Un Doigt dans le Culte : Phantasm de Don Coscarelli

Christophe Foltzer | 18 novembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 18 novembre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec Un Doigt dans le Culte, la rédaction profite de son temps libre, de son salaire mirobolant et de sa mégalomanie galopante pour partager avec vous des œuvres importantes, cultes, adorées ou en dehors de toute actualité. Films, séries, livres, bandes-dessinées, sculptures en crottes de nez, tout va y passer. Aujourd'hui, à l'occasion de la sortie en Blu-Ray de la saga complète, nous allons parler du premier Phantasm, le chef-d'oeuvre de Don Coscarelli.

Lorsque l'on parle des grandes figures du cinéma d'horreur des années 70-80, ce sont généralement toujours les mêmes noms qui reviennent : Michael Myers, Jason Voorhees, Freddy Krueger... Il y en a pourtant un autre, tout aussi flippant mais plus discret, peut-être parce qu'après presque 40 ans, nous ne savons toujours pas qui il est vraiment : Le Tall Man de Phantasm

 

Photo Tall Man 2

 

IDEE DE GENIE ET BOUTS DE FICELLE

Lorsque le jeune Don Coscarelli s'attaque au projet Phantasm, aux environs de 1977, il n'en est pas à son premier coup d'essai puisqu'on lui doit déjà deux longs-métrages : Jim, The world's greatest et Kenny & Company, deux films très indépendants mais respectivement distribués par Universal et 20th Century Fox... Pour des résultats on ne peut plus décevants puisque les deux productions ont été des flops conséquents. Pas trop grave dans la mesure où ils n'avaient pas coûtés grand chose et qu'ils étaient surtout des répétitions pour le réalisateur en herbe avant de s'attaquer au projet qui le fera connaitre dans le monde entier. 

L'avantage de ces expériences malheureuses, c'est qu'elles restent des productions quasiment familiales puisque la majeure partie des budgets venaient du propre père du réalisateur, investisseur dans l'immobilier qui croyait dur comme fer dans le potentiel de son fils, et surtout qu'elles ont permises à Coscarelli de s'entourer de fidèles répondant toujours à l'appel aujourd'hui. Une famille dans la famille donc, condition sine qua none pour la bonne réussite de projets aussi peu coûteux. L'idée de Phantasm lui vient lors d'une projection de Kenny & Company, d'un moment en particulier qui faisait sursauter les spectateurs sur leur siège. Là, Coscarelli entrevoit tout le potentiel du cinéma fantastique et de la peur en particulier et décide que son prochain film tournera tout autour de ce concept, en y ajoutant une bonne grosse dose de bizarre.

 

Photo Phantasm

 

CADAVRE DANS LE PLACARD

Il est particulièrement ardu de résumer l'histoire de Phantasm en quelques lignes. Pour simplifier, disons que nous gravitons autour du cimetière de Morningwood après le décès du meilleur ami de Jodi et de Reggie, jeunes adultes qui voient ainsi leur bande de potes se dissoudre. En parallèle nous suivons Mike, le jeune frère de Jodi, sous sa garde depuis la mort de leurs parents et qui angoisse à l'idée que Jodi le quitte bientôt pour prendre la route. Alors que Mike espionne l'enterrement du défunt, il remarque un croque-mort au comportement étrange, le Tall Man, et qui semble être entouré de nains encapuchonnés. Piqué par la curiosité, Mike va mener son enquête et découvrir une terrible vérité qu'il aurait préféré ignorer.

Disons-le d'emblée, ce résumé ne rend pas justice au film et c'est tout le problème lorsque l'on parle de Phantasm. En effet, le film de Don Coscarelli fait partie de ses oeuvres qui ne se racontent pas, mais se vivent. Le metteur en scène voulait proposer une histoire qui soit toujours à cheval entre rêve et réalité, qui ne délivrerait aucun de ses secrets au spectateur, privilégiant l'ambiance, la métaphore, le symbolisme, voire même la métaphysique et, de ce strict point de vue, Phantasm est un modèle du genre. S'il semble décousu et troué comme un gruyère, le scénario fait surtout la part belle à la suggestion, l'intelligence du spectateur et la confiance qu'il place dans le réalisateur et son équipe.

