Au revoir là-haut : critique bouleversifiée

Simon Riaux | 6 novembre 2022 - MAJ : 07/11/2022 10:35
Simon Riaux | 6 novembre 2022 - MAJ : 07/11/2022 10:35

Toujours plus imprévisible et audacieux, Albert Dupontel nous revient avec Au revoir là-haut, adaptation du roman gagnant du prix Goncourt de 2013, écrit par Pierre Lemaître. Alors que le réalisateur se frotte ici pour la première fois au difficile exercice de la reconstitution historique, a-t-il trouvé un terrain de jeu à la hauteur de sa foisonnante créativité ?

LA NUIT DES MASQUES

À bien y regarder, le cinéma d’Albert Dupontel n’aura jamais été qu’une question de métamorphoses, qu’une suite en apparence chaotiques de récits dont les héros, de gré ou de force, par volonté, amour, nécessité, revêtent les oripeaux d’un autre, qui les révèlent. Au-revoir là-haut n’y fait pas exception et donne même à son réalisateur l’occasion, dans ses meilleurs moments, de pousser cette thématique plus loin que d’ordinaire.

Il est ici question de Maillard et Péricourt, deux vétérans de la Grande Guerre, qui découvrent après l’armistice, la misère et le chômage pour l’un, le trauma et la douleur des gueules cassées pour l’autre. Afin de survivre, tous deux vont devoir se réinventer. Aussi bien moralement (en arnaquant les tenants d’un patriotisme de pacotille) que physiquement (Péricourt se sublimera via des prothèses de sa fabrication), au gré d’une intrigue qui fournit un terrain de jeu idéal pour le cinéaste Dupontel.

 

PhotoUne gueule réparée, trouvaille géniale du film

 

De mouvements de caméra d’une complexité affolante en cadres sur-découpés, toujours composés avec un soin maniaque, le metteur en scène s’en donne à cœur joie, avec une euphorisante énergie. Capable d’orchestrer un gag à base de croix renversé avec la même minutie qu’il aboutit à un feu d’artifice émotionnel, l’artiste confirme qu’il est probablement le cinéaste français le plus ambitieux visuellement, capable de convoquer aussi bien le cartoon (transformant ainsi l’impeccable Laurent Lafitte en loup sorti de Tex Avery), que Buster Keaton, ou des explosions de couleurs Lynchéennes.

 

Photo Laurent Lafitte, Niels ArestrupNils Arestrup et Laurent Lafitte

 

LA CHARGE DUPONTEL

Plutôt que de s’inscrire dans la funeste tradition de la reconstitution choucroute-roteux-Première-Guerre-Mondiale-sépia, qui nous vaut chaque décennie un cataclysme fastidieux au box-office, Albert Dupontel s’échine ici à dépeindre un univers éminemment personnel et composite. Une richesse qui ne s’arrête pas à sa stricte – et virtuose - mise en scène, mais que l’on retrouve jusque dans ses textes, qui papillonnent d’une langue toute de raideur et de maintien, qui sait retenir le meilleur du texte de Pierre Lemaître, à un ton hâbleur issu du théâtre de boulevard.

 

PhotoLes dernières heures de la Première Guerre mondiale

 

Cette multiplicité des tons se retrouve jusque dans l’interprétation ou, signe de la maîtrise et de la malice de son chef d’orchestre, le film parvient à faire cohabiter des comédiens au jeu foncièrement différent, voire contradictoire. Et par miracle, la veulerie chaloupée de Lafitte, la bonhommie contrariée de Dupontel, la tension hallucinée de l’impressionnant Nahuel Pérez Biscayart, et la rouerie dominatrice d’Arestrup forment un orchestre de la dissonance absolument fascinant, parfaitement soutenu par la musique protéiforme de Christophe Julien.

 

Photo Albert DupontelUne scène qui rappelle beaucoup un certain Buster Keaton

 

Dr. ALBERT ET Mr. DUPONTEL

Pour sidérante que soit la proposition plastique et poétique d’Albert Dupontel, on regrettera par endroit que le créateur ne jouisse pas de la même maestria en matière de construction narrative. Ainsi, le choix d’un récit fait de flash-backs enchâssés apparaît contre-productif, cette structure très mécanique étouffant par endroits un récit qui abat approximativement deux idées géniales à la seconde.

 

PhotoPéricourt, ou comment faire payer au patriotes de papier leur hypocrisie

 

De même, si Dupontel livre une nouvelle fois une partition truculente, cette dernière frustre, en cela qu’elle constitue un lessivage du personnage original (dont la paranoïa était bien plus prononcée dans le roman), dont la romance n’est qu’une perte de temps, qui encombre inutilement la narration.

À dire vrai, le narrateur joué par le metteur en scène semble la plupart du temps dispensable, tant il mériterait un rôle d’arrière-plan, d’outil autorisant le dément Péricourt à achever son incroyable chrysalide. Ce que nous révèle cette faiblesse d'Au revoir là-haut, et c’est plutôt une bonne nouvelle, c’est que le réalisateur Dupontel est désormais assez époustouflant pour se passer d’Albert, son double picaresque.

