Song to Song : critique à la merveille

Simon Riaux | 30 mars 2021 - MAJ : 30/03/2021 16:51
Simon Riaux | 30 mars 2021 - MAJ : 30/03/2021 16:51

Avec À la merveille puis Knight of CupsTerrence Malick aura perdu nombre de spectateurs, cristallisé un cercle de cinéphiles attachés aux expérimentations qui auront poussé son cinéma dans les derniers retranchements d’une épure dont les enjeux symboliques composent une œuvre unique. Song to Song clôt ce qui ressemble désormais à une trilogie obsédée par la quête d’un amour rédempteur, en conflit avec les étendards clinquants d’un monde désespérément matérialiste.

LES POISONS DU CIEL

Un chanteur de country idéaliste, une ex-institutrice devenue serveuse dans un dinner et une bassiste survivant comme dog-sitter pour la bourgeoisie branchouille d’Austin font la rencontre de Cook, riche et influent producteur musical. À ses côtés, ils vont entrevoir un monde désirable, fait de fêtes, d’argent, de lumières et de nuits sans fin, qui vont progressivement entrer en contradiction avec leurs aspirations, qu’elles soient artistiques, philosophiques ou amoureuses.

 

Photo Michael Fassbender"J'espère que tout le monde est vacciné !"

 

On aura caricaturé les derniers efforts du cinéaste comme autant de vignettes déréalisées et publicitaires au cœur d’un monde artificiel et désincarné. Song to Song vient nuancer ce constat et en souligner le sens. Si le béton de Knight of Cups a remplacé la nature des Les Moissons du ciel, si les nuages anthracites du Texas ont écrasé les cieux azuréens du Nouveau Monde et si les yuppies post-modernes de Californie ont pris la place des désaxés de La Balade sauvage, ce n’est pas tant à cause d’un étiolement de la poésie malickienne que d’un resserrement de ses thématiques.

L’opposition entre un peuple par essence terrien, sensible au sacré, et la tentation d’un ailleurs matériel présenté comme aussi appétissant que destructeur de sens a toujours été une articulation essentielle de son dispositif allégorique. Elle en est désormais le cœur, l’objet d’une bataille première aux yeux du cinéaste, qui en rend ici compte. Plutôt que de traiter du vague à l’âme de riches artistes, Malick s’intéresse en réalité à la manière dont cet univers, de néons et de flash, a dévoré l’aspiration au bonheur de ses héros.

 

Photo Rooney Mara, Ryan GoslingEverything is brighter in Texas

 

UNE BALADE SAUVAGE

Formellement, le metteur en scène a désormais totalement digéré les procédés techniques ou esthétiques introduits depuis To the Wonder. Aidé par l’incroyable fluidité de la caméra d’Emmanuel Lubezki, qui pousse sa maîtrise des grands angles au maximum, allant régulièrement jusqu’à capturer des séquences entières au 14mm, voire au fish-eye. En résulte cette image « arrondie », dont on sent qu'elle nourrit l'ambition folle d'encapsuler tout l'univers accessible, de cartographier un instantané total, où le hors-champ n'existe plus.

Car les errances poétiques et mentales de ses héros souffrent directement des règles d’un microcosme régit, malgré son apparente luminescence, par des frontières tout à fait étanches. La capacité de l’artiste à donner ainsi à voir un terrain de jeu tour à tour paradoxal et pervers ébahit régulièrement, d’autant plus que son chef opérateur n’a rien perdu de son talent pour la composition organique de plans à la volée, souvent somptueux, aux propriétés aériennes, tout simplement sans égales à l’heure actuelle (Inarritu peut aller gentiment se rhabiller).

 

Photo Rooney MaraLa création et la lumière, plus que jamais au centre du cadre

 

Enfin, Malick continue d’expérimenter la matière mosaïque qui constitue désormais son cinéma. Il use ici avec beaucoup de finesse du jumpcut, figure de style théorisée par la Nouvelle Vague qu’on n’avait pas vue citée avec autant d’à propos depuis longtemps. Si Song to Song se veut plus narratif, linéaire, que ses deux derniers films, il introduit un véritable renouveau en termes de montage sonore. Les balbutiements et voix off demeurent prégnants, mais composent désormais avec une bande-originale capable de passer de Malher, Ravel à Die Antwood, tout en mettant en regard un frisson amoureux et les accords électriques de Patti Smith.

