Moi, Daniel Blake : critique qui Ken la Croisette

Chris Huby | 19 mai 2021 - MAJ : 19/05/2021 17:37
Chris Huby | 19 mai 2021 - MAJ : 19/05/2021 17:37

Moi, Daniel Blake, ce soir à 20h55 sur Arte.

Dix ans à peine après sa première Palme d’Or (Le vent se lève), Ken Loach, pape du cinéma social indigné britannique, en empoche une deuxième pour Moi, Daniel Blake. Alors que le film débarque est diffusé par la chaîne Arte, il est temps de (ré)évaluer cette œuvre auréolée d’honneurs qui surprirent la Croisette lors de leur attribution.

Daniel contre Gogoliath

Moi, Daniel Blake nous plonge dans le quotidien d’un menuisier qui, après une crise cardiaque, se démêle avec des services administratifs kafkaïens, avant de se lier avec une mère célibataire dans une situation comparable. On le sent immédiatement, c’est la confrontation d’un David ouvrier et d’un Goliath libéral qui a intéressé Loach. le cinéaste les structure et les amène avec la puissance d’indignation qu’on lui connaît, emballant au passage une séquence déchirante dans une banque alimentaire. Le temps de ces rares scènes, son découpage se fait adroit, son aridité signifiante et ses comédiens remarquables de précision.

Avec une sobriété qui oppresse le spectateur jusqu'à la nausée, Loach autopsie la machine à broyer les travailleurs, le logiciel technocratique conçu pour humilier les individus, qui vient napper d'une couche d'absurdité le martyr de corps de ceux que l'organisation du travail a vampirisé toute leur vie durant. La scène d'ouverture à ce titre, constitue à la fois une merveille d'écriture et un degré de réussite dans l'appréhension du réel rarement atteint. Et il en ira de même chaque fois qu'un des protagonistes aura maille à partir avec l'administration britannique. Le système n'est pas tant pensé pour venir en soutien des plus vulnérables que pour éloigner le plus possible les improductifs de ses bienfaits. Le réquisitoire est limpide, la violence insoutenable, et la démonstration sans faille.

 

photo, Hayley Squires, Dave Johns"Promis, j'essaie de garder la banane"

 

Palme en carton

Ces joutes asymétriques et désespérées constituent le coeur de Moi, Daniel Blake, dont la plupart des autres ressorts semblent usés jusqu’à la corde. Un dispositif beaucoup trop simple, quand les relations entre les personnages appelaient un peu de complexité psychologique en lieu et place de la foi sincère mais finalement un peu benête affichée par le cinéaste dans le bon sens et la légitimité évidente de ses protagonistes. De même, le dispositif quasiment néo-réaliste sur lequel s'ouvre le film s'avère beaucoup moins immersif ou pertinent quand la caméra scrute la solidarité, la bienveillance dont Blake fait preuve au contact de ses semblables. D'où un sentiment initial de dénuement, qui finit par laisser croire que le réalisateur lui-même est asséché par son sujet.

 

Ken LoachEnfin un rôle un peu intéressant pour Bruce Willis

 

Mais le dispositif déraille largement quand le scénario ausculte les relations entre les deux anti-héros interprétés Hayley Squires et Dave Johns. En cherchant à draper son découpage dans une dignité directement liée à son personnage, Loach en vient à souligner quantité d'effets. Evidemment, le parcours de chacun, entre pamphlet sociétal et authentique tragédie, peut très légitimement émouvoir, mais là où l'artiste a souvent vrillé le coeur des spectateurs en trouvant la distance juste, tout paraît ici trop appuyé. Comme si la mise à distance opérée par le cadre et la photographie voulait en réalité rendre plus éclatant ce Daniel Blake, au point de souligner toutes ses actions, puis de virer dans une posrture paradoxale, où la sur-signification perpétuelle de la sobriété et de l'ascétisme vient précisement mettre en lumière un regard assez épais et conscient de lui-même. A quelques encâblures de la construction tire-larmes un peu facile, voire du cathéchisme de gauche.

 

photo, Hayley Squires"Je vous présente mes-fils-ma-bataille"

 

Au final, il paraît évident que cette Palme d’Or aura été celle de la paresse et de l’émotion facile. En effet, le récit s'achemine vers une conclusion funèbre avec l'évidence d'un pachyderme lancé à pleine balle. Une transparence qui désamorce beaucoup de la tension du flm, mais donne en sus l'impression que ce dernier est prêt à pousser ses ingrédients à leur maximum pour espérer nous toucher, plutôt que d'envisager les personnages comme le vecteur premier de l'émotion.Le chantage à la larme plutôt que le cinéma, l’indignation bon teint de cinéphile en smoking, rotant avec émotion leur champagne tiédit, plutôt que le questionnement esthétique. Une Palme triste enfin, puisqu’elle vient récompenser un grand réalisateur pour une de ses œuvres les plus dispensables et anodines.

