Midnight Special : critique venue d'ailleurs

Simon Riaux | 11 mars 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 11 mars 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Midnight Special avait de quoi affoler tous les compteurs de la cinéphilie. Quatrième film d’un metteur en scène plus que prometteur, précédé par des dithyrambes venues du Festival de Berlin, tout indiquait que cette incursion dans la science-fiction par Jeff Nichols était en mesure de bousculer les codes et les attentes.

Tout commençait pourtant si bien… Nous voilà plongés dans l’Amérique profonde qu’affectionne le metteur en scène au cours d’une première bobine absolument fantastique. Enchaînant les longs plans fluides, distillant une atmosphère mystérieuse et vénéneuse, il nous immerge dans une sorte d’outre-monde fait de non-dits et d’énigmes, jusqu’à la magnifique image qui précède l’écran-titre. On croit alors tenir la formidable réunion d’un cinéma d’auteur exigeant, accessible, et dévoué au genre.

 

Photo Kirsten Dunst, Jaeden Lieberher

 

Mais rapidement nos questionnements cèdent la place à un agacement qui ne fera que croître. Le principal défaut de Jeff Nichols, une retenue qui tient de la pose plus que d’une exigence narrative, finit par annuler tous les enjeux du récit. Impossible de croire à une relation père-fils intense, quand le'éruptif Michael Shannon joue tout  avec un stoïcisme qui confine au ridicule. Impossible de retrouver l’émerveillement d’un Spielberg, quand le film se trébuche devant le merveilleux et n’assume jamais sa parenté avec le cinéma de genre.

L’argument SF est ainsi à peine effleuré, touché du bout d’un bâton et en se bouchant le nez, comme pour mieux nous signifier que l’intérêt du film est ailleurs. La mise en scène, plastiquement réjouissante mais engoncée dans les canons du cinéma indépendant calibré Sundance, ne nous offre jamais une assise émotionnelle digne de ce nom.

 

bande-annonce

 

A trop vouloir jouer le mystère pour le mystère, Nichols se voit contraint d’expliciter les relations entre les personnages (dont la simplicité ne méritait d’ailleurs pas tant d’effets de manche) à coups de dialogues fonctionnels et désincarnés. Comme si son désir d’emballer un film de science-fiction intelligent se heurtait – comme dans Take Shelter -à une absence de confiance dans les mécaniques rodées et populaires du genre.

Métaphore d’un deuil rendu impossible par les autorités (légales, religieuses) auxquelles se heurte un père, Midnight Special a l’intelligence de se placer dans la filiation de Lumet, du Spielberg de Sugarland Express, souvent dans les pas de Paul Thomas Anderson, oubliant hélas leur enseignement premier. A savoir qu’un concept malin et une mise en scène soignée n’atteignent leur but que s’ils nous touchent. Et c’est précisément là que Jeff Nichols échoue.

 

Photo Jaeden Lieberher

 

Midnight Special se regarde sans déplaisir, l’artiste est bien trop doué pour ne pas nous offrir ici et là de très beaux moments de cinéma et il maîtrise la composition de son image à un point qui laisse souvent espérer que le film va décoller. Mais en se refusant jusque dans son ultime scène à lâcher la bride, en ne daignant jamais laisser l’humanité de ses héros s’exprimer, il nous maintient à l’extérieur de son récit et dévoile involontairement que ce dernier tient plus d’un savant calcul que d’un amour sincère pour les situations abordées.

Jamais détestable, toujours élégant, Midnight Special se hisse sans mal au-dessus de la masse de productions sans âmes qui encombrent les salles et tentent de rassasier les geeks. Le métrage hélas, en voulant jouer l’épure, oublie que cette dernière n’est pas forcément synonyme d’authenticité ou de simplicité.

 

Affiche

Résumé

Beau mais froid, malin mais désincarné, Midnight Special oublie l'émotion en cours de route.

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commentaires
freeflyer
24/03/2016 à 17:26

Vu hier, un road movie indéniablement bien réalisé, de belles images, pas d'overdose d'action, De très bonnes idées.. De bons acteurs, dont un Kylo Ren ne joue pas si mal.. :)
Mais trop linéaire, peu de surprises, bref on aurait apprécié un peu plus de rebondissements...