 

Affiche

Résumé

En dépit de quelques échardes structurelles et narratives, Albert Dupontel livre ici son film le plus poétique et abouti visuellement.

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Lecteurs

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commentaires
Cidjay
08/11/2022 à 19:26

Dupontel enchaîne les films avec une très grande célérité. Le résultat n'est pas toujours de mon goût, mais il essaye a minima de diversifier ses propositions cinématographiques.

Antigone
08/11/2022 à 14:56

Quelle daube ce film! Ça ne me donne pas envie de lire un le livre

Flo
07/11/2022 à 13:50

Revu "Au revoir là haut"...
Avec le temps, les limites du film passent mieux. À savoir que, comme Dupontel l'a dit lui-même, c'est moins "son" film qu'une adaptation de Pierre Lemaitre - pas de scénario original, pas de monde contemporain, pas de présence de Nicolas Marié etc... pas du tout ses habitudes.
Et qu'il y a toujours quelques confusions dues à la prolifération de personnages et sous-intrigues, les héroïnes étant d'ailleurs outrageusement peu utilisées ou étrangement ambiguës (quels sont les rapports entre la petite Louise et Édouard, dont l'homosexualité est juste implicite ?)
Reste l'exercice formel cinématographique, superbe... Les héros simples mais monstrueux (mais assouplis par un antagoniste bien plus horrible et flamboyant)...
Et les références inévitables à l'esprit chaplinesque.
Même sous un vernis plus "institutionnel" (on peut très bien montrer ce type de film à des écoliers), l'identité mélancolique de son réalisateur est bien toujours présente, en moins punk et foutraque.

Bob nims
07/11/2022 à 02:58

Film très bon et très touchant. même si Dupontel fait un peu son Bernie dedans le film est a la hauteur et fait plaisir dans le paysage du cinéma français

Mazowsze
06/11/2022 à 23:40

Film très décevant en dépit de quelques belles images et d’un excellent Nils Arestrup.
Le début magistral du livre, la tension spectaculaire et la critique acerbe de la société sont absents du film, qui semble mièvre en comparaison avec le chef-d’œuvre de Pierre Lemaitre.

Dav80
12/10/2020 à 16:30

J'ai ete assez déçu de l'adaptation de Dupontel, que j'ai vu pr la première fois à la tv dim 4 ayant lu le prix Goncourt à sa sortie et n'ayant pas souhaité voir le film au cine. Pourtant cette adaptation a été validée par Pierre Lemaitre.
Eh bien c est vraiment dommage car on se retrouve avec une farce à la limite rappelant l univers d'Amelie Poulain. On est trop dans le burlesque alors que l'oeuvre littéraire était poignante, puissante, caustique, naturaliste, bref un petit chef d'oeuvre. c du Dupontel quoi et je n aime pas ce qu il fait. De tte facon.il faut s appeler Roman Polanski par ex pour adapter fidèlement une œuvre pareille. C etait une gageure.
Bien entendu, Niels Arestrup, Laffite, Villermoz, sont très bons, ils font ce qu ils peuvent. Et Nahuel est absolument sublime, tout en légèreté, en finesse, en grâce, il est très émouvant. Cet acteur, qui est un ami de ma meilleure amie, a vraiment la grâce. Ms Dupontel le limite considérablement : il aurait fallu une voix off comme le dit un internaute, car ds le roman Pericourt parle bien plus. Le pauvre Nahuel fait lui aussi ce qu il peut avec un scénario bâclé, qui ne donne qu une très vague idée du roman. C presque un dessin animé pour enfant....
Dc on peut se passer de ce film sf qd on adore Nahuel ce qui est mon cas. Lisez plutôt le livre.

Dutch
05/10/2020 à 15:24

Moi j'ai trouvé le film décevant, le film aurait pu être beaucoup plus émouvant si on s'était attardé sur la psychologie de Péricourt, sans voix et avec un masque, impossible de comprendre vraiment son état d'esprit et son évolution psychologique, il aurait fallut une voix off, parce que je n'ai pas lu le livre, mais j'imagine que c'est plus complexe et détaillé , à la place on as Dupontel qui fait joujou avec ses drones, et fait un scène d'ouverture façon "il faut sauver le soldat Ryan". Quand à Laurent Lafitte il est insupportable et mauvais.

maxleresistant
05/10/2020 à 13:51

pourquoi cette ressortie de votre critique? Il passe à la TV ou il est dispo sur Netflix/amazon?

Sanchez
05/10/2020 à 11:53

Réal viellotte , du sous jeunet comme certains essayaient de faire dans les films post Amélie Poulain . Du violons tire larme du début à la fin . Le peu de subtilité qu’il y avait dans le roman , Dupontel ne l’a pas gardé . Un film très surestimé

Faurefrc
05/10/2020 à 11:49

Mon seul regret c’est que Dupontel ne se charge pas d’adapter la suite (couleurs de l’incendie)

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