 

Moi, Daniel Blake poster

Résumé

Moi, Daniel Blake est sauvé de la catastrophe par ses acteurs et une poignée de scènes réussies. Mais on  a grand peine à reconnaître le cinéma de Ken loach dans cette fable sociale fatiguée.

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commentaires
Val
21/05/2021 à 14:16

Entièrement d'accord avec mesangelique, la scène de collecte des aliments est bouleversante.
Une scène qui est restée gravée dans ma mémoire. Un film très émouvant, bien sûr ce n'est pas du grand cinéma, mais un genre qui peut marquer.

Francis Bacon
20/05/2021 à 17:46

Par exemple il faut revoir la scene d'ouverture et son dialogue superbement ecrit. Blake est face à une "médecin" du travail qui fait son évaluation d'invalidité
- Est ce que vous pouvez marcher plus de 50 m seul ?
- (agacé) Oui (soupir)
- Est ce que vous pouvez lever les bras au dessus de la tête ?
- oui mais je vous ais déjà dit tout ça dans votre formulaire de 50 pages (et là on imagine avec humour l absurdité dun questionnaire de 50 pages avec que des questions aussi connes, moi ça me fait marrer)
Les scènes où Blake essaie de faire sa demande sur un pc (il n'est pas très à l'aise) sont aussi très drôles
- Et si j'ai des difficultés à utiliser un ordinateur ?
- il y a une assistance téléphonique, vous trouverez le numéro sur internet (lol)
A nouveau je ne comprends pas qu'on puisse dire que ce genre de situation ne ressemble à rien de réel (@tenia : vous ne connaissez personne de + de 60 ans qui galèrent sur les ordi ?). Pour rappel, les employés des agences de job center au UK ont des quotas de sanctions à appliquer sur les demandeurs d'emploi. C'est également vrai qu'il est interdit à ces employés d'aider qqun qui galère sur les ordi.

Francis Bacon
19/05/2021 à 22:32

Pas d accord avec vous sur ce film, mais bon j'avais déjà lu une mauvaise critique de vous de Sorry we missed you. Encore une fois, en parlant de "système fait pour humilier les individus" vous faîtes une lecture facile et bébête sociologiquement, vous sursimplifiez le propos du film qui ne dit pas "le système veut humilier les pauvres".
A ma surprise, aucune mention n'est fait de l'humour du film (le cœur pour moi). En grossissant à peine des situations que tous les sans emplois connaissent (@ténia : je doute que vous ayez vu le film pour dire qu'il ne ressemble à rien de réel) : les appels téléphoniques où on patiente des heures, les stages de rédaction de CV pour soit disant se rendre plus attractif pour un emploi, ... Daniel Blake traverse ses moments avec un sourire moqueur et une envie de provoquer un peu tant il comprend l'absurdité de ce stage. La grande force du film est pour moi d'avoir réussi à créer des scènes de comédie réaliste assez fortes en parlant d'un propos assez triste.
Je suis daccord avec vous sur le fait que l'émotion est pas toujours maîtrisée et que les autres persos (hors Blake) sont simplets et stéréotypés.

Eddie Felson
19/05/2021 à 21:39

Chef d’oeuvre d’un artiste majeur du 7ème art. Je m’y recolle ce soir avec le docu consacré à Loach qui s’annonce passionnant par la suite

alulu
19/05/2021 à 18:44

Dernièrement, j'ai vu une vidéo ou une dame allait au Mont-de-piété pour finir le mois. Elle élevait seule ses enfants, son quotidien c'était pas de sortie, juste l’essentiel. Comme distraction, les joies du troc ou tu rentres souvent chez toi bredouille. Je ne l'ai pas vu faire la queue au resto du cœur dans la vidéo, mais malheureusement, je suis sur qu'elle connaissait l'adresse. J'espère que depuis la vie lui sourit.

mesangelique
05/02/2017 à 17:10

Ken Loach livre une nouvelle fresque sociale basée sur l’absurdité du système administratif et la pauvreté/misère sociale. Les acteurs sont justes, vrais et authentiques. La scène dans la banque alimentaire est particulièrement bouleversante et déchirante. Un film engagé et plein d’humanité, qui fait réfléchir.

tenia
19/10/2016 à 19:28

Ca me fait penser au film que tourne l'héroine du Mia Madre de Moretti, et qui se rend compte au bout d'un moment que son film sur une révolte ouvrière-syndicaliste-prolétaire ne ressemble en fait absolument plus à rien de réel, mais n'est qu'une sorte de fantasme théorique.

Sauf que Loach, lui, c'est vraiment son film.

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