Journal d'un photographe de Mariage : Critique qui dit oui
Deux ans après L’Institutrice, film bouleversant illustrant la défaite de la pensée, le cinéaste israélien Nadav Lapid est de retour avec un drame de 40 minutes qui interroge la nature de l’amour. Mais le format long-métrage aurait sans doute été plus adapté pour permettre à ce récit intriguant, riche de trouvailles formelles, de déployer toute son intensité.
L’amour en fuite
De l’amour, Y. a tout vu. Ce photographe de mariage, qui immortalise « la plus belle journée » de la vie des couples, ne s’illusionne plus. Une noce c’est comme un enterrement, dans le second on enterre les morts, dans le premier les vivants.
Les deux couples sur lesquels se centre le film suffisent à étayer la position critique du personnage-photographe, et du cinéaste israélien, sur le mariage. Vue comme une institution sclérosée, le mariage contredirait la nature même de l’amour. Nadav Lapid oppose ainsi l’impulsion de vie qui transcende le couple, au poids de la tradition et des diktats religieux qui l’avilissent.
De manière plus discutable - mais s’inscrivant dans le contexte d’une société israélienne patriarcale - le réalisateur dresse un portrait de la femme promise en prisonnière. De celle qui admet aimer son futur époux autant qu’elle aurait pu le faire de n’importe quel autre homme, à celle qui somme son fiancé de lui offrir la liberté s’il l’aime vraiment, Nadav Lapid offre une vision désenchantée de l’amour tel que la société le prescrit.
Journal d’un filmeur
Outre sa visée critique, le film, qui se présente comme le journal introspectif d’un homme, s’illustre par sa dimension esthétique. Formellement, le film de Nadav Lapid ressemble à un poème en prose dont la voix off constituerait le fil rouge. Les plans fixes sur le visage des deux futures mariées, la scène de danse anthologique sur «Take on Me » constituent des ruptures de ton audacieuses qui rappellent la dimension méta du film.
En assumant le caractère rapporté de la narration, le cinéaste propose une réflexion formelle sur ce qu’est le cinéma et sur la place de la caméra. Le personnage du photographe, servi par l’interprétation impeccable d’Ohad Knoller, est à la fois le témoin, le juge et l’acteur d’un récit qui prend l’allure d’une parabole. Figeant la vérité des êtres grâce à son objectif, il est doté d’un pouvoir démiurgique qui lui permet d’influer directement sur la trajectoire des futurs mariés. Difficile de ne pas voir, dans les scènes de séances photos dans le désert, une allégorie du Jugement Dernier, avec le photographe en censeur Divin, et les presque mariés en pêcheurs repentis.
Scènes coupées de la vie conjugale
Malheureusement, le film, trop allusif, n’est pas tout à fait à la hauteur de ses ambitions. On peut déplorer le caractère binaire d’une structure centrée sur les deux intrigues de couples, qui ne permet pas au récit de se déployer comme il l’aurait dû. Le format laisse quant à lui le spectateur sur sa faim, en soulevant davantage de questions qu’il n’apporte de réponses.
Néanmoins, le Journal d’un photographe de mariage fascine par son portrait en creux de ce qu’est l’amour. L’essentiel résidant dans les scènes coupées, et non dans les images retenues par la caméra – celle d’Y comme celle de Lapid. Une séquence résume à elle-seule la tension entre le visible et l’invisible, ce que l’on montre et ce que l’on dérobe aux regards. L’épouse de Y, dont on ne voit pas le visage, lui demande de l’aider à ouvrir les volets. Comme si la lucidité était la seule voie possible du couple, alors même qu’une confrontation visuelle est inenvisageable. C’est dans ce paradoxe que réside, sans doute, la beauté du film, qui souligne l’impossibilité de l’amour en même temps qu’il affirme la volonté irréductible d’y croire encore.
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