La Lune de Jupiter : le film de super-héros, genre politique par excellence

Simon Riaux | 17 novembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 17 novembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La Lune de Jupiter mélange bien des genres et des tonalités, mais avec son récit basé sur la folle échappée d’un migrant traqué par les autorités, se découvrant le pouvoir de léviter, il en appelle logiquement au cinéma super-héroïque. L’occasion de se rappeler que si nos surhommes préférés sont aujourd’hui la base du divertissement de masse, ils constituent initialement la base de légendes éminemment politiques, dont La Lune de Jupiter est un des meilleurs représentants.

 

RESPECT FOR MY PEOPLE

Comics et blockbusters ont beau regorger de milliardaires vengeurs et autres capitaines d’industrie désireux de faire régner l’ordre, on compte un paquet de héros dont le rapport au monde est très différent.

 

Photo

Parti d'en bas pour s'élever

 

Dans La Lune de Jupiter, Aryan est un migrant isolé, perdu au cœur d’une société qui lui est largement hostile. On se souvient que Wolverine, avant d’être un barbu griffu et invincible est un fils de domestique survivant difficilement en plein XIXème siècle, battu par un père alcoolique. Peter Parker est d’essence prolétaire, et ses responsabilités héroïques viendront fréquemment contredire ses choix de vie. On pense aussi bien sûr au Darkman de Sam Raimi, où un Liam Neeson défiguré et rendu insensible à la douleur va tenter de s’élever contre un monde policé et corrompu. Lui aussi symbolise une idée du peuple contre les puissants.

Ainsi, les super-héros, avant d’être des individus emplis de puissance, sont régulièrement les hérauts de classes sociales en lutte, ballottées par un monde qui ne se soucie guère d’elles. À ce titre, et c’est bien le cas de La Lune de Jupiter, le super-pouvoir ne devient pas tant l’expression de la puissance que celui d’une pure volonté, d’une pureté qui autorise un personnage à répliquer, rééquilibrer symboliquement le monde.

 

Photo Zsombor Jéger

 

DEMAIN A LA UNE

Les super-héros constituent aussi un formidable terreau métaphorique, voire un terrain de jeu dans lequel des auteurs peuvent très clairement critiquer ou analyser leur époque. Ainsi, il est désormais bien connu que les X-Men furent initialement envisagés comme une relecture de la Lutte pour les Droits Civiques.

Ces mutants figurent les populations contestataires, ou tout simplement victimes de ségrégation et/ou de déni de droits, qui devront, à partir des années 60 entamer un processus de politisation et de lutte sur le territoire américain pour améliorer leur condition. De même le célèbre Civil War, arc narratif parmi les plus forts proposés par Marvel, proposait une réflexion à peine voilée sur les obsessions sécuritaires de l’Etat Américain et les fractures qui parcouraient la population.

 

Photo Zsombor Jéger, Merab Ninidze

Un univers hostile

 

En entamant la production de La Lune de Jupiter toute fin 2013, Kornél Mundruczó, ne se doute pas encore combien la crise migratoire va transformer l’Europe. Si, comme Alfonso Curaon et ses Fils de L’Homme avant lui, il pressent que la figure du migrant va devenir centrale.

Alors détaché d’une actualité qui n’existe pas encore, il peut laisser libre à cours à son imagination et sa réflexion dans ce qui est encore un film d’anticipation. Le résultat aboutira à une des plus belles et audacieuses propositions vues sur le sujet, justement parce qu’elle fait le choix du romanesque et de la fiction, plutôt que celle du faux documentaire ou du tract bien pensant.

 

LE POUVOIR DE LA NUANCE

Ce qui confère aux super-héros la grande force politique, c’est leur capacité à nuancer des débats, qui seraient bien plus épineux s’ils étaient énoncés avec les termes du réel. Pour le dire autrement, ils autorisent leurs auteurs, toujours par le biais de la fiction, à nous faire accepter des débats ou des situations complexes, que le public pourrait rejeter dans d’autres conditions.

 

Photo Zsombor JégerPrivatiser le miracle, parabole du libéralisme également au coeur du film

 

Ainsi, si les X-Men sont les militants des Droits Civiques, les Mutants convaincus de ne pouvoir s’entendre avec les humains et de devoir les combattre ne sont-ils pas les Black Panthers ? Le parallèle semble évident. Kornél Mundruczó est également aidé par son choix d’user du fantastique et de la projection.

Car son héros est loin d’être un pur innocent traqué par de vils occidentaux. De son sauveur Stern, en passant par le chef d’un camp de réfugiés, la police et tous ceux qu’il croisera, c’est un portrait extrêmement nuancé de l’occident et de la Hongrie qui se compose en creux.

Ne choisissant jamais le laid pour représenter la misère, préférant sublimer, transformer tous les éléments les plus durs ou sordides du monde qu’il dépeint, Mundruczó nous donne à ressentir la force et l’espérance brutes habitant ceux qui traversent le monde en quête d’un foyer. Plutôt que de s’appuyer sur la réalité qui a vu ces dernières années plus de 33 000 personnes mourir en Méditerranée, le metteur en scène s’appuie sur la folle liberté des codes du récit initiatique et de la gestuelle super-héroïque pour livrer une radiographie bouleversante et implacable de notre univers.

 

PhotoUn film qui s'envole

Tout savoir sur La Lune de Jupiter

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commentaires
DarkRevan75
19/11/2017 à 13:47

Dans les X-Men, Charles Xavier est le Martin Luther King,
Et magnéto est Malcom X.
Ce sont des sources d'inspirations officielles pour les 2 mutants, d'après les créateurs des personnages...
Donc très bien vu pour les black panthers.
Sinon vous dites que le media comics utilise la politique pour initier du débat.
Je jtrouve que le comics s'inspire des tragédies grecques, et sujets politiques, pour monter le niveau des scénario et accrocher le publique.

slumpower
17/11/2017 à 23:11

Excellent article! Chapeau jacques-henry!