dérive vers le sud contre son gré après une panne de moteur. Le Sud se méfie et a peur d’être tombé sur un des nombreux espions qui se fait passer pour un réfugié, et le Nord pense que le pêcheur est un fuyard.
Au milieu de tout ça, l’histoire touchante d’un homme innocent qui veut rentrer chez lui mais que la machine géopolitique est en train de broyer. Le cinéaste coréen livre, avec la sobriété qui lui est propre, un regard triste sur deux sociétés absurdes empêtrées dans un conflit ridicule ; mais surtout, Kim Ki-Duk raconte l’émouvante et tragique histoire d’un pêcheur contre qui s’est retourné sans raison un monde aberrant et cruel.
Sara Forestier a mis des années à monter son premier film comme réalisatrice, perdant même Adèle Exarchopoulos un moment attachée au premier rôle. Elle finira par l'endosser, après avoir trouvé en Redouanne Harjane l'acteur qu'elle a longtemps cherché. L'échec en salles (à peine 70 000 entrées) est une triste conclusion à l'aventure vu les qualités de M. L'actrice césarisée y dévoile un vrai regard de cinéaste, créant au milieu d'un décor de banlieue a priori ordinaire un bel espace de cinéma, grâce à une mise en scène, une direction artistique et une bande originale envoûtantes.
D'une histoire d'amour décalée entre une jeune fille bègue et un garçon illétré, qui aurait pu virer au mélo de bas-étage, Sara Forestier tire un drame romantique terriblement sensuel et séduisant, souvent bouleversant, surmontant les facilités de la formule grâce à une écriture fine et sobre. Redouanne Harjane et elle-même sont formidables, et sont le moteur presque magique de ce beau premier film, qui méritait certainement mieux que d'être considéré comme un énième film d'auteur sur fond social.
Pour une raison bien étrange, Upstream Color a eu droit à une ridicule et minuscule sortie le 23 août après sa vie en festival et dans les salles américaines en 2013. Passons sur l'absurdité de la situation pour revenir sur le deuxième film inclassable et envoûtant de Shane Carruth, révélé en 2004 avec Primer: histoire d'amour, de larves, de kidnapping, de cochons, de manipulation mentale et d'orchidées, Upstream Colorest une expérience extraordinaire, d'une beauté sensationnelle et d'une étrangeté inattendue.
Sur grand écran, le film est encore plus beau et fou, et rappelle que Shane Carruth (que Soderbergh décrit comme le fils illégitime de David Lynch et James Cameron) est un cinéaste fascinant, en plus d'être terriblement doué (il réalise, écrit, produit, compose la musique, monte et interprète l'un des rôles principaux aux côtés de sa compagne Amy Seimetz). Upstream Color partage un décor avec A Ghost Story(les bureaux), dont le réalisateur David Lowery est crédité comme co-monteur : entre ces deux films existe un pont délicat et fabuleux, où l'amour n'est plus un simple sentiment mais un voyage au-delà du réel, aussi fantastique que déstabilisant.
Le film de Peter Berg sur les attentats du marathon de Boston a sans nul doute souffert de son étiquette trop hollywoodienne (un autre film, Stronger avec Jake Gyllenhaal, sort en février et s'intéresse à une victime des événements), appuyée par la présence de Mark Wahlberg dans le rôle d'un policier qui affronte le drame. Grande erreur : Traque à Bostonest un thriller crépusculaire haletant et puissant, et une plongée terriblement palpitante dans le cauchemar en sourdine vécu par la ville en avril 2013.
Plus encore qu'avec Deepwater, sa précédente collaboration avec Wahlberg là encore centrée sur un drame réel, Peter Berg y démontre un excellent sens de la mise en scène, composant une toile de suspense et de tension d'une solidité folle. La magnifique musique de Trent Reznor et Atticus Ross, dont le talent est connu des fans de Nine Inch Nails et David Fincher, participe pour beaucoup au climat anxiogène de cette bulle d'angoisse et de terreur. Traque à Boston a été un échec en salles (environ 50 millions au box-office pour un budget de 45), mais est clairement l'un des meilleurs films du genre façonné par les studios ces derniers temps.
Le premier film de Stephen Dunn, sorti le 13 décembre, a été vendu comme un descendant de Xavier Dolan pour d'évidentes raisons : la naissance d'un réalisateur canadien qui s'intéresse aux affres de l'adolescence et de la sexualité, autour d'un garçon gay et dans une ambiance de clip (parfaitement vendue dans l'excitante bande-annonce). Stephen Dunn en a probablement conscience, ayant même casté Aliocha Schneider, frère du Niels Schneider des Amours imaginaires, dans un rôle très proche de fantasme ambulant.
Closet Monster penche pourtant plus vers le superbe Mysterious Skin de Gregg Araki (qu'il n'égale pas, loin de là), avec son atmosphère flottante irréelle et sa manière d'incarner l'étrangeté de l'adolescence dans le fantastique. Entre un hamster qui parle avec la voix d'Isabella Rossellini et un ventre que ne renierait pas Ellen Ripley, cette variation un peu banale sur le coming of age témoigne d'un certain talent en terme d'univers et de mise en scène. Avec les défauts classiques de premier film (complaisance dans certains effets, écriture un peu mécanique, traitement parfois artificiel des personnages et émotions), mais avec l'énergie et la sincérité qui vont avec, Closet Monster donne envie de voir la suite de Stephen Dunn et l'acteur Connor Jessup, déjà remarqué dans la belle série American Crime.
