Cafard : Critique historique

Julien Foussereau | 9 décembre 2015
Julien Foussereau | 9 décembre 2015

En pleine célébration du centenaire de la Grande Guerre, les hommages ne manquent pas et l’animation y est allée aussi de son tribut avec Adama en octobre. Axé sur le sacrifice des colonies africaines sur la ligne de front et ciblé pour un public encore jeune, le film de Simon Rouby était loin de démériter par son esthétique mutante. Il est également question de propositions plastiques audacieuses dans Cafard. Mais, tel un mouvement de balancier, le flamand Jan Bultheel a courageusement opté pour une approche adulte de l’animation en s’inscrivant dans la même lignée qu’un salutaire Valse avec Bachir. Autrement dit, recourir à l’animation pour « sortir des gentils petits Mickeys » et raconter autrement une histoire traumatique.

 

Rape and revenge

Car un parfum de mort et de traumatisme embaume Cafard. Dès l’ouverture, le spectateur est accueilli par un viol en réunion. Celui de Mimi, une jeune adolescente de 15 ans subit les outrages d’une garnison de soldats allemands à Ostende, une nuit d’août en 1914. A l’autre bout du monde, Jean Mordant, son père, est sacré champion du monde de lutte gréco-romaine. Il n’a pas le temps de savourer qu’il apprend la terrible nouvelle. De retour dans sa Belgique natale et mû par une soif de faire couler le sang teuton, Mordant s’engage dans le Corps Expéditionnaire des Autos-Canons-Mitrailleuses (ACM), une nouvelle unité censée balayer les Allemands avec leurs véhicules blindés…

 

Le tour du monde à l’agonie

A partir de cette entame, Cafard semble nous emmener vers le terrain bien connu d’un esprit va-t’en guerre éparpillé dès les premiers tirs de shrapnels. Or, avant ce passage obligé, Jan Bultheel dévie la trajectoire attendue du film pour la repositionner sur le front russe suite à une erreur stratégique du commandement militaire alors que la colère prolétaire gronde. Rarement évoqué dans les récits de la Grande Guerre, ce fragment d’histoire constituée d’ennui et d’attentisme se révèle surprenant par le développement de la psychologie de Mordant ; ainsi que la volonté de proscrire tout manichéisme avant que la violence de la guerre moderne ne gagne l’est de l’Europe. De cette désillusion d’un homme (brillamment incarné par Benoît Magimel dans la version française) comprenant le caractère peu satisfaisant de la vengeance découle le désir impérieux de regagner son plat pays par le versant oriental.

 

La motion capture à double-tranchant

Par sa croisée des chemins entre le film de guerre et le road-movie dans un monde en proie au chaos, Cafard ne manque pas d’ambition, à commencer par sa direction artistique faisant appel à la motion capture de comédiens dans un décorum fortement contrasté dans laquelle un certain sens de l’épure est privilégié. Et si la « mo-cap » donne une vraie présence aux protagonistes, on est beaucoup plus circonspect quant à la pertinence du character design dès lors qu’il s’agit de véhiculer des émotions.

Et l’on se prête à penser que les tumultes de Mordant auraient gagné en profondeur si Jan Bultheel était parti sur un rendu plus stylisé des expressions faciales. Cette carence empathique est d’autant plus regrettable que Cafard parvient souvent par son atmosphère à saisir la tristesse d’un destin égaré dans une époque trouble. En cela, le film de Jan Bultheel confirme à qui en doutait que l’animation mature se révèle un excellent medium à même de traiter bien des sujets, y compris les plus graves.

Résumé

Qu’il soit inspiré d’une histoire vraie importe peu, Cafard se sert intelligemment de ce que l’animation a de mieux à offrir pour raconter un périple extraordinaire et l’odyssée intime d’un colosse fragilisée par un des conflits les plus meurtriers de l’Histoire. On déplorera simplement des choix artistiques malheureux de la part de Jan Bultheel empêchant Cafard d’atteindre son plein potentiel émotionnel.

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commentaires
diez
09/12/2015 à 12:23

Ravis que vous vous metiez au cinema d'animation europeen. ^^

Comme presque tous les autres j'irai le voir !

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