 

Photo Phantasm

 

Du début à la fin, nous ne pouvons savoir si ce que nous voyons est vrai ou si tout sort de la tête de Mike et nous nous retrouvons face à une étude incroyablement juste des émotions entourant un deuil difficile, de la peur de l'abandon, couplées à l'adolescence et ses bouleversements hormonaux lorsque le monde nous parait toujours aussi étrange qu'avec nos yeux d'enfants mais où nous pouvons enfin passer à l'action. Et il ne sera d'ailleurs que question de cela : Mike parviendra-t-il à convaincre son frère et Reggie que le Tall Man existe ? Le trio arrivera-t-il à appréhender une créature étrange dont ils ne savent absolument rien ? Jusqu'où sont-ils prêts à se plonger dans les ténèbres de leurs traumatismes pour trouver la force de s'en relever ? Le twist final, très perturbant en termes de dramaturgie lorsque l'on n'y est pas préparé, faisant office d'une note d'intention des plus fatalistes qui fonctionne toujours aussi bien aujourd'hui.

 

Photo Phantasm

 

BOOOOYYYYY !

Phantasm n'est pas un gros film, et encore moins un film de studio. Il n'a coûté que 300.000 dollars et s'est tourné sur une période de deux ans avec une équipe technique quasi débutante et des comédiens plus ou moins amateurs. C'est de cette fraicheur et de cette inconscience que le film tire sa plus grande force, mais aussi ses plus grosses faiblesses. Si le film est correctement mis en scène dans sa globalité, il y manque clairement pas mal de séquences qui induisent des ruptures de ton bien violentes. L'idée de génie de Coscarelli étant de les intégrer totalement dans sa narration en en faisant même un des moteurs de son univers, le script étant réécrit en direct au fil du tournage pour coller avec les moyens dont ils disposaient. Nul doute que cela a grandement contribué à son ambiance si particulière.

 

Photo Phantasm

 

Les comédiens sont moyens dans l'ensemble, et c'est paradoxalement cette approximation qui les rend profondément humains et attachants. S'ils ne sont que des archétypes génériques (Mike est un petit con, Jodi un beau gosse musicien, Reggie un marchand de glace sympa et un peu à l'ouest), ils puisent dans ce manque de profondeur et l'alchimie évidente entre ses comédiens, une énergie que l'on ne retrouve que trop rarement au cinéma. Oui, les personnages de Phantasm font partie de ceux que l'on aimerait avoir comme potes. Et puis, bien sûr, il y a le Tall Man, incarné par le grand Angus Scrimm, qui y trouve là le rôle de sa vie. Gigantesque, maigre, à l'expression figée et à la voix caverneuse, on imagine sans peine le monstre au masque humain, l'être surnaturel limité dans ses mouvements par une enveloppe charnelle un peu juste. Il terrifie autant qu'il intrigue parce que, déjà, on ne le voit ni ne l'entend pas souvent, mais aussi parce qu'il ne fait que poser des questions au spectateur par sa simple présence, le film refusant de nous apporter la moindre réponse. En résulte une figure envoûtante, hypnotique tout autant que terrifiante qui semble traverser les générations. C'est à coup sûr avec lui que Don Coscarelli touche à son but premier : insuffler la peur chez le spectateur. Et lorsque l'on ajoute par-dessus la magnifique musique de Fred Myrow et Malcolm Seagrave, la recette est parfaite.

 

Photo Phantasm

 

LE DEBUT D'UNE SAGA PAS COMME LES AUTRES

Avec ses accès gores, ses sphères qui transpercent les crânes, sa nudité discrète et son propos bien perché entre fantastique, horreur et science-fiction, on aurait pu penser que Phantasm ne termine rapidement sa carrière dans les salles de quartier en double-séance. Il n'en est rien puisque le film est un véritable phénomène à sa sortie en 1979. Avec ses 300.000 dollars de budget, il en récolte près de 12 millions rien qu'aux USA et comptabilise plus de 500.000 entrées en France. Un exploit qui en dit long sur le changement des mentalités des spectateurs en l'espace de 40 ans. Il obtient le prix spécial du Jury au Festival d'Avoriaz de 1979 et le Saturn Award du meilleur film d'horreur en 1980.