Ethan
22/03/2016 à 15:57

@Phoenix
On est d'accord.
Mais dis-toi que ces commentaires qui t'ont agacé ont peut-être publié "à vif", comme le tien.
Et que même un cinéphile peut tout à fait ne pas voir de l'innovation, du grand cinéma, dans Midnight Special.
Jeff Nichols est globalement très aimé par le public et la critique, mais c'est très bien que certains soient à contre-courant, même si cela se résume parfois à un peu de provoc pour dire que ce n'est pas aussi génial que presque tout le monde le dit.

Phoenix8
20/03/2016 à 19:06

@Ethan.
Merci de me reprendre. Tu as tout à fait raison. J'aurais dû être plus tolérante envers les autres commentaires. J'ai laissé ce commentaire à vif, après avoir lu les critiques sur plusieurs sites et qui souvent sont les mêmes types de phrases. Le fait est que de nombreux films sont jugés sans être vraiment observés et c'est cela qui m'énerve. Que chacun ait son avis est tout à fait normal, mais critiquer juste pour critiquer sans avoir de réel exemple pour se justifier est très irritant.
Dans ce film, il y a de nombreux éléments à charge mais aussi de bons moments très cinématographiques, innovants, etc...
Donc, les commentaires que j'aime, c'est "ce truc est mal fait, mais ça c'est bien fait"). Et il y en a des excellents. Par exemple, celui de @ilias est constructif!
Rien n'est jamais totalement nul.

Ethan
20/03/2016 à 11:46

@Phoenix
Et c'est quoi la différence entre ces journalistes qui critiquent que pour critiquer, comme tu dis... et les critiques qui ne pensent juste pas comme toi ?
Y'en a marre parfois des gens qui sortent les griffes parce que leur avis n'est pas unanimement partagé ("Les critiques aiment rien ce film est super !", "Les critiques sont des vendus, ce film est nul !").
Faut surtout accepter qu'un film partage les gens, et tant mieux.

Phoenix8
19/03/2016 à 18:50

Moi, perso, j'ai ADORE ce film. Parfois, c'est vrai, certaines scènes sont un peu longues. Mais l'histoire et les acteurs sont très bon. Je rejette la critique qui dit que le père est calculateur et pas sincère (voir la scène près de l'autoroute vers la fin). S'il fallait une note pour mieux me faire comprendre, je donne 8/10. Que les critiques juste pour critiquer se taisent un peu, y en a marre, parfois.

Théo
18/03/2016 à 00:17

Plus 1

ilias
17/03/2016 à 19:22

Entièrement en accord avec Monsieur Simon Riaux,
en effet, je viens de voir le film, les symboles métaphoriques sont très épais, et il manque "un engagement" dans un genre (fantastique? ou science fiction?), quoi qu'il en soit, j'ai l'impression qu'il y a un raté quelque part.... les acteurs sont bons, mais la narration pose problème , à mon humble avis...

Al
15/03/2016 à 17:00

Vous vous posez trop de questions, il y à le printemps de cinéma qui approche ceux qui sont un minimum intéressé peuvent craché 4€ pour le voir sinon c'est que vous êtes vraiment pas emballé. ^^

annaselinnaer
14/03/2016 à 20:55

Ce n'est pas une définition que je tente, c'est la définition : "Estimer quelque chose au-delà de ce qu'elle mérite, ce qu'elle vaut".

Or, reste à prouver qu'il y a une valeur objective à un cinéaste, ou un film. Une valeur réelle, indiscutable. Que ce Malick ou Inarritu ou Nolan. Sur lesquels personne n'est d'accord ici déjà (chacun pouvant dire lequel est surestimé selon lui).
On peut certes "tenter" de sortir des critères plus ou moins clairs (comme le taux d'inspiration chez les autres cinéastes), mais de là à en faire une loi qui empêche de dire qu'untel ou untel ne pourrait être qualifié de "surestimé"....

Cervo
14/03/2016 à 18:08

J'entends bien.

Le problème que me pose la définition que tu tentes, c'est qu'elle est tellement relativiste, qu'on peut faire rentrer beaucoup, beaucoup de choses dedans.

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