Avec Un jour dans la vie de Billy Lynn, Ang Lee a souhaité marquer les esprits et défier la technique cinématographique en tournant son film en 3D, en 4K et en 120 images par seconde (le format habituel est de 24 images par seconde). Ainsi, le cinéaste espérait immerger le spectateur au plus près de ses personnages grâce à une netteté de l'image, un ultra-réalisme et une précision des mouvements jamais vus sur grand écran.
Si quelques chanceux ont pu découvrir son long-métrage dans ce format inédit, cette technique révolutionnaire n'a pas pu s'exporter dans le monde entier, la grande majorité des spectateurs lambdas devant se contenter de regarder Un jour dans la vie de Billy Lynn en 2D - 24 images / secondes. L'expérience est sans doute moins puissante que dans son format d'origine et pourtant le film submerge tout de même le spectateur d'émotions. L'humanisation de ces soldats, leurs proximités physiques à l'écran, leurs regards bouleversants nous ancrent à leurs côtés à chaque instant. Tout au long de son récit, Ang Lee enchaîne les séquences d'une puissance dévastatrice, de ce spectacle de mi-temps phénoménal visuellement à ce corps-à-corps avec l'ennemi terrifiant, pour déconstruire les mythes américains. En plus d'un pamphlet politique à l'esthétique folle, Un jour dans la vie de Billy Lynn révèle également le jeune Joe Alwyn dont le regard déchirant marquera pour longtemps le cinéma.
Vu 3 de ces films, je les avais tous appréciés dans leur genre. Voilà une bonne liste pour me cultiver cet hiver, donc merci. Bonne année à vous la Rédac' et à vous, lecteurs.
Birdy
01/01/2018 à 11:40
Bravo et merci, je vous fais confiance et fonce trouver un max de ces films.
Michgorg
31/12/2017 à 22:29
Merci pour ce bel article et je suis tout à fait d'accord avec vous sur Diane a les épaules
Merci pour cet article évoquant les "oubliés" (2017) du 7ème art...
Il manque "Mon garçon", dont j'aurai aimé une p'tite critique bien balancée de votre part....
Mais bon c'est pas grave, vous en avez déjà assez fait...
Je prends toujours autant de plaisir à vous lire, même si parfois je suis en désaccord avec vous.
Mais cela reste rare...
De toute façon , personne n'a le monopole de l'unanimité... (Heureusement d'ailleurs)...
Bref pour terminer, je vous souhaite une bonne saint Sylvestre, à vous tous de la rédac' de EL,
ainsi qu'à tous les intervenants de la partie "commentaires", quels qu'ils soient...
"Troll" , "fan", "Hater", "flamer",, "wanker" et j'en passe et des meilleurs...
Je ne vous souhaite pas la bonne année par avance car cela porte "malheur"...
On verra ça dans...Pas longtemps...
Bonne saint Sylvestre à toutes et à tous !
PS : Si pour 2018, vous pouviez faire un pt'it sujet sur "Cinépool" (le blablacar du cinoche) et les problèmes que son créateur rencontre avec les salles de projections, j'aimerai bien connaitre les avis des intervenants du site, ainsi que le votre... En passant...
02/01/2018 à 10:19
Vu 3 de ces films, je les avais tous appréciés dans leur genre. Voilà une bonne liste pour me cultiver cet hiver, donc merci. Bonne année à vous la Rédac' et à vous, lecteurs.
01/01/2018 à 11:40
Bravo et merci, je vous fais confiance et fonce trouver un max de ces films.
31/12/2017 à 22:29
Merci pour ce bel article et je suis tout à fait d'accord avec vous sur Diane a les épaules
31/12/2017 à 15:11
Barry Seal ;)
31/12/2017 à 15:08
Bonjour la rédac'....
Merci pour cet article évoquant les "oubliés" (2017) du 7ème art...
Il manque "Mon garçon", dont j'aurai aimé une p'tite critique bien balancée de votre part....
Mais bon c'est pas grave, vous en avez déjà assez fait...
Je prends toujours autant de plaisir à vous lire, même si parfois je suis en désaccord avec vous.
Mais cela reste rare...
De toute façon , personne n'a le monopole de l'unanimité... (Heureusement d'ailleurs)...
Bref pour terminer, je vous souhaite une bonne saint Sylvestre, à vous tous de la rédac' de EL,
ainsi qu'à tous les intervenants de la partie "commentaires", quels qu'ils soient...
"Troll" , "fan", "Hater", "flamer",, "wanker" et j'en passe et des meilleurs...
Je ne vous souhaite pas la bonne année par avance car cela porte "malheur"...
On verra ça dans...Pas longtemps...
Bonne saint Sylvestre à toutes et à tous !
PS : Si pour 2018, vous pouviez faire un pt'it sujet sur "Cinépool" (le blablacar du cinoche) et les problèmes que son créateur rencontre avec les salles de projections, j'aimerai bien connaitre les avis des intervenants du site, ainsi que le votre... En passant...
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