On aurait pu penser qu'avec un tel succès, Don Coscarelli allait lui donner une suite dans le mois qui suit. C'est tout l'inverse qui se produit puisqu'il faudra attendre 10 ans pour que Phantasm 2 n'existe, 6 de plus pour Phantasm 3, encore 4 pour Phantasm 4, suivi 17 ans plus tard, en 2015, par Phantasm Ravager. On pourrait se demander pourquoi il y a tant d'écart entre les différents épisodes alors que Don Coscarelli a visiblement trouvé sa poule aux oeufs d'or. C'est justement parce qu'il est un passionné très intègre qui refuse la politique des studios qu'il prend son temps. Don Coscarelli tient à son indépendance, à tout prix, et après plusieurs expériences malheureuses avec les studios, dont Phantasm 2, il a compris qu'il n'y trouverait jamais l'espace de liberté dont il a besoin pour s'exprimer. Il tient aussi à ce que la saga reste SA saga et qu'il soit le seul à décider dans quelle direction elle part. Et, pour cela, il est prêt à galérer des années pour constituer un budget modeste, comptant sur les bonnes volontés de sa famille de cinéma et de ses fans pour répondre présent au moment opportun. Et, dans l'industrie actuelle, c'est tout à son honneur.

 

Photo Phantasm

 

Si les autres films de la saga ne sont pas si saisissants que le premier Phantasm, ils restent cependant des morceaux d'histoire passionnants du cinéma américain parce qu'ils sont chacun le reflet de leur époque. Si on peut critiquer la volonté du réalisateur de compliquer inutilement son intrigue au bout de 40 ans, on sent bien qu'il a des choses à nous dire à travers cette saga mais que son esprit refuse toute passivité du spectateur. La saga Phantasm est un joyau du cinéma d'horreur et, comme tous les cadeaux précieux, elle se mérite.

Phantasm est encore aujourd'hui un fleuron du genre fantastique à l'ancienne et fait avec des bouts de ficelle. Un modèle de volonté, d'ingéniosité, de passion et d'indépendance dont feraient bien de s'inspirer tous les wannabe réalisateurs d'aujourd'hui. Et comme il est dorénavant disponible dans une magnifique copie restaurée en 4k et supervisée par J.J. Abrams (et oui), vous n'avez plus aucune excuse pour ne pas le voir. De toute façon, c'est ça ou vous déclencherez la colère du Tall Man...

 

Photo Phantasm

 

 

Tout savoir sur Phantasm

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commentaires
Soso
12/07/2018 à 19:15

J'espere qu'il vont faire Phantasm 6 parce que le 5 et le 3 sont vraiment décevant.S'il il arrive a faire un remake du Tall Man c'est cool mais si c'est un autre acteur c'est nul.Mais bon Phantasm est très bon film.

OnceUponATime
21/11/2017 à 11:59

J'ai honte, je ne l'ai jamais regardé, mais votre dossier me donne bien envie de corriger ça!

shion
20/11/2017 à 05:38

Un Doigt dans le Caca avec Phantasm de Don Coscarelli

Loh
18/11/2017 à 12:08

Reçu l’integra Blu-ray et revu les 4 premiers et découvert le 5 cette semaine
L’image des 5 films est vraiment superbe dans l’ensemble ce qui est inespéré pour cette série de film longtemps boudée par les éditeurs en France
J’adore cette série et son univers construit parfois effectivement avec des bouts de ficelle mais avec une réelle sincérité et bcp d’idees Géniale
J’ai découvert le 5 sur lequel je n’avais pas entendu dire que du bien et personnellement j’ai adoré : des idées à foison, une histoire qui joue avec le vieillissement des personnages (Reggie est il simplement sénile?) et qui rappelle un peu Bubba Ho-Tep sur cet aspect, et qui côtoie des scènes post-apo en parallèle ! Une très chouette conclusion pour une saga qui se sera étalée sur 35 (!) ans