 

Photo Rooney MaraBoby Lapointe déocuvrant la Maman des Poissons

 

TREE OF STARS

Certains avaient un peu vite qualifié Knight of Cups de rêverie masculine, ils devraient retrouver leurs esprits à l’occasion de Song to Song, qui fait la part belle à des personnages féminins extrêmement forts, que le réalisateur dépeint à coups d’esquisses (stupéfiante Cate Blanchett) ou via un subtil réseau de courtes séquences (Natalie Portman, fausse statue de porceleine, dont l'incandescence menace de briser les colosses qui l'entourent).

On regrettera que les textes de Rooney Mara soient rarement à la hauteur des longues plages de voix off évocatrices auxquelles nosu a habitués l'auteur, ou trahissent la précipitation qui présida à la fabrication du film, tant sa performance propose une intensité qui va au-delà de certaines limites d’écriture. Mais pour ces quelques faiblesses de caractérisation, on découvre une nuée de seconds rôles (Val Kilmer, Patti Smith, Bérénice Marlohe, Holly Hunter, Iggy Pop…) qui traversent l’œuvre tels des météores, nourrissant ce passionnant dialogue entre le désir, le cœur et la raison.

Depuis, Tree of Life, Malick semblait se désintéresser progressivement de la pure interprétation, pour favoriser une captation de l’émotion dans sa fugacité, une série d’instants de grâce suspendus. Il renoue ici avec un certain goût pour la composition, qui permet à Fassbender de livrer une partition de prédateur entre pathétique et relents Lucifériens, tandis que Gosling continue d’épater en chanteur raté et résilient.

 

rooney maraUne caméra qui flâne

 

SHOW MUST GO ON

À force de légers redressements, d’expérimentations discrètes et d’un travail toujours plus pertinent de la mystique chrétienne, voire de son eschatologie, Terrence Malick propose un film qui ne rompt jamais avec son héritage, mais le pousse plus avant, tout en achevant une œuvre trinitaire initiée avec To the Wonder et Knight of Cups.

Le résultat conserve cette impesanteur flottante, cette poésie de l’apesanteur, propre à un cinéaste dont le sillon ne ressemble désormais à aucun autre. Difficile de ne pas constater (et donc se réjouir) que ce nouvel effort pousse ces dispositifs simultanément dans leurs dernières limites et à leur point d’équilibre. Paradoxalement, si le metteur en scène n'a probablement jamais poussé aussi loin son étude du flux de pensées, présidant à un montage en apparence heurté, rarement son flot narratif aura-t-il semblé si efficient, précis, confortable. C'est avec aisance que l'intrigue bascule entre les temporalités, les rêveries, séquences narratives ou fantasmagoriques.

Une porgression qui annonce l'apparent retour à une forme plus classique avec son film suivant, le superbe Une vie cachée, plus linéaire en apparence, mais bénéficiant directement d'années à éprouver les carcans du récit de cinéma. Déjà, dans Song to Song, affleure cette ligne claire, cette harmonie plastique qui lui autorise tous les hasards. L'occasion d'une chronique fataliste et lumineuse, funèbre et pourtant débordante d'espoir, qui figure parmi les plus grandes réussites du cinéaste.

 

Affiche

Résumé

Plus narratif que To the Wonder et Knight of Cups, Song to Song en prolonge et sublime les thématiques, à l'occasion d'une rêverie rock, emprunte d'un romantisme mystique.

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commentaires
les ceremonies
31/03/2021 à 09:16

oh mais que fait mr Gosling dans le Black Eyes Club?
qu'est ce qu'il fait le Ryan pour avoir cet oeil noirci et traumlatise?
une Reponse, la Redaction?
des choses inavouables, mais pour vous , cela n'existe pas...

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