Faute d'amour : critique bouleversée

Chris Huby | 13 mai 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Chris Huby | 13 mai 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

De retour sur la croisette après le sublime Leviathan, le réalisateur Andreï Zviaguintsev dispense un long métrage toujours aussi maitrisé avec Faute d'amour. Arrivé à son 5e film, c'est aujourd'hui un auteur qui ne cesse de continuer une oeuvre à la fois plastiquement sensationnelle tout autant que profonde. Le cinéma russe se fait tellement rare à l'international qu'il est donc essentiel de s'y attarder.

LA FUGUE

Boris et Genia forment un couple en pleine séparation, leur enfant semble ne pas les intéresser jusqu'au jour où il va fuguer et disparaître. Les séquences du film sont à la fois sensuelles et glaciales, signe d'un propos piège qui va de la solution pour chacun à la découverte d'une vraie problématique. Le couple se disloque en effet très vite dans deux histoires parallèles : Gena refait sa vie avec un homme plus âgé et sans doute plus lointain, tandis que Boris a déjà mis une petite jeune enceinte. Les deux individus sombrent dans une forme de facilité après avoir passé des années sans doute peu satisfaisantes ensemble.

L'enfant de 12 ans est alors à peine considéré par les deux adultes, accusé d'être un poids autant qu'un symbole de ratage et une forme de problème dont ils ne pourront se débarrasser aussi simplement avec les années. Gamin traumatisé, culpabilisé et déchiré dans une séparation remplie de haine, il est obligé de s'enfuir du domicile, attirant à lui non seulement l'attention obligatoire de ses parents mais aussi celle de toute la communauté. 

 

Photo Faute d'amourAlexey Rozin

 

LA FIN DES SENTIMENTS

Film sur la fin des sentiments et sur la difficulté du renouveau, Faute d'amour veut également développer la thématique de la haine invisible et sourde qui finit par se déchainer sur les innocents. La parallèle évoqué avec le Donbass ne manque pas de faire penser que le vrai propos de Zviaguintsev est bien là : la Russie, pays glacial aux moeurs radicales, fabrique de plus en plus d'individus capables des pires atrocités, une mentalité cachée sous une couche rassurante de pater familias politique.

La propagande est distillée tout le long du film directement via la radio et la télé d'Etat, mais aussi à travers les petits mensonges du quotidien d'une paire d'adultes qui ne fait que se mentir, aussi bien dans le travail que sur des émotions courantes. Lorsqu'il s'agît d'envisager une enquête sur un enfant disparu, chaque partie se détache alors de sa responsabilité au point de penser au crime et à la disparition définitive pour ne pas s'embarrasser d'un passé encombrant.

 

Photo Faute d'amourMatvey Novikov

 

Le film s'ouvre et se ferme sur des plans splendides de nature figée, un lac entouré d'arbres robustes mais quelque peu inquiétants, une forme de prison naturelle et inconsciente, signe que les esprits des russes post 2000, sous l'ère Poutine, sont forgés dans un moule tout aussi complexe à définir.

L'individualisme et l'égoïsme prennent également forme dans les tours déshumanisées et grises, opposées aux natures que l'on ressent dès le démarrage. La photographie est, à ce titre, toujours aussi remarquable, Mikhail Kritchman vient incontestablement apporter sa touche au cinéma du grand réalisateur russe. 

 

Affiche française

Résumé

En conclusion, un film exigeant, comme l'est toute l'oeuvre de Zviaguintsev. Mais un film d'une grande finesse, très important et surtout un propos hautement politique caché sous une couche de fait divers qui pourrait paraître limite anodine.

Autre avis Alexandre Janowiak
Son propos politique est un peu trop symbolique, mais Faute d'amour reste une oeuvre d'une élégance stupéfiante et d'une noirceur bouleversante.
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Lecteurs

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commentaires
Kay
17/06/2020 à 17:29

On a le droit d'être plus optimiste que Zviaguintsev, mais il faut souligner que les soit-disant lourdeurs qu'on lui prête parfois ne sont en fait que son observation du genre humain, moins froide et moins cynique qu'il n'y paraît, et ce depuis son premier film.
Sommes-nous tellement mieux que ces personnages ?
Le réalisateur ne les juge pas et si on lit dans leurs regards (par exemple dans les yeux de la mère d'Aliocha sur son tapis de course), on voit simplement leur faillite dans la compréhension de leurs errances et leur interrogation hébétée sur leur triste humanité.
La portée politique, même si elle est présente, est loin d'être l'essentiel dans ce film "humaniste".
Si si, car il pousse à réfléchir sur nos attitudes quotidiennes, vis à vis de nos proches, comme de nos moins proches. Certes le procédé est violent, mais fidèle à une certaine réalité peu montrée au cinéma. Ce film est la clé qui m'a fait comprendre la portée de ses autres films.
Il nous renvoie à nous-même, il serait donc superflu de lui attribuer une note.
Mais bien sûr, il ne s'adresse pas aux Saints qui peuplent cette terre. :)

pix
14/05/2020 à 22:50

Un film sur un thème éternel : le manque d'amour. Sujet universel. Le spectateur en sort bouleversé et transformé, sauf s'il a des idées préconçues : y chercher un pamphlet politique ou une charge anti-russe. La critique sociale, politique, religieuse etc. vaut pour tout notre monde actuel où le souci de l'humain et du bien commun ont cédé la place au culte du développement personnel et à l’instrumentalisation des institutions qui l'ont accepté.

Sanchez
14/05/2020 à 08:43

Un film lourdingue qui donne envie de se tirer une balle

Jackg
13/05/2020 à 23:48

On aime ou on n’aime pas ce film mais comme dit précédemment le moment inoubliable et si émouvant sera celui où le petit pleure en silence. C’est un coup de poing en plein visage

Nico1
13/05/2020 à 23:04

A l'inverse de votre critique j'ai trouvé ce film d'une lourdeur dans son propos à tel point qu'on finit par se moquer complètement de ce couple antipathique, de l'histoire et de son dénouement. Un film qui dans sa forme (d'un classicisme, d'une froideur, et d'un cynisme à la limite du supportable )qui arrive au moins 40 ans trop tard. La seule véritable réussite du film est le jeune Matvey Novikov qui en l'espace de quelques dizaines de secondes arrive à vous bouleverser.

Ray Peterson
13/05/2020 à 19:50

Un film extrêmement juste, un miroir de la politique russe et de la religion qui en découle.
ARTE se fait sa soirée "auteur" avec ensuite Snow Therapy. Une séance chez le psy demain s'